Par André Noël
La création d’un marché privé de la santé, proposée par le rapport Castonguay, inquiète quelques experts car, disent-ils, le secteur de la santé serait alors soumis aux règles du commerce international. Les décisions politiques pourraient dorénavant être contestées par des entreprises devant les tribunaux, sur la base des traités de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).
Le comité présidé par Claude Castonguay aborde cette question de front. Dans la préface de son rapport, le comité explique le mandat qu’il a reçu de la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget : rendre le secteur de la santé conforme aux nouvelles règles de libéralisation des échanges.
« Au cours des dernières décennies, de profondes transformations se sont produites dans tous les secteurs d’activité des pays industrialisés, indique le rapport dès le premier paragraphe. Ces transformations se sont accélérées sous l’influence et les pressions de la libéralisation des échanges et de la mondialisation. Un tel mouvement a nécessité une adaptation et une modernisation des politiques issues de l’État providence lors de l’après-guerre. Le mandat qui nous a été confié se situe dans une perspective de même nature, puisqu’il s’agit d’adapter les politiques sociales issues de la Révolution tranquille au nouveau contexte économique et à la mondialisation. »
Damien Contandriopoulos, professeur au département de l’administration de la santé à l’Université de Montréal, craint l’impact du processus de commercialisation. Selon lui, ce processus a été entamé par le gouvernement québécois depuis l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Chaoulli. Et il va s’accélérer si certaines mesures proposées par le comité Castonguay se mettent en place.
En créant un marché de la santé, le gouvernement ouvre une boîte de Pandore, dit-il en substance. Une fois la commercialisation enclenchée, l’État ne pourra plus reculer. Ce ne sont plus les lois, les règlements et les politiques adoptées par l’Assemblée nationale qui vont dominer, mais plutôt les règles commerciales. « La création d’hôpitaux privés est déjà en marche, sous le vocable de centres médicaux spécialisés, lesquels pourront faire de l’hébergement. Leurs propriétaires pourraient-ils traîner le gouvernement en Cour en vertu des accords passés à l’OMC ou de l’ALENA ? Pourraient-ils prétendre que les avantages accordés par l’État aux hôpitaux publics constituent une concurrence déloyale ? Cette perspective est inquiétante. »
« Le rapport Castonguay suggère d’imposer des contrats et des procédures d’appels d’offres aux hôpitaux et aux Agences de la santé. En 2006, le gouvernement québécois a adopté la Loi sur les contrats des organismes publics. Il suffit d’un décret pour qu’elle entre en vigueur. Cette loi englobe le secteur de la santé. “On vient de voir que le gouvernement québécois ne pouvait pas accorder le contrat de fabrication des métros à Bombardier, souligne Marie-Claude Prémont, professeur à l’École nationale d’administration publique. Alstom l’a traîné en cour et a gagné en exigeant un appel d’offres. La même chose pourrait se reproduire en santé. »
Mark Crawford, du département de sciences politiques de la University of Northern British Columbia, a étudié la question dans la revue Healthcare Policy. Sous le titre Interactions: les politiques commerciales et la réforme des soins de santé après Chaoulli c. Québec, il rappelle que le gouvernement fédéral n’a pas exclu l’assurance santé privée du domaine d’application de l’ALENA. Le gouvernement n’a pas pris cette précaution parce que, argumentait-il, c’était inutile : il n’y avait pas d’assurance santé privée au Canada. Mais l’arrêt Chaoulli a changé la donne. Elle est maintenant permise. Le gouvernement québécois la limite aux opérations de la hanche et du genou, ainsi qu’aux cataractes. Mais il suffira d’un règlement, et non d’une loi, pour accroître son étendue.
Le rapport Castonguay en préconise la généralisation. Cette proposition inquiète le Dr Réjean Hébert, doyen de la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke. « On ne peut accepter la généralisation d’une assurance privée qui doublerait l’assurance publique et ferait en sorte que des gens auraient accès à des services auxquels de moins fortunés n’auraient pas accès. Mais tout porte à croire que le train de la commercialisation est bien lancé.
Source : La Presse, Actualités, page A-4 – 20 février 2008