Guillaume Hébert et Jean-françois Landry, Les auteurs sont chercheurs à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS)
Le rapport Castonguay présente une lecture pessimiste du système de santé de façon à pouvoir appeler vite le privé “à la rescousse”.
Le rapport Castonguay dresse un portrait pessimiste de l’évolution des dépenses engendrées par le système public de santé pour justifier un changement majeur des pratiques et des façons de faire en santé au Québec. Or, la recherche montre que les solutions proposées, loin de régler le problème, sont plutôt susceptibles de l’aggraver. Les patients, considérés comme une source de revenus, devront payer davantage, et ceci, sans pour autant être mieux servis.
La note socio-économique publiée la semaine dernière par l’IRIS soulevait un problème sérieux de rigueur méthodologique en ce qui concerne les statistiques souvent utilisées pour affirmer que le système public de santé est au bord du gouffre. Comme l’a par la suite reconnu le ministre Couillard, le rapport Castonguay utilise une méthode de calcul qui omet de reconnaître que le budget québécois de la santé, au contraire de celui des autres provinces canadiennes, inclut celui des autres services sociaux. Cela a pour effet de gonfler artificiellement l’importance de ce poste budgétaire lors d’analyses comparatives.
Or, comme l’ont montré les travaux du professeur François Béland, de l’Université de Montréal, la part des dépenses gouvernementales en santé en proportion du PIB s’est maintenue depuis 1981 autour d’une fourchette étroite de 6,4 % à 7,4 %. C’est donc dire que la part des dépenses en santé, mise en rapport avec la richesse nationale, est demeurée stable.
L’utilisation peu rigoureuse et tendancieuse de données sert de justification pour présenter une lecture pessimiste du système de santé et pour appeler vite le privé « à la rescousse ». Par contre, l’ouverture au privé, loin d’être le remède miracle attendu, pourrait bien entraîner des coûts supplémentaires pour l’État. C’est en effet les dépenses privées de santé (prix des médicaments, coûts d’administration) qui sont les plus susceptibles d’exploser de manière incontrôlable. Par exemple, la part des dépenses de santé correspondant aux médicaments a triplé en 25 ans, passant de 6 % à 20 %. En revanche, les dépenses dédiées aux hôpitaux ont diminué, passant de 48 % à 34 %.
Drainage de ressources
Quant à elle, la mixité privé-public est susceptible d’entraîner un drainage des ressources humaines et financières d’un système à l’autre, en encourageant par exemple les médecins à rediriger une part de leur pratique vers le secteur qui lui est le plus lucratif. C’est alors encore les patients, du moins ceux qui en ont les moyens, qui devront débourser davantage pour absorber les coûts d’administration, de marketing et les marges de profits propres au secteur privé.
La logique utilisateur-payeur introduit au sein même du système public des façons de faire et des méthodes de gestion propres au secteur privé, et qui sont en rupture avec le principe d’universalité des soins de santé. Elle met l’accent sur la “liberté” du consommateur, dorénavant considéré comme une source de revenus vis-à-vis duquel les hôpitaux devraient entrer en concurrence d’offre, ce qui exigerait qu’on leur concède une plus grande autonomie.
L’absence de normes nationales et de financement récurrent garanti semble inspirée du modèle britannique de « paiement en fonction des résultats ». Or, ce modèle, qui a échoué en Grande-Bretagne, risque de forcer les hôpitaux qui veulent paraître plus performants à multiplier le nombre de visites ou à se spécialiser dans les cas les plus légers.
Les dangers socio-économiques liés à l’introduction du privé en santé appellent une analyse plus sérieuse et rigoureuse que celle qu’on trouve dans le rapport Castonguay. De la même façon, on ne saurait s’en remettre au privé sur la base de constats pessimistes et hâtifs qui tendent à occulter les possibilités d’amélioration du système public et à survaloriser des mesures privées généralement plus coûteuses.
Source : La Presse, forum, page A-23 – 21 février 2008