Les partisans d’un réseau de santé public se sont réveillés

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La riposte du public

Les partisans d’un réseau de santé public se sont réveillés

par Louise-Maude Rioux Soucy

Il y a quelques semaines encore, le privé en santé était sur toutes les lèvres, les plus enthousiastes comme les plus résignées. Le secret entourant le Davos de la santé comme les travaux du groupe Castonguay et, dans une moindre mesure, le Sommet du Collège des médecins aurait-il eu l’effet d’un électrochoc ? Chose certaine, les partisans du public se sont finalement réveillés.

Peu importe ce qui se cache derrière cette résurgence, il y a quelque chose de rafraîchissant à voir le débat sur notre régime public se polariser ainsi. Pour la professeure à l’École nationale d’administration publique Marie-Claude Prémont, il faut y voir le signe d’un retour à la démocratie après des mois de silence embarrassé de la part des partisans du public. « On tient parfois certaines choses pour acquis. Mais on voit que des gens de tous les horizons commencent à se manifester publiquement. À mon sens, c’est un peu la majorité silencieuse que l’on voit émerger ici. Et il faut s’en réjouir », croit cette spécialiste de la santé.

Pour la Dre Saideh Khadir, ce revirement n’est pas une surprise, encore moins une simple lubie syndicale ou militante. Le glissement se discute depuis longtemps dans les corridors des hôpitaux, avec tous les déchirements que cela suppose. « Sur le terrain, on commence à sentir une véritable transformation dans l’esprit des gens, raconte cette urgentologue qui œuvre à l’hôpital Saint-Luc du CHUM. Les gens voient les défenseurs du privé, qui cherchent à pénétrer leur conscience avec l’idée que l’innovation ne peut venir que de leur côté, ne pas être capables de mettre en pratique ce qu’ils prêchent, et ça, ça les fait réfléchir. »

Il faut dire qu’à l’autre bout du spectre, plusieurs initiatives originales ont été mises en avant au sein du régime public. Certaines ont même donné des résultats proprement spectaculaires, a affirmé cette semaine le directeur général de l’Hôpital général juif de Montréal, Henri Elbaz, devant un parterre composé de plusieurs membres de la communauté d’affaires de Montréal. « Je pense que nous avons en mains tous les paramètres pour avoir un des meilleurs systèmes de santé au monde. Notre base est excellente et on peut y bâtir du solide. »

Pour cela, il faudra toutefois sortir de l’alternative « statu quo ou privatisation » qui a donné le ton au discours ambiant des derniers mois pour proposer une troisième voie, celle des solutions publiques. « Il y a une réflexion profonde à faire dans notre société », croit Henri Elbaz, qui réclame un débat en profondeur et non pas axé sur la stricte question du financement. « On est dans la libre entreprise. Certes, on respecte la libre entreprise, on respecte la notion du profit et la notion de retour sur capital investi. Mais on doit se poser cette question : ne doit-on pas mettre une barrière lorsqu’il s’agit de la santé de la population ? »

À son avis, la ligne est aisée à tracer. L’art de la médecine ne saurait souffrir aucune contrainte de nature financière, au risque de s’exposer à de dangereux dérapages. « Aux États-Unis, on a vu des dérapages qu’on ne veut pas voir ici. Par exemple, les tests de laboratoire sont maintenant jusqu’à quatre ou cinq fois plus nombreux dans certaines régions américaines qu’ici au Québec, sans aucune raison médicale valable pour les appuyer. On note aussi une fréquence aberrante de certaines chirurgies, comme la mastectomie par exemple, alors qu’on sait que cette chirurgie n’est pas toujours indiquée. »

Vases communicants

Il ne faut pas oublier non plus que la moindre ponction effectuée par le privé dans les rangs déjà décimés du public affaiblit davantage notre réseau, prévient M. Elbaz, qui mesure quotidiennement les effets pervers de ce transfert dans son propre hôpital. Il craint que cela n’engendre des pertes d’efficience, voire des problèmes d’accessibilité, spécialement en ce qui a trait aux services hospitaliers dits critiques. « Dans une situation de pénurie majeure de personnel, alors que la population vieillit et que les cas deviennent de plus en plus lourds, pouvons-nous nous permettre de voir nos infirmières, formées à grands frais par l’État, délaisser nos hôpitaux pour aller réaliser des opérations de routine dans le privé ? » Certainement pas, tranche le directeur général.

Cet avis est partagé par le regroupement Médecins canadiens pour un régime public (MCRP). La semaine dernière, ses 2500 membres ont livré un plaidoyer en faveur des solutions publiques, études et statistiques solides à l’appui. Même le Collège des médecins a dû se rendre à l’évidence cette semaine. Malgré la pression qui s’intensifie, le milieu médical croit encore en son réseau public. Et il a profité du grand sommet présidé par le président-directeur général du Collège pour réitérer sa foi dans le système. Ce faisant, la soixantaine de groupes représentés a donné une fin de non-recevoir au privé-privé et ouvert timidement la porte aux partenariats public-privé, une position reprise par un Collège que l’on a connu plus tranché en la matière.

Même le grand public s’est mis de la partie en se joignant au groupe Santé sans profits, qui rassemble à ce jour 300 personnes issues des milieux médical, politique, syndical, communautaire, universitaire et artistique. Le groupe a même mis en ligne une déclaration qui assène un non retentissant au privé en santé. Un message de plus en plus populaire, estime son instigatrice, la militante féministe Lorraine Guay. « Je sens très fortement que le vent tourne. C’est la preuve que, quand on présente les faits et une vision alternative des choses, les gens réagissent favorablement et sont prêts à se lever en bloc pour la défendre. »

Sorties publiques

Madame Guay trouve d’ailleurs très stimulant de voir que beaucoup d’experts de la santé ont pris le parti de sortir publiquement sur cette question. « Il y a plein de médecins et d’universitaires qui signent notre déclaration. Ils disent : “Oui, il y a de la bureaucratie; oui, il faut faire bouger tout ça; mais ce système-là vaut quand même la peine d’être sauvé”. » La Dre Khadir fait partie de ceux qui ont fait le grand saut. Elle espère pouvoir ainsi se faire le porte-voix des bons coups du régime public. « L’information juste ne circule pas. Il y a beaucoup d’impressions, beaucoup de fausses croyances qui circulent, mais très peu de données statistiques fiables. »

Au premier chef, l’information disponible sur le poids financier de la santé. On sait que la santé accapare 45 % du budget total du Québec. Un poids lourd d’un peu moins de 24 milliards de dollars. Mais ce que ces chiffres ne disent pas, c’est que nos dépenses sont restées proportionnelles à nos revenus depuis qu’on a institué l’assurance maladie, note l’urgentologue. « Si on extrapole, on voit que les dépenses en santé n’ont pas bougé en 30 ans par rapport aux revenus de l’État. Les coûts sont donc contrôlés. Le privé, au contraire, a vu ses tarifs grimper dans des proportions de deux, trois ou quatre fois supérieures; pensons seulement aux soins dentaires, par exemple. »

Un débat encore à faire

La Dre Khadir invite tous les Québécois à lire l’étude du Dr Michael Rachlis, Pourquoi attendre ?, qui dresse un portrait des meilleures initiatives publiques canadiennes. Un petit bijou de trouvailles qui peuvent faire boule de neige au Québec, croit l’urgentologue, qui cite l’exemple du Lion’s Gate Hospital, au nord de Vancouver. Là-bas, la mise en place d’un guichet unique pour les rendez-vous pré et post-opératoires a littéralement fait fondre les listes d’attente. De 11 mois en moyenne, l’attente est passée à entre deux et quatre semaines seulement.

Aux partisans du privé, la Dre Khadir prescrit le même remède. Une lecture de cette étude britanno-colombienne, mais aussi d’une foule d’autres études, notamment celles produites par l’OCDE, permet en effet de mettre en lumière les revers de la privatisation. « La principale limite du privé est qu’il ne répond qu’à quelques besoins ciblés. Dans ce genre de cliniques, on donne des services diagnostiques souvent inutiles ou alors une batterie de tests superflus. Mais une fois que la personne est malade, les services ne suivent plus et c’est au public de prendre le relais. »

Même l’expérience britannique, souvent citée en exemple par les défenseurs du privé, ne serait pas sans failles. « En Angleterre, on remarque que les listes d’attente ont grimpé tant au public qu’au privé. Les coûts globaux ont aussi augmenté, tout ça pour que les patients reçoivent moins de soins qu’avant », déplore la Dre Khadir. En août dernier, des médecins anglais ont même pris la plume pour inviter l’Association médicale canadienne à jouer de prudence. « La réalité est que l’argent [du public] a été essentiellement consacré à la réduction des listes d’attente en chirurgies non urgentes particulièrement sensibles d’un point de vue politique et que celle-ci a été réalisée au moyen d’ententes dispendieuses et insoutenables avec le secteur privé », avaient alors écrit l’Association des consultants du Service national de la santé (NHSCA).

Trop tard ?

À quelques semaines seulement du dépôt du rapport Castonguay sur le financement du réseau de la santé, le réveil des partisans du public paraît toutefois bien tardif. D’autant que les tenants du privé ne semblent pas le moins du monde ébranlés par ce mouvement de dernière minute. Il faut dire que la lutte est à armes inégales, note Marie-Claude Prémont. « Il y a des enjeux économiques énormes derrière certains projets, qui jouissent d’une écoute attentive en haut lieu. Il est difficile pour monsieur et madame Tout-le-monde, ou même pour le simple chercheur, de faire entendre sa voix. Surtout que les démarches de modifications sont bien enclenchées avec la loi 33. »

Mais même s’il est déjà minuit moins une aux yeux de plusieurs, d’autres estiment plutôt que le débat peut encore dévier de sa course. Et ceux-là fourbissent leurs armes, insiste Lorraine Guay, dont le groupe entend mettre toutes ses énergies à contrecarrer le dépôt du rapport Castonguay. « Les gens ne se souviennent plus de ce qui se faisait avant nos régimes d’assurances. Ils ont oublié l’exclusion et les difficultés. » Le temps est venu de replonger dans nos souvenirs, croit Mme Guay, qui invite tout un chacun à profiter du temps des Fêtes pour en débattre en famille, question de « retrouver la mémoire et la vue ».


Source : Le Devoir, section Perspectives – 27 novembre 2007

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