Voir loin, viser juste

Le bilan de la première moitié du mandat des libéraux de Philippe Couillard a donné le ton aux délibérations du 65e Congrès de la CSN qui s’est tenu à Montréal, du 5 au 9 juin. Devant le démantèlement de l’État social québécois, la montée d’un courant antisyndical, l’absence de vision sur le plan de l’emploi et du développement des régions, la CSN a lancé un manifeste sur ce Québec que nous voulons, soutenu par un plan d’action qui sollicite tous les syndicats, en vue de la prochaine élection, prévue en octobre 2018. Au cours des prochaines semaines, ces derniers convieront leurs membres à une assemblée générale pour déterminer une priorité afin de les mobiliser autour d’elle et de mandater la CSN à la porter. La priorité du mouvement demeure certes les relations de travail, mais son action sera aussi politique pour amener les différents partis ainsi que les candidates et les candidats à réagir à notre vision d’un Québec plus juste, plus équitable, où il est possible d’aspirer à de meilleures conditions de vie.

Le résultat des votes d’allégeance syndicale, imposés par ces mêmes libéraux, a été l’occasion pour les quelque 1300 délégué-es de réfléchir à la redynamisation d’une vie syndicale active à tous les niveaux de la CSN. Toutes les énergies  seront donc déployées pour permettre au syndicalisme à la manière CSN de continuer à jouer son rôle déterminant dans les lieux de travail et dans la société.

Un reportage de Denis Guénette

Redynamiser la vie syndicale

La CSN traverse les moments les plus difficiles depuis la période où, en 1972, elle a perdu des milliers de membres. Nos presque 100 ans d’histoire nous rappellent toutefois cette nécessité de continuer de promouvoir un projet syndical et social visant à transformer les milieux de travail et la société pour faire progresser les travailleuses et les travailleurs, et la population en général. À la sortie du 65e Congrès, nous avons rencontré Jacques Létourneau, président de la CSN, afin qu’il nous dresse le bilan de la situation et qu’il nous fasse part de ses perspectives pour le prochain mandat, et pour l’avenir.

Le 65e Congrès arrive à un moment crucial de l’histoire de la CSN. Vous avez affirmé dans votre discours d’ouverture que la CSN vit les moments les plus difficiles depuis 1972, à l’époque de la présidence de Marcel Pepin, à quoi faisiez-vous référence exactement ?
— Je faisais notamment référence à la perte de près de 22 000 membres qui, malheureusement, ont quitté la confédération lors de la dernière période de changement d’allégeance syndicale imposé dans le réseau de la santé et des services sociaux. Dans les années soixante-dix, on a connu quelques vagues de désaffiliation, notamment avec la création de la CSD, le départ des fonctionnaires, des professionnels du gouvernement du Québec, des infirmières, et disons qu’à l’époque, ça avait quand même forcé la CSN à repenser la façon dont on pratiquait le syndicalisme dans l’organisation. C’est un peu le parallèle que j’ai fait au congrès en rappelant aux délégué-es que la perte de membres, ça n’a pas juste un impact financier, ça a aussi un impact sur notre façon d’organiser nos services, de représenter syndicalement et politiquement les travailleuses et les travailleurs qui ont choisi la CSN. Ultimement, ça nous oblige à réfléchir sur notre manière d’aborder l’action syndicale en ce début de 21e siècle avec tous les nouveaux défis à relever, qui ne sont pas juste liés à la perte de membres, mais qui sont aussi liés aux changements qu’on connaît dans le monde du travail et à la montée de l’antisyndicalisme. C’est le sens du message qui a été envoyé au congrès, et de façon générale, je peux vous dire que les syndicats ont particulièrement apprécié et bien répondu.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, cette défection majeure dans les rangs de la CSN?
— Il y a plusieurs éléments qui peuvent l’expliquer. D’abord, il y a des secteurs d’activité ou des catégories d’emplois où nous étions nettement minoritaires, notamment chez les professionnel-les et les techniciennes et techniciens du réseau. En même temps, il y a des endroits où nous étions majoritaires et où on s’est aperçu qu’il y avait des problèmes de vie syndicale. Vous savez, les syndicats à la CSN sont autonomes. Autonome, ça veut dire que le syndicat local gère entièrement la vie démocratique de son organisation. Alors, quand malheureusement, ça, c’est défaillant, ça augmente l’insatisfaction des travailleuses et des travailleurs et ça peut amener la remise en question d’une affiliation. Souvent, plutôt que de changer d’exécutif ou de procéder à des changements, les syndiqué-es vont profiter d’une période de changement d’allégeance syndicale pour changer d’organisation en pensant que ça va être la recette miracle. D’autres organisations plus corporatistes mettent l’accent sur le taux des cotisations syndicales et sur les programmes d’assurance. Donc, il y a une multitude de facteurs qui peuvent l’expliquer, mais il faut surtout retenir que ça nous renvoie à nos propres responsabilités, c’est-à-dire à notre capacité de faire adhérer les travailleuses et les travailleurs à notre discours, à les écouter, et aussi à faire la démonstration que dans la pratique, nos membres sont satisfaits des services de la CSN.



La CSN reconnaît sa responsabilité dans ce qui est arrivé, quelles leçons tirez-vous comme président de la CSN ?

— Qu’il ne faut jamais rien tenir pour acquis et croire que les choses vont de soi et que, de façon générale, les travailleuses et les travailleurs partagent les aspirations du syndicalisme. Ça nous oblige à nous renouveler et à répéter constamment l’importance et la nécessité d’avoir un syndicalisme à la manière CSN, qui repose en grande partie sur la solidarité entre les catégories d’emplois. Si nous pouvons syndiquer de petites entreprises de 10, 15, 20, 30 travailleurs, c’est parce que nous représentons aussi de grands ensembles de 200, 300, 400 personnes, qui nous permettent justement d’avoir les capacités financières et organisationnelles d’appuyer les travailleurs et les travailleuses qui ont des statuts plus précaires. Ce n’est jamais acquis, et il faut constamment rappeler que la solidarité entre les catégories et les groupes d’emplois, c’est important.

Vous avez répété qu’il est essentiel de renouveler la pratique syndicale, c’est une priorité pour vous ?
— La vie syndicale démocratique, l’autonomie de nos syndicats, est-ce que c’est un modèle qui tient encore la route dans un contexte de montée de l’individualisme ? Il faut se poser la question, il faut s’adapter. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, mais il faut que le renouvellement se fasse, parce que le rapport au syndicalisme pour les travailleuses et les travailleurs n’est plus du tout le même qu’il y a cinquante ans. Il faut prendre la pleine mesure d’où en sont rendus les travailleurs et travailleuses, et adapter notre action et notre pratique en fonction de leurs besoins.

Vous affirmez que l’avenir de la CSN va se jouer dans les prochaines années, est-ce que ça signifie un virage important pour la CSN ?
— On va le souhaiter, mais les virages sont toujours plus faciles à appeler qu’à réaliser. C’est une grosse structure, c’est un gros appareil, il y a des travers bureaucratiques, c’est normal, mais en même temps, ça paralyse l’organisation quand il est question de changement. J’ai mis l’accent là-dessus au congrès en insistant triplement, parce que si on ne le fait pas ce virage-là, ça risque d’être un peu plus difficile, malheureusement, pour l’avenir du syndicalisme à la manière CSN. Mais, je fais le pari qu’on va être capable de le prendre, ce virage. Bien sûr, il se fera en fonction de notre capacité à l’effectuer

Le congrès de la CSN a adopté un plan d’action très ambitieux. Vous avez la conviction d’avoir fait les bons choix ?
— Absolument. Avec l’action syndicale, avec les services qu’on donne aux travailleurs, il est important pour nous de continuer de nous occuper de politique au Québec, pour justement démontrer que si on ne s’en occupe pas, c’est le pouvoir politique qui va s’occuper, lui, des conditions générales de vie des travailleuses et des travailleurs, des citoyens et des citoyennes. Parfois, les gens disent « pourquoi nos syndicats s’occupent de politique, qu’ils s’occupent donc de notre convention collective ». Nous, on fait le lien entre l’importance d’être actif syndicalement dans l’entreprise et dans la société en général, c’est un beau défi ça, je crois.

Voir loin, viser juste, est-ce que ça signifie aussi que la CSN va poursuivre la lutte contre le démantèlement entrepris par les libéraux ?
— Certainement, mais ça veut dire aussi viser plus loin que les prochaines élections du Québec. La CSN va fêter son 100e en 2021, donc on va espérer qu’on sera capable de souligner notre 150e et pourquoi pas notre 200e anniversaire. Mais en même temps, il ne faut pas tenir pour acquis que ça va de soi. Ce virage, s’il ne s’opère pas, ça risque d’être plus difficile pour les prochaines années.

Vous affirmez que la CSN saura rebondir et se projeter dans l’avenir. Êtes-vous certain que les troupes vont suivre ?
— Oui, les troupes vont suivre, c’est le signal envoyé par les délégué-es au congrès. Les gens acceptent les discours francs, à visière levée. Les gens sont prêts à se retrousser les manches pour affronter les nouveaux défis. J’ai bon espoir.

Privilégier l’offre de services aux membres

Si la confection de la proposition budgétaire d’une organisation comme la CSN est toujours un exercice délicat, la confection de celle qui a été présentée au dernier congrès a été des plus exigeantes en raison de la perte de quelque 22 000 membres du réseau de la santé et des services sociaux. Pour la première fois de son histoire récente, la CSN fait face à une décroissance de ses revenus.

La CSN fait face à une situation financière exceptionnelle parce qu’elle vit une décroissance du nombre de cotisants, ce qui ne s’était pas vu depuis une vingtaine d’années. Qu’est-ce qui explique cette situation ?

— Trois éléments, à mon avis. Premièrement, on ne s’est pas totalement remis de la crise financière de 2008 qui a dégénéré en crise économique, ce qui fait qu’il s’est perdu de nombreux emplois dans le secteur manufacturier au Québec, un secteur qui est fortement syndiqué. Les emplois se sont déplacés vers le secteur des services, plus faiblement syndiqué. Deuxièmement, les budgets d’austérité font en sorte qu’il y a des abolitions de postes dans le réseau de la santé et des services sociaux et que ça a un impact important. Le troisième élément, c’est que le mouvement syndical a subi des attaques répétées ces dernières années et on a vu le taux de syndicalisation commencer à fléchir sous les 40 %. Tous ces éléments combinés au vieillissement de la population font en sorte qu’il y a de moins en moins de travailleurs actifs.

Comme trésorier de la CSN, vous avez dû faire des choix très difficiles. Quels sont les grands principes qui ont orienté vos choix budgétaires ?
— Nous avons fait trois choix fondamentaux. On a tenu à donner un signal selon lequel la CSN allait soutenir les travailleuses et les travailleurs en lutte et c’est pour ça qu’on augmente les prestations de grève, de lock-out et de congédiement pour activités syndicales. C’est un premier choix fondamental. Le deuxième choix fondamental, c’est qu’à la suite du congrès de 2011, la CSN a pris des engagements et a revu ses politiques d’aide financière, d’arbitrage de congédiement, de participation à un premier congrès ou à une première négociation d’un syndicat. Nous maintenons ces engagements-là. Le troisième élément, c’est que si on avait suivi nos règles, il aurait fallu couper 1,7 million dans la péréquation versée aux conseils centraux et aux fédérations pour le prochain exercice financier. Pour minimiser les répercussions sur les services aux syndicats, on a maintenu le même niveau de péréquation.

On a ensuite revu l’ensemble des postes budgétaires et notre fonctionnement. On a notamment proposé de réduire la durée des conseils confédéraux, de minimiser les frais de séjour et de déplacement. On a adopté une série de mesures pour réduire les dépenses, mais en fin de course il a fallu supprimer un certain nombre de postes. On en a redéployé, notamment sur le plan de la syndicalisation, pour être encore plus présents dans les régions du Québec.

Est-ce que les syndicats ont des raisons de s’inquiéter du redéploiement des effectifs ?

— Je pense qu’au contraire, ils devraient être encouragés par ce redéploiement. Déjà en 2012-2013, on avait déconcentré une partie du service de syndicalisation en déplaçant des postes de Montréal vers Brossard en Montérégie, Terrebonne dans Lanaudière et Drummondville dans le Centre-du-Québec et ce qu’on constate quelques années plus tard, c’est que dans les régions où on a décentralisé notre service de syndicalisation, ça a eu un effet à la hausse sur la syndicalisation. Donc, on veut aller encore plus loin à cet égard-là en déconcentrant une ressource au Saguenay–Lac-Saint-Jean où on pense qu’il y a un bon potentiel de syndicalisation et une autre dans la région de Granby, qui va couvrir toute la région de l’Estrie où le taux de syndicalisation est un peu plus faible que dans le reste du Québec. Ainsi, on pense qu’avec cette décentralisation, la CSN sera encore plus présente sur le terrain dans les régions où il y a un bon potentiel de syndicalisation et que ça devrait porter des fruits.

Que répondez-vous à ceux qui disent que les compressions de personnel risquent d’affecter directement les services aux membres ?
— Une organisation comme la nôtre, c’est une organisation de services. Quand on réduit le personnel, il y a toujours un danger pour les services, mais je pense qu’on a pris les mesures pour en minimiser les effets. Deuxièmement, une bonne partie des services offerts aux syndicats le sont par les fédérations. La négociation, l’arbitrage de griefs, ce sont les fédérations qui offrent ces services-là. En maintenant la péréquation au même niveau, malgré nos baisses de revenus, on s’assure de ne pas pelleter notre problème dans la cour des fédérations pour des enjeux aussi fondamentaux que la négociation et les arbitrages de griefs.

La CSN devra, malgré tout, supporter un déficit de plus de six millions de dollars. Est-ce que ce déficit est soutenable pour la CSN à court et moyen terme ?
— Le déficit est soutenable parce que d’abord notre Fonds de défense professionnelle est en très bonne santé financière, on peut donc soutenir toutes les luttes des travailleuses et des travailleurs. Le budget de fonctionnement, lui, est un peu plus fragile, mais il faut comprendre qu’une bonne partie du déficit de six millions, je dirais la moitié, vient du fait que notre exercice financier est commencé depuis le 1er mars. Une bonne partie des économies réalisées avec les réductions de postes vont se réaliser au début de l’automne, alors que nos revenus eux ont commencé à décroître depuis le 1er avril. Il faut voir le budget 2017-2020 comme un budget de transition. En 2020-2023, on devrait recouvrer une situation financière tout à fait respectable.

La CSN n’est pas à l’abri d’un possible vote d’allégeance, par exemple dans le secteur de l’éducation ou ailleurs. À quelles conditions la CSN pourra ressortir plus forte et mieux équipée pour y faire face ?

— On a prévu des budgets assez importants du point de vue de la syndicalisation pour accroître notre présence dans le secteur privé, que ce soit dans l’industrie manufacturière, les communications, la construction ou le commerce. Si jamais il y a de nouvelles lois qui forcent des votes, des sommes d’argent seront disponibles pour y faire face. J’ajouterais qu’on va réaliser un bilan de la période qu’on vient de traverser, à visière levée, avec toute la transparence dont on est capable, pour que pareille situation ne se reproduise pas.

Pour vous la transparence financière, c’est important?

— C’est une valeur fondamentale à la CSN. Les gens paient des cotisations syndicales et s’attendent à ce qu’on soit transparent quant à l’utilisation qu’on fait de leurs cotisations. Le débat sur le budget au congrès a duré plus d’une journée, avec toutes les informations qu’on pouvait donner aux délégué-es pour qu’ils puissent prendre des décisions éclairées.

Estimez-vous que la CSN pourra sortir plus forte de la situation financière qu’elle traverse en ce moment ?

— C’est un coup dur à passer, mais on a une bonne structure financière, un fonds de défense professionnelle bien garni, un fonds de soutien extraordinaire qui peut venir appuyer le budget de fonctionnement. On va passer à travers cette période difficile avec les choix qu’on a faits et je suis persuadé qu’on en sortira grandis.

Un plan d’action qui vise juste

Voir loin, viser juste, c’est le fondement du plan d’action présenté aux délégué-es du 65e Congrès de la CSN. Ce plan d’action est le reflet des préoccupations soulevées par les syndicats rencontrés lors de la tournée précongrès, autour de cinq grands thèmes touchant l’emploi, le revenu, la lutte contre les changements climatiques, la consolidation des services publics et le renforcement de la démocratie.

Au cours des trois prochaines années, les syndicats seront appelés à mettre en œuvre les mesures nécessaires à la réalisation du plan d’action de la CSN, qui s’avère ambitieux et dont le succès dépend de l’engagement de tous.

Parmi les priorités, la protection des services publics, car depuis l’élection des libéraux de Philippe Couillard, malgré tous les efforts déployés pour contrer l’entreprise de démolition de l’État social québécois, l’obsession du déficit zéro a privé des dizaines de milliers de Québécoises et Québécois des services auxquels ils ont droit. Les mesures d’austérité ont eu des effets dévastateurs, non seulement sur les travailleuses et travailleurs du réseau public de santé, de services sociaux et d’éducation, mais aussi chez tous les citoyens et citoyennes qui ont subi des hausses tarifaires répétées, notamment en matière de frais de garde, d’accès aux soins de santé ou de coûts d’électricité.

Au cours des trois prochaines années, la CSN veut investir le terrain politique, à sa façon, par l’action syndicale, pour mettre un terme au saccage de nos services publics. L’orientation idéologique de ce gouvernement met en péril la qualité de vie et des emplois des classes moyennes et populaires, et l’approche d’une élection permettra de susciter des débats et une mobilisation sur ces enjeux cruciaux pour la société québécoise. Le plan d’action propose donc d’aller à la rencontre des membres dans leurs milieux de travail pour ouvrir un espace de réflexion sur le Québec que nous voulons.

Pour Karine L’Écuyer, du Syndicat des enseignantes et enseignants du Cégep Montmorency, « il est important de poursuivre les batailles sociales qui mettent de l’avant l’ensemble de nos valeurs. Il faut qu’on s’inquiète pour l’ensemble de la société. Nous sommes dans des mesures d’austérité permanentes, alors il faut qu’on soit en lutte permanente, à mon avis ».

Nécessaire réforme des lois du travail

La CSN propose une réforme majeure de la Loi sur les normes du travail et de ses règlements, qui touchent à la fois le salaire minimum, les congés, les vacances, l’équité de traitement ou les licenciements collectifs. La CSN veut garantir des emplois de qualité, ce qui inclut un salaire décent pour toutes et tous dans l’ensemble des régions du Québec.

Pour Kevin Gagnon, président du Syndicat des travailleurs et travailleuses de Bridgestone Joliette, la campagne du 5-10-15 est essentielle. « Les travailleurs, chez nous, gagnent plus de 15 $ l’heure, mais pour ce qui est des 10 jours de congé payés pour cause de maladie ou pour la famille, même dans un syndicat mature de 40 ans comme le nôtre, on n’en bénéficie pas. C’est la Loi sur les normes qui s’applique, 10 congés pour obligations familiales, c’est tout. On n’a pas de congés payés. Même chose pour la demande qui réclame cinq jours d’avis pour les changements d’horaire, c’est important pour nous, pour l’organisation de la vie des jeunes familles. »

Josée Chamberland, du Syndicat du soutien scolaire des Appalaches, partage également ce point de vue. À ses yeux, la campagne 5-10-15 est très importante. « C’est fondamental pour nous, il faut en parler à nos membres, démystifier ça. Plusieurs d’entre eux nous disent que ça n’a pas de bon sens d’augmenter le salaire minimum à 15 $ l’heure. Que nos entreprises vont devoir augmenter les prix, vont faire faillite, alors qu’on sait très bien que ce n’est pas la réalité, que ce sont des entreprises qui font des profits importants. »

Pour Michel Paré, président du Syndicat des travailleurs de l’Hôtel Bonaventure à Montréal, « l’amélioration de la Loi sur les normes du travail et la réforme du Code du travail, c’est une priorité. Plusieurs syndicats ont dû faire la grève ou ont subi des lock-out. Mon syndicat a fait cinq semaines de grève et ce qui a fâché les collègues, ça a été de constater qu’il y avait quelqu’un d’autre qui faisait leur travail pendant qu’ils étaient dans la rue et qu’ils n’avaient pas de salaire. Notre employeur a continué d’opérer pendant qu’on était en grève grâce au personnel des agences, du personnel qu’il cachait dans des chambres. On était impuissants devant ça. L’inspecteur du travail ne pouvait pas être là tout le temps. Les briseurs de grève, les agences de placement, il y a un gros ménage à faire là. »

Maintien d’emplois de qualité

La CSN réclame depuis très longtemps, une véritable politique industrielle accompagnée de ressources financières. Un projet qui compte beaucoup pour Kevin Gagnon. « Le secteur manufacturier a connu de lourdes pertes dans les dernières années, c’est important qu’on soit capable de mettre des balises et qu’on garde des emplois de qualité au Québec. Il faut être capable d’obliger les entreprises à faire de la deuxième et de la troisième transformation ici. » Une préoccupation que partage entièrement Raphaël Jobin, président du Syndicat des travailleurs du Chantier naval de Lauzon. « C’est une grande priorité pour nous. Ce qu’on a voulu, c’est inclure la construction navale dans une politique industrielle. C’est le nerf de la guerre pour notre fédération, la Fédération de l’industrie manufacturière. Si on n’a pas quelque chose de concret à amener aux politiciens fédéraux et provinciaux, on ne pourra pas survivre comme chantier. On a déjà eu des engagements clairs, mais ça a été balayé après les élections. On a été fermé pendant sept ans. Notre combat, c’est aussi celui d’une partie de la population. »

Développement durable et transition juste

Sur le plan environnemental, la CSN propose la mise en place d’une Charte de l’environnement qui favorise une transition juste et écologique des emplois. Une proposition qui rejoint Karine L’Écuyer. « La question de l’environnement est intéressante quand il est question de trouver des nouveaux secteurs d’emploi pour aider les gens qui travaillent actuellement dans des secteurs polluants, dans des secteurs où on ne veut pas investir pour l’avenir. Pour ça, la CSN a un gros travail à faire pour convaincre la population qu’il y a d’autres options, rassurer les travailleuses et travailleurs et ne pas les laisser tomber. »

Sauvegarde de services publics de qualité

La CSN veut s’assurer du maintien de l’universalité, de l’accessibilité et de la qualité des services publics. Elle réclame un réinvestissement dans les services publics et les programmes sociaux. Le plan d’action de la CSN entend contrer la privatisation des services publics et la prolifération de la sous-traitance dans tous les secteurs d’activité. « Ce qui m’interpelle le plus, c’est l’accessibilité et la défense des services publics », nous dit Marie-Claire Desbiens, secrétaire générale du Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. « Les libéraux sont en train de tout détruire. La privatisation me fait très peur, parce que Barrette, c’est ça qu’il veut, et c’est là qu’on s’en va. Il va falloir être très présent. Être visible, faire connaître nos luttes, intéresser les médias. »

Consolidation de la démocratie

Pour renforcer la démocratie, la CSN exige depuis des années une révision en profondeur du mode de scrutin et le maintien d’une information de qualité dans toutes les régions du Québec. En cette ère de désinformation, les citoyens ont plus que jamais besoin d’une information équilibrée et de qualité qui touche leurs préoccupations, où qu’ils se trouvent.

À la recherche de solutions

Plus que jamais, la participation à la vie syndicale préoccupe les syndicats de la CSN. Tout le monde en parle. On cherche la recette, la bonne, celle qui permettra de susciter des vocations, d’attirer les membres aux assemblées générales. En un mot, de responsabiliser les travailleurs et les travailleuses.

Les questions de vie syndicale et de démocratie syndicale étaient sur toutes les lèvres au cours du 65e Congrès de la CSN. La perte récente de plus de 22 000 membres suscite des inquiétudes dans les syndicats, qui veulent à tout prix renouveler la démocratie syndicale. « La CSN a vécu la désaffection de plus de 22 000 de ses membres, mais il faut se dire que ça aurait pu être pire. On est effrayés quand on voit un chiffre pareil, mais ça aurait pu être pire, et là, c’est la raison même de la CSN qui aurait pu être fragilisée. Et ça, c’est quelque chose qui peut se produire très rapidement », note Christian Nadeau, professeur de philosophie de l’Université de Montréal, conférencier au 65e Congrès de la CSN et auteur du livre Agir ensemble, penser la démocratie syndicale. Pour lui, le constat est brutal, mais aucun syndicat n’est à l’abri d’une pareille menace : « Sans vouloir être prophète de malheur, je pense que ce qui s’est passé dans le secteur de la santé et des services sociaux pourrait très bien se reproduire ailleurs, par exemple en éducation. Le gouvernement québécois sait très bien ce qu’il fait depuis 2010-2011. Il avance lentement, pas à pas, lentement mais sûrement, et on sous-estime le côté planifié de ses actions. Les choses se sont faites progressivement, mais avec une grande violence à tous les niveaux. »

Et il n’y a pas que les services publics qui sont menacés, croit Michel Paré, président du Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôtel Bonaventure Montréal : « C’est un choc de perdre autant de membres, c’est la force de notre mouvement qui en est affectée et on sait que ça peut arriver dans nos secteurs aussi. Si on nous forçait à tenir des votes d’allégeance dans tous nos syndicats demain matin, j’ai l’impression qu’on aurait des surprises dans plusieurs d’entre eux. »

Un virage qui s’impose

Le mouvement syndical devra donc, plus que jamais, s’interroger et prendre le virage qui s’impose, selon le professeur Nadeau. « Il n’y a pas de recette parfaite, mais plusieurs manières de faire. Les gens ne viennent plus aux assemblées générales, parce qu’ils ne veulent plus subir la procédure, ils ne se sentent pas concernés et plusieurs croient que tout est déjà décidé à l’avance, qu’ils ne servent qu’à justifier le quorum. Il faut leur offrir des lieux de discussion informels, où ils pourront s’exprimer librement et mieux se préparer aux assemblées générales. »

Au Syndicat des enseignantes et enseignants du Cégep Montmorency, on croit aux vertus des lieux de discussion informels. On a mis en place des kiosques, des dîners-causeries, des comités, nous dit sa présidente, Karine L’Écuyer : « On essaie de multiplier les lieux. Nous, on a une vie syndicale très forte, je dirais qu’on a une belle assemblée générale et beaucoup de membres participent aux comités syndicaux. Les gens veulent avoir une prise sur ce qui se passe. Faire en sorte que leurs idées soient entendues, mais il y a une réflexion à avoir dans l’ensemble de la structure. »

Pour Kevin Gagnon, président du Syndicat des travailleurs et travailleuses de Bridgestone à Joliette, la situation est plus difficile. « Nous avons un syndicat de 1100 membres et j’ai les mêmes problèmes parfois que les petits syndicats pour obtenir le quorum. La vie syndicale, c’est important, ce n’est jamais gagné, il faut recommencer tout le temps. Nous, on a différents horaires de travail, ça rend difficile l’organisation de dîners-causeries, mais on pourrait songer à faire des regroupements en dehors des heures de travail pour participer ensemble plus activement à la vie syndicale. Ce que je comprends des différentes propositions faites au congrès, c’est qu’on va donner de l’appui aux différents syndicats, aux conseils centraux et aux fédérations pour nous aider à donner les meilleurs services à nos membres. »

Au Chantier naval de Lauzon, la vie syndicale était, il n’y a pas si longtemps, un très grand sujet de préoccupation. Et c’est justement ce qui a incité Raphaël Jobin, un travailleur sans expérience syndicale, à se présenter à la présidence du Syndicat des travailleurs du Chantier naval de Lauzon. « Nous avons présenté une équipe pour que les jeunes prennent leur place. Le comité exécutif et le conseil syndical au complet ont été remplacés d’un coup. On a mis l’accent sur l’information aux membres. On a consulté nos membres, plus qu’ils ne le voulaient parfois. On a fait des assemblées consultatives et les gens ont bien répondu. »

Un syndicat, plus qu’une police d’assurance

Pour Christian Nadeau, le problème, c’est que les syndiqué-es ont parfois tendance à oublier l’importance d’une vie syndicale active et d’une véritable démocratie syndicale. « Les membres finissent par ne plus percevoir le syndicalisme comme quelque chose dont ils font partie, mais plutôt comme quelque chose dont ils sont membres, au sens où on est membre d’un club de golf ou d’un gym, d’un endroit où on va chercher des services. Mais beaucoup de gens ont oublié que les droits dont ils jouissent, ici et maintenant, sont des droits acquis. Ils finissent par croire que c’est normal. Ils oublient que ces droits sont tout récents, qu’ils n’ont même pas une génération. »

Le Québec a un taux de syndicalisation beaucoup plus élevé qu’en Europe ou qu’aux États-Unis, ce qui est à la fois une force et une faiblesse, selon Christian Nadeau, dans la mesure où cela provoque un certain confort, qui incite le milieu syndical à se voir comme un gestionnaire de conventions collectives. Le danger, selon lui, c’est que le syndicat « fasse une partie du travail du patronat. Le patron est très content d’avoir des gens qui gèrent la convention collective, parce qu’en même temps, ils gèrent les relations de travail. Lui n’a plus besoin de s’en occuper, puisque c’est le syndicat qui le fait à sa place. S’il y a des problèmes sur les lieux de travail, c’est le syndicat qui va prendre le blâme, et non le patron. Des employeurs pourraient en arriver à se dire, pourquoi on n’aurait pas une compagnie d’assurance qui gérerait une relation contractuelle avec l’employeur ? Une compagnie qui s’occuperait uniquement de la relation contractuelle avec les employeurs ». Autre observation du professeur Nadeau, la judiciarisation des relations de travail coûte très cher et ne se fait pas toujours dans l’intérêt des membres.

Il met en garde le mouvement syndical contre les dangers du repli sur soi et de la défense des intérêts corporatistes de ses membres. « Si le milieu syndical réagit de manière corporatiste à des demandes corporatistes, le syndicat finira par être perçu comme une simple “police d’assurance”, dont on peut se débarrasser à sa guise. »

Face aux nombreuses agressions subies par le milieu syndical, Christian Nadeau prône la combativité. « Il est important d’affirmer ses positions politiques, d’intégrer les luttes sociales à notre action syndicale et de ne pas être aveugle à la misère des gens. »

La grande menace est à nos portes

Partout sur la planète, le populisme d’extrême droite fait des ravages. L’élection de Donald Trump en est un exemple frappant. La machine à broyer les libertés resserre son étau et le mouvement ouvrier est le premier à en subir les conséquences. Comment vaincre le populisme ? Pour répondre à cette question, le 65e Congrès de la CSN a organisé un séminaire international auquel ont participé des syndicalistes de cinq pays. Le spécialiste de la politique américaine, Donald Cuccioletta, s’est aussi adressé aux délégué-es.

«Il ne suffit pas de dire que Donald Trump est un “fou”, un “malade mental”, qui ne sait pas ce qu’il fait, car il sait très bien ce qu’il fait, mais ce n’est pas lui qui décide. Donald Trump n’est pas tombé du ciel, c’est l’aboutissement d’un travail entrepris par les républicains sous Ronald Reagan dans les années 80. Il est un pur produit de la classe capitaliste du 1 % les plus riches. » Donald Cuccioletta connaît bien la politique américaine, et la lecture qu’il fait des conséquences de l’élection de Donald Trump a de quoi glacer le sang. Les États-Unis sont en mode recul. Les dégâts s’accumulent et les républicains vivent une heure de gloire qui risque de s’éterniser. Majoritaires au Sénat et à la Chambre des représentants, ils sont en position de force dans 36 états sur 50 et sont en voie de transformer radicalement l’Amérique, nous dit le chercheur de la Chaire Raoul-Dandurand : « Ce que veulent les extrémistes de droite, les idéologues du parti républicain comme le vice-président Mike Pence ou Paul Ryan, le président de la Chambre des représentants, c’est retourner 100 ans en arrière. “Make America Great Again”, ça veut dire revenir au capitalisme sauvage de la fin du 19e siècle. Ils veulent retrouver leur pouvoir hégémonique, sur le plan économique et militaire, et s’isoler de tous ceux qui ne veulent pas suivre leurs volontés. Ce que les extrémistes de droite ne comprennent pas, c’est que le monde a changé. Les pays ne peuvent vivre indépendants les uns des autres. »

À ceux qui croient que le départ de Donald Trump est la solution, le chercheur fait cette mise en garde : « Avec Donald Trump, on pense que le ciel nous est tombé sur la tête, mais dites-vous bien que le vice-président Mike Pence est pire. Et si ce n’est pas Mike Pence qui le remplace, ce sera Paul Ryan, qui lui, est pire que les deux autres. »

Partenariats économiques et syndicaux en péril

Selon Donald Cuccioletta, nous risquons de vivre une période de chaos prolongée qui touchera aussi le Canada, principal partenaire économique des États-Unis. Donald Trump menace de déchirer l’ALÉNA, et ses attaques contre le bois d’œuvre, ses menaces contre Bombardier ou le secteur de l’aluminium, mettent en péril nos emplois. Le chercheur lance donc un appel à la résistance. L’opposition devra se construire avec le Mexique, le Canada et le Québec. Mais, ce ne sera pas facile, fait-il remarquer : « Il y aura beaucoup de travail à faire du côté américain. Jusqu’où les syndicats américains sont-ils prêts à se battre ? Plusieurs d’entre eux sont convaincus que les emplois perdus en raison de l’ALÉNA sont allés au Canada. »

S’il faut en croire Kari Thompson, de la United Electrical Radio and Machine Workers of America, le mouvement syndical américain est mal préparé à faire face aux attaques des populistes d’extrême droite au pouvoir à Washington. « On se demande ce qu’il adviendra du mouvement syndical aux États-Unis. La participation syndicale est en déclin, à cause de la désindustrialisation qui a mené à un manque d’emplois traditionnels. On observe aussi la montée du travail précaire et des attaques soutenues contre le mouvement syndical. Les gens moins éduqués ont été gagnés par les mensonges de Trump, qui promettait un retour à une économie manufacturière des années 60. L’ironie, c’est que si ces emplois étaient si bons à l’époque, c’est parce que ces secteurs étaient syndiqués. » Un espoir toutefois, selon Kari Thompson, dans ce pays dominé par l’extrême droite populiste, des organisations de gauche connaissent un véritable regain de popularité depuis l’élection de Donald Trump. « Nous projetons de faire des coalitions pour renforcer notre capacité à mettre de l’avant une série de politiques de gauche pour notre pays. »

Déroute de la gauche

En Europe, le populisme d’extrême droite est devenu un vrai fléau, observe Adolfo Munoz, de Euskal Sindikatua du Pays basque : « Les politiques d’ajustement et les réformes structurelles ont eu un effet dévastateur en faisant exploser les inégalités sociales et le chômage. La crise de la social-démocratie et les échecs des partis de gauche ont divisé les groupes sociaux et progressistes ainsi que le mouvement syndical. La corruption de la classe politique est devenue endémique et le terrorisme, qui frappe le cœur même des pays industrialisés, a propulsé les électeurs vers les partis d’extrême droite qui proposent des solutions radicales. » Il constate que la migration massive de réfugié-es provoque une hausse de la xénophobie dans plusieurs pays. « Les gens affichent ouvertement et avec fierté leur haine contre l’étranger. La solution de la droite, c’est l’expulsion et la fermeture des frontières et la discrimination. »

Au Pays basque, Adolfo Munoz, de Euskal Sindikatua, déplore lui aussi les attaques coordonnées contre le syndicalisme et les mouvements progressistes. « Le but des attaques contre les lois du travail, c’est d’éliminer le mouvement syndical. Nous devons renforcer le syndicalisme. »

Pour Julio Dorval de Fuentes, de la centrale syndicale argentine, Central de Trabajadores de la Argentina Autónoma, « il ne suffit pas de dire que l’extrême droite est mauvaise, il faut réaliser que le bon capitalisme n’existe pas. Il faut cesser de croire que le capitalisme produit du bien-être, de la richesse et du bonheur. On ne peut laisser perdurer le capitalisme sauvage. Nous avons un débat à mener. Les syndicats doivent se donner un rôle ».

En France, pour lutter contre le discours populiste de l’extrême droite, qui séduit une grande partie de la classe populaire touchée par le chômage, la pauvreté et la précarité, la CGT, la Confédération générale du travail, organise depuis des années des campagnes d’information et des journées d’étude sur l’extrême droite. La CGT a fait de la lutte à la xénophobie une priorité, nous dit Jérôme Vivenza. « Les idées d’extrême droite entrent dans le discours de nos membres et ça nous inquiète. Nous devons redonner le pouvoir aux salarié-es pour qu’ils n’accordent plus leur confiance à l’individu le plus charismatique ou à l’organisation la plus populiste. »

Au Brésil, tous les progrès sociaux réalisés sous la présidence de Lula Da Silva et de sa successeure, Dilma Rousseff, sont en voie d’être effacés depuis l’élection de 2014, qui s’est soldée par un coup d’État légalisé par les tribunaux et les députés, selon Carmen Ferreira Ford, de la Central Unica dos Trabalhadores. Elle rappelle que « sous la gouverne de Lula et de Dilma, 40 millions de personnes sont sorties de l’extrême pauvreté. Ils ont créé des programmes sociaux qui ont transformé les secteurs de la santé, de l’éducation et de la famille. Ils ont introduit un salaire minimum, investi dans les universités et le logement social et ils ont créé 20 millions de nouveaux emplois ».

Aujourd’hui, elle constate que l’extrême droite a repris les pouvoirs avec l’appui du capital et des médias. « Nous vivons une montée en force de la haine, du racisme, de la misogynie et des exclusions de toutes sortes. »

Carmen Ferreira Ford plaide pour la reconstruction de la démocratie : « Nous voulons des élections directes où tout le monde pourra voter. Il y a maintenant une alliance très forte entre les mouvements sociaux et syndicaux. Nous avons vécu en avril dernier la plus grande grève générale de l’histoire du Brésil. Pour l’instant, il n’y a pas encore d’unité entre les centrales pour mettre fin au gouvernement actuel, mais on ne perd pas espoir. »

2017, une année de négociations à conclure

Si l’année 2016 a été marquée par la négociation du secteur public, avec la ratification de l’entente de principe conclue avec le gouvernement du Québec, il n’en demeure pas moins que de nombreux pourparlers ont eu lieu dans le secteur privé et le secteur parapublic en vue de préparer les négociations de 2017. À la CSN, environ 600 syndicats doivent renouveler leur contrat de travail cette année.

À la Fédération du commerce (FC–CSN), un gros chapitre s’est terminé l’année dernière. À l’exception de quelques hôtels comme le Reine Elizabeth à Montréal (fermé un an pour des rénovations), la négociation dans l’hôtellerie se déroule bien avec des hausses salariales de 3 %, 3 %, 3 % et 4 %. On envisage donc l’année avec optimisme. « Avant, dans l’ensemble des secteurs représentés par la FC–CSN, c’était difficile d’obtenir des augmentations salariales de 2 %. Maintenant, la tendance est autour de 2,5 %. Disons qu’on respire mieux », analyse le président de la fédération, Serge Fournier.

D’ailleurs, selon les prévisions salaria­les 2017 de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), la hausse moyenne devrait s’établir à 2,5 % au Québec, variant entre 2,2 % pour les administrations publiques et 2,7 % pour les secteurs de la finance, de l’assurance et de l’immobilier. C’est légèrement plus optimiste que la moyenne canadienne qui se situe à 2,3 % en raison des feux de forêt de Fort McMurray, qui ont affaibli le secteur primaire.

N’empêche, tout n’est pas gagné pour autant. Par exemple, les quelque 800 salarié-es syndiqués aux usines Olymel de Sainte-Rosalie et de Berthierville, demeurent prudents. « Olymel n’a pas un historique facile de négociation. Dans le passé, les salarié-es ont dû faire des concessions pour que l’usine prospère et demeure concurrentielle. Aujourd’hui, le syndicat est fin prêt pour la négociation et les 400 membres s’attendent à un retour d’ascenseur afin que l’on reconnaisse leurs efforts passés », avance le président du Syndicat des employé-es de l’usine de transformation de la volaille de Sainte-Rosalie, André Ménard.

Même son de cloche du côté de la Fédération de l’industrie manufacturière (FIM–CSN). « La conjoncture est plus favorable. Les entreprises investissent de plus en plus, donc, on ne fait pas juste sauver la mise. Les dernières années, il fallait toujours sauver les meubles en raison des relents de la crise économique », explique le président Alain Lampron. Quelque 400 travailleurs sylvicoles seront en négociation coordonnée cet automne. Trois sections de pompiers forestiers de la SOPFEU négocieront aussi un nouveau contrat de travail, de même que les travailleurs de 18 concessionnaires automobiles répartis dans trois régions (Matane, Victoriaville et Estrie). Les regards se tourneront aussi vers Bibby-Ste-Croix, General Dynamics, Unibéton, Scientific Games et Orica-Canada. De plus, l’arrivée au pouvoir de Trump aux États-Unis force une vigilance accrue auprès des industries du bois d’œuvre et des autres secteurs touchés par la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain.

Si le contexte est plus favorable du côté du commerce et du manufacturier, on ne peut pas en dire autant pour le secteur médiatique. Récemment, la Fédération nationale des communications (FNC–CSN) a fait parvenir 14 recommandations aux député-es de l’Assemblée nationale pour soutenir les médias qui sont malmenés par la perte de revenus publicitaires, au profit des géants technologiques comme Google et Facebook. C’est dans ce contexte que La Presse négocie cette année. À Radio-Canada, même si le gouvernement de Justin Trudeau a réinjecté des millions de dollars, les quelque 3000 salarié-es sont toujours sans contrat de travail. Certains, depuis quatre ans. « Ce n’est pas facile d’unifier trois conventions collectives pour une première fois. Le dépôt commun des demandes a eu lieu en mai 2016 et le climat est plus productif depuis l’automne dernier, alors que l’employeur a conclu une entente avec le syndicat des réalisateurs. Pour nous, c’est ambitieux de conclure cette année, mais c’est réaliste. Une quinzaine d’articles mineurs ont été réglés et on commence à entrer dans le cœur des discussions, soit la semaine de travail, l’affichage de poste, etc. », explique Johanne Hémond, présidente du Syndicat des communications de Radio-Canada (SCRC–CSN).

À la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP–CSN), 21 000 membres doivent renouveler leur contrat de travail, dont les agents de la paix en services correctionnels pour lesquels une entente était intervenue au moment d’aller sous presse, les employé-es de magasins et de bureaux de la SAQ, plusieurs employé-es municipaux, les travailleuses et travailleurs des sociétés de transport de Québec (entente également intervenue à la mi-mars) et de Montréal ainsi que des casinos du Québec et de Gaz Métro. Les travailleuses des CPE et les travailleurs issus du secteur ambulancier, représentés par la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS–CSN), tenteront également d’améliorer leurs conditions de travail. Le milieu de l’enseignement n’est pas en reste, avec la négociation de plus de 33 syndicats affiliés à la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ–CSN), dont ceux de chargés de cours, de professeurs et de tuteurs.

Dans le secteur de la construction, les négociations ont débuté vers la mi-janvier et il n’a suffi que de trois semaines avant que la partie patronale demande l’intervention d’un conciliateur dans les secteurs institutionnel-commercial et industriel (IC/I). « La partie patronale est revenue de façon plus agressive qu’à la dernière négociation sur la question des heures supplémentaires. Ce sera l’un des principaux enjeux entre l’Alliance syndicale et l’Association de la construction du Québec (ACQ). À la CSN-Construction, on veut que les employeurs reconnaissent une exclusivité sur les fonctions des arpenteurs, qui ont un titre occupationnel. Présentement, certaines de leurs tâches peuvent être faites par d’autres corps de métier et on veut que ça cesse », défend Pierre Brassard, président de cette fédération. La CSN-Construction représente 63 % des arpenteurs du Québec et 8000 membres, qui négocieront, comme le veut la tradition, aux côtés des quatre autres syndicats de la construction.

Enfin, une négociation piétine toujours avec le ministère de la Santé et des Services sociaux, celle des 200 sages-femmes à la Fédération des professionnèles (FP–CSN), dont l’entente est échue depuis la fin mars 2015. Alors qu’elles cherchent à bonifier leur rémunération de garde, leurs libérations professionnelles et leurs conditions de travail en régions éloignées, la partie patronale refuse de bouger tant qu’il n’y aura pas une bonification des redditions de comptes afin d’élaborer de meilleurs indicateurs de performance.

De réelles avancées, mais encore du chemin à parcourir

Trente ans se sont écoulés depuis l’adoption en 1987 de la première plateforme commune des chargé-es de cours membres de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ–CSN). À l’époque, six syndicats provenant de différentes universités (universités du Québec à Montréal, Chicoutimi et Rimouski, Université de Montréal et Université Laval) avaient décidé de s’appuyer les uns les autres pour tenter de réaliser des gains, notamment en matière de rémunération, en adoptant une plateforme de demandes communes. Cette première négociation coordonnée sera fructueuse. Au cours des années qui suivront, les chargé-es de cours connaîtront une augmentation salariale moyenne de 60 %.

Aujourd’hui, les chargé-es de cours forment le plus vaste corps enseignant des universités québécoises. Non seulement ils enseignent au premier cycle, mais ils sont de plus en plus responsables de l’enseignement dans les programmes de maîtrise et de doctorat. Malgré cela, beaucoup de chemin reste à parcourir pour faire reconnaître leur contribution à l’enseignement universitaire.

Lorsqu’on compare leur rémunération, nous constatons qu’un grand écart existe entre les professeur-es et les chargé-es de cours, et partout, la rémunération est injuste et discriminatoire envers eux. « Il existe un énorme déséquilibre entre les professeurs et les chargés de cours, non seulement par rapport aux salaires, mais aussi par rapport à l’intégration dans la vie démocratique de l’université et à l’accès à la recherche, remarque Sylvain Marois, chargé de cours au Département des littératures à l’Université Laval et vice-président de la FNEEQ–CSN. Ce qui nous permet de parfaire nos connaissances et de rester à l’affût de notre domaine d’étude, c’est la recherche. Ne pas avoir accès à la recherche peut carrément mener à la déqualification. C’est pour cette raison qu’on se bat pour l’accès à des fonds de recherche distincts de ceux qui sont réservés aux professeurs. »

Les demandes inscrites dans l’actuelle plateforme commune, adoptée en mai 2016, visent à corriger ces déséquilibres. Les revendications portent entre autres sur la réduction de l’écart salarial entre les professeur-es et les chargé-es de cours, sur l’accès à la retraite et aux protections sociales, dont les assurances, sur l’encadrement de la taille des groupes d’étudiants et autres améliorations aux conditions d’enseignement et sur l’intégration, la représentation et la reconnaissance des chargés de cours au sein de la communauté universitaire.

Une mobilisation gagnante

La négociation coordonnée a déjà porté ses fruits en 2017. Au début de février dernier, le Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQAM (SCCUQ–CSN) a approuvé une entente de principe avec une augmentation totale de 8,61 % sur quatre ans, une clause remorque avec les professeurs pour 2019 et d’autres gains en matière d’accès à la recherche. Après une grande mobilisation sur le terrain et l’adoption d’une banque de jours de grève, la direction de l’Université du Québec a rapidement réglé avec le syndicat. Voilà une première leçon à retenir.

La présente ronde de négociation coordonnée compte sur la participation de presque tous les syndicats de chargé-es de cours affiliés à la FNEEQ–CSN — sauf deux, ce qui représente plus de 10 000 chargé-es de cours.

Une négociation ciblée

L’entreprise A. Lassonde, propriétaire de 14 usines en Amérique du Nord et deuxième producteur de jus aux États-Unis, qui produit entre autres les jus Oasis, négociera dans les prochains mois la convention collective des 250 travailleuses et travailleurs de son usine de production située à Rougemont. Et si la recette du réputé jus de pomme comprenait aussi comme ingrédient de bonnes relations de travail avec les salarié-es ?

La conception des demandes syndicales

Cédric Lucas, président du Syndicat des travailleurs et travailleuses de A. Lassonde, affilié à la Fédération du commerce–CSN, explique que de la mi-novembre jusqu’au début du mois de février, les membres ont été sondés sur leurs priorités pour la prochaine négociation.

« Un examen des différents griefs a été réalisé afin de cibler les clauses qui ne fonctionnaient pas dans la convention collective. Nous avons également pris le pouls des membres en utilisant une boîte à suggestions bien visible à l’entrée des casiers ; les deux demandes qui sortent du lot sont l’amélioration du programme de retraite anticipée et l’augmentation du nombre de jours de vacances », nous confie le président du syndicat.

Une convention collective qui arrive à maturité

La dernière négociation s’est plutôt bien déroulée. Le syndicat n’a même pas eu recours à des moyens de pression. « Il n’a fallu que trois séances de négo pour en venir à une entente de principe », indique Cédric Lucas. Cette situation s’explique par le fait que l’entreprise était alors en mode acquisition. Plusieurs personnes venaient de l’étranger pour visiter les installations. L’employeur ne voulait pas donner l’impression qu’il avait de mauvaises relations avec ses employé-es.

Le président du syndicat est plutôt positif pour les prochaines négociations. Mais comme dans toute négociation où les différentes parties ont des intérêts qui peuvent parfois diverger, les intentions de l’employeur se feront sentir à la table de négociation. « Même si l’on sent de l’ouverture et que les relations de travail sont bonnes, c’est lors des premières séances qu’on verra réellement ce qu’il en est », conclut Cédric Lucas.

Un nouveau dans la famille CSN

Vis-à-vis Donnacona, de l’autre bord du fleuve, un gros syndicat vient de se joindre à la famille CSN. Les 320 employé-es de l’usine Bibby-Ste-Croix, à Sainte-Croix (Lotbinière), ont quitté les rangs de la CSD à la fin de l’année dernière afin d’obtenir de meilleures conditions de travail. « Ça faisait plusieurs années qu’il y avait du mécontentement et disons que la dernière négo a été plutôt molle. Étant donné qu’on sort d’un vote d’allégeance, on n’a pas encore commencé à négocier notre prochain contrat. C’est sûr qu’on veut commencer le plus rapidement possible, mais on veut aussi prendre le temps de bien faire les choses », explique le président du Syndicat des travailleurs et travailleuses de la fonderie Bibby–CSN, Éric Moffet. La convention collective de cinq ans vient à échéance le 6 mai prochain.

Bibby-Ste-Croix est un manufacturier de tuyaux et de raccords en fonte pour les systèmes sanitaires. Une entreprise presque centenaire puisqu’elle célèbrera ses 100 ans en 2021, en même temps que la CSN. Le prochain contrat de travail chevauchera donc cet anniversaire. « On souhaite notamment régler le problème de roulement de personnel. C’est vrai que le travail n’est pas toujours facile. Il y a de la chaleur et de la poussière, parfois il faut manipuler des pièces qui sont assez lourdes, et il y a des horaires atypiques à la maintenance. Les gens partent après un certain temps. N’empêche, ce n’est avantageux pour personne qu’il y ait tant de roulement », soutient celui qui compte six ans de service.

Parmi les autres points de négociation, s’assurer que les futures relations de travail soient davantage basées sur la coopération plutôt que la confrontation. Sur le plan salarial, le syndicat souhaite des augmentations générales plus avantageuses que les 55 cents à 60 cents l’heure pour chaque année du contrat en cours. Présentement, les journaliers et les préposés au ménage gagnent 22,20 $ l’heure, les meuleurs, 22,37 $ et les électriciens de classe A, 26,13 $.

Se battre à l’interne dans une multinationale

Dans les Laurentides, la convention collective d’Orica-Canada est venue à échéance le 4 avril dernier. Cette usine est spécialisée dans les explosifs commerciaux et les systèmes de dynamitage destinés au secteur minier et au secteur des infrastructures. Un contrat de travail qui aura duré cinq ans et qui aura été marqué au fer rouge. Plus de la moitié des emplois ont disparu alors que l’entreprise australienne a transféré une bonne partie de sa production au Mexique et au Chili. « C’est difficile quand la concurrence est à l’interne. Orica a le quasi-monopole mondial dans son domaine. C’est facile pour eux de déplacer la production dans leurs installations au Chili, au Mexique ou en Chine. La main-d’œuvre n’est pas chère », confie le président du Syndicat des travailleurs et des travailleuses d’Orica Canada–CSN, Martin Richer. En plus de la délocalisation, s’est ajouté le départ à la retraite d’une soixantaine d’employé-es.

Aujourd’hui, l’usine de Brownsburg-Chatham ne compte plus que 260 travailleurs. Il y a autant d’hommes que de femmes et la moyenne d’âge est de 40 ans. L’usine a perdu la fabrication des éléments pyrotechniques et n’a conservé que l’assemblage des systèmes électroniques et non électriques. « C’est une négo de positionnement. Le but est de garder ce qu’on a. On a déjà de bons salaires, de bonnes assurances et même un régime de retraite à prestations déterminées. L’entreprise ne peut pas garantir les futurs investissements, mais on va travailler fort pour amener les prochains projets ici. L’entreprise a déjà investi pour améliorer la productivité, ce qui est une bonne chose. »

Les négociations ont débuté à la fin février, à raison de deux rencontres par semaine. Encore une fois, c’est une négociation raisonnée, et non traditionnelle. « Cela a été gagnant pour nous les deux dernières fois. On espère que cela le sera encore cette fois-ci. »

Contre la précarité, pour la stabilité

Les 2100 travailleuses et travailleurs des casinos membres de la CSN et de la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP–CSN) font partie des 600 syndicats qui renouvelleront leur convention collective en 2017. Le dépôt des demandes a débuté au mois de février et s’est poursuivi jusqu’au mois de mars. Leur convention collective arrivait à échéance le 31 mars 2017.

La CSN représente en tout sept unités de négociation réparties dans les quatre casinos du Québec situés à Charlevoix, à Gatineau, à Montréal et à Mont-Tremblant. Il s’agit d’un secteur très diversifié. Ainsi, les syndicats représentent des personnes qui travaillent dans la restauration, la sécurité, l’entretien, le jeu et plusieurs autres corps d’emploi. C’est une des raisons pour lesquelles, tout comme lors des dernières négociations, l’objectif des syndicats est d’avoir une négociation regroupée avec une table centrale pour traiter des questions salariales.

La précarité dans la mire

Pour Stéphane Larouche, président du syndicat du Casino de Montréal, la précarité est l’un des enjeux majeurs de cette négociation, notamment avec le remplacement automatique des absences. Cette mesure implique que l’employeur doit respecter le nombre d’heures de travail qu’il attribue chaque année, ce qui n’est pas toujours le cas lorsque des employé-es ne peuvent se présenter au travail de façon ponctuelle, à court terme ou à long terme.

« Nous demandons à l’employeur de respecter le nombre d’heures qui sont attribuées à chacun des casinos en début d’année lorsqu’on alloue les budgets pour chacun des corps d’emploi. Comme nous n’avons pas la sécurité d’emploi, nous demandons qu’au moins ces heures soient utilisées. Souvent, lorsqu’un employé est absent, il n’est pas remplacé. Cela crée beaucoup de stress et d’incertitude pour les travailleurs occasionnels et à temps partiel, en plus d’affecter le service à la clientèle », affirme Stéphane Larouche.

Cette question risque d’être au cœur de la négociation puisque parallèlement, tout comme dans l’ensemble des secteurs public et parapublic, l’employeur souhaite prendre la direction inverse en voulant augmenter son droit de gérance. Comme l’ajoute le président du syndicat, « on s’attend à davantage de demandes sur la flexibilité ».

Avec l’arrivée de nouveaux restaurants, les syndicats des quatre casinos souhaitent aussi resserrer les clauses de sous-traitance, toujours en gardant à l’esprit de s’attaquer à la précarité.

Un réseau sous pression

Soumis à un sous-financement chronique depuis plus de 25 ans, le réseau de la santé et des services sociaux québécois n’aura jamais été aussi ébranlé et affaibli qu’avec les mesures d’austérité qui continuent de s’abattre sur le Québec depuis l’élection des libéraux de Philippe Couillard, en 2014. Ces compressions sans précédent ont eu des effets désastreux sur la population et sur les 257 000 travailleuses et travailleurs qui œuvrent dans le réseau. Pour faire avaler cette pilule austère, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a imposé une énième réforme qui force entre autres la fusion des établissements en mégacentres, dont treize centres intégrés et neuf centres intégrés universitaires. Du jamais vu. Pourtant, c’est le même gouvernement qui s’est récemment vanté de dégager des surplus budgétaires de 3,7 milliards de dollars en 2015-2016, et de 1,7 milliard pour les six premiers mois de l’année 2016. Et ce n’est pas l’injection récente de quelque 300 millions de dollars dans le réseau qui va changer la donne. Des miettes en comparaison du 1,5 milliard versé au Fonds des générations l’an dernier et des 2 milliards de plus que souhaite y verser le gouvernement l’an prochain.

Un aveuglement total

Cette refonte sans précédent des services devait d’abord remettre le patient au centre des activités du réseau, aux dires des libéraux du premier ministre Philippe Couillard, lui-même auteur d’une autre réorganisation inachevée décrétée en 2004. C’est tout le contraire qui s’est produit, générant pour la population une détérioration des services ainsi que de la détresse et des cris du cœur. Malgré les rapports dévastateurs du Protecteur du citoyen et du Commissaire à la santé et au bien-être démontrant la détérioration de l’accès et de la qualité des services aux usagers, le gouvernement a toujours maintenu que les services directs n’ont jamais été affectés.

En outre, des centaines d’organismes com­mu­nautaires et d’associations de défense des droits ont tour à tour fustigé cette réforme. D’autres comme Médecins québécois pour un régime public ou encore le Réseau de recherche en interventions en sciences infirmières du Québec de l’Université de Montréal ont joint leur voix à ce concert de protestations, critiquant par ailleurs le renforcement du pouvoir médical sur notre système public de santé et de services sociaux. Des constats d’ailleurs partagés par les trois partis de l’opposition.

Pour leur part, les syndicats affiliés à la CSN n’ont cessé de manifester et continuent de décrier les effets néfastes des fusions et des mesures d’austérité ou « d’optimisation », ainsi que la dégradation marquée des conditions de travail et les pertes d’emplois. Même les gestionnaires n’ont pas échappé aux pressions et aux diktats du ministre Barrette, devenu seul décideur d’un réseau ultra centralisé. Jamais dans l’histoire du réseau n’aura-t-on vu une telle unanimité contre une réforme.

Les échecs de la réforme Barrette

Ce qui était prévu, annoncé, est donc en train de se produire. L’avocat Jean-Pierre Ménard, spécialisé en droit médical, connaît bien les ratés du système de santé québécois. Il a consacré sa vie à la défense des droits des patientes et des patients. Aujourd’hui, il affirme sans détour que la réforme Barrette est un échec.

Selon lui, c’est une réforme coup-de-poing, opaque et improvisée : « Cette réforme-là s’est faite contre la volonté de la population. Pour les patients, c’est une réforme qui a de lourdes conséquences, pour les travailleurs et les cadres, c’est un désastre. Cette réforme de structure s’est accompagnée de compressions financières majeures, on parle d’à peu près un milliard sur trois ans. Des compressions qui sont d’une telle ampleur que c’est l’offre de service qui en a été diminuée, dans un réseau qui avait déjà de grandes difficultés d’accessibilité. On a aggravé le problème d’accessibilité au lieu de le régler. Partout où c’était possible, on a supprimé des postes, on a délocalisé des services qui sont devenus moins accessibles à la population. »

Tout le monde cherche encore quel modèle a pu inspirer le ministre Gaétan Barrette. Pour l’instant, la vérité c’est que personne ne sait où le navire va s’échouer. Ni la population, ni les intervenants du réseau, ni les gestionnaires, qui sont tellement submergés par la mise en place des nouvelles structures, qu’ils n’ont plus le temps de s’occuper de la santé des gens.

Pourtant, à entendre le ministre Barrette, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Si ça n’avance pas assez vite, selon lui, c’est parce que le réseau « résiste au changement ». Ce que conteste le chercheur Damien Contandriopoulos, de l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal : « On entend le ministre faire toutes sortes d’affirmations assez divertissantes sur le fait que la loi 10 livre déjà la marchandise, qu’on voit déjà une amélioration. On ne sait pas sur quoi il se base pour faire ces affirmations-là, mais moi, toutes mes données, toutes les communications que j’ai avec les professionnel-les qui donnent des soins, ou mes conversations avec les administrateurs, m’indiquent que le réseau est actuellement en très grande difficulté. Difficulté en raison des fortes compressions budgétaires et d’une désorganisation administrative profonde. La situation est vraiment difficile et ça se voit lorsqu’on observe la hausse importante de l’absentéisme et des congés de maladie. On voit aussi à grande échelle une diminution de l’accessibilité aux services de santé. Ce qu’on constate clairement, c’est que la performance du système de santé s’est détériorée depuis l’arrivée du ministre Barrette. »

Les personnes les plus vulnérables, les plus touchées

Contrairement au discours du ministre, Jean-Pierre Ménard soutient que les compressions ne se sont pas limitées à la bureaucratie : « Les coupes ont touché de plein fouet tout le réseau de la santé, en particulier les services directs aux citoyens. On a resserré les critères d’admissibilité pour les soins à domicile, on a réduit l’accès aux CHSLD, aux soins pour les personnes handicapées, aux soins de santé mentale, et aux centres jeunesse. Les grands perdants de la réforme, ce sont les personnes les plus vulnérables, on a diminué les services dont ils ont besoin, sachant qu’elles ne se défendent pas. La baisse de la qualité des soins en CHSLD en témoigne : patates en poudre, pogos décongelés, repas-minutes, un bain par semaine, ça, c’est vraiment une dégradation des soins et ce sont des décisions budgétaires qui ont provoqué cela. »

Photo : Michel Giroux

Paul Brunet, du Conseil pour la protection des malades, estime que les patients ont perdu, encore une fois : « On a fait des économies sur notre dos. Au conseil, on reçoit des appels, on traite les plaintes et on constate que ça ne va pas mieux, ça sent plus mauvais, les gens ne sont pas mieux lavés, ils ne mangent pas mieux. Il y a encore 4000 personnes qui attendent un lit en soins de longue durée. Les soins à domicile, on n’en parle même pas. Le ministre a avoué candidement ne pas connaître la norme non écrite des “couches pleines”, je ne sais pas où il a vécu les dernières années, mais il n’est certainement pas allé dans les centres d’hébergement, parce que ça fait quelques années qu’elle existe cette norme du “remplis ta couche avant que je la change”. »

Paul Brunet ajoute que le personnel soignant est largement insuffisant. « En soins de longue durée, on en est toujours à un ratio d’un préposé-e pour onze, douze ou vingt résidents, selon les moments de la journée ou de la nuit. Aujourd’hui, il y a un chef d’unité pour deux ou trois étages, alors qu’autrefois, c’était un par étage. En plus, ils sont souvent débordés avec la paperasse et ils n’ont pas le temps d’aider ou de superviser les préposé-es. »

Moins de soins à domicile, plus d’hospitalisation

Les mauvais choix du ministre Barrette coûtent maintenant plus cher à l’État, affirme le chercheur Damien Contandriopoulos : « On a demandé à des professionnel-les de réévaluer à la baisse le nombre d’heures-soins pour les personnes qui avaient des soins à domicile et, de manière systématique, la consigne était de diminuer l’offre de service. Il y a aujourd’hui moins d’heures-soins qui sont offertes. Quand on voit des personnes qui recevaient autrefois des soins à domicile chez eux et qui sont maintenant rendues sur un lit d’hôpital, en attendant des mois une place en CHSLD, on est en train de dépenser des sommes colossales pour une diminution de la qualité de vie de ces gens-là. C’est un exemple de dysfonctionnement à grande échelle. On a mis en place des mesures incohérentes. On essaie de diminuer les coûts, mais d’une façon tellement bête, que ça provoque finalement une augmentation des coûts. On s’est trompé et on ne livre pas la marchandise. »

Jean-Pierre Ménard constate une privatisation accélérée des services, notamment dans l’hébergement des personnes âgées : « Depuis cinq ans, le nombre de places en CHSLD a baissé de 8 %, comme si la population du Québec avait arrêté de vieillir. Il n’y a plus de places dans le public, alors on pousse très fort les gens vers les centres d’hébergement privés pour aîné-es. Il y avait 15 000 places en 2006 en résidences privées, en 2011, on en comptait 120 000. »

Damien Contandriopoulos estime que le processus de privatisation s’accélère : « Depuis l’arrivée du Dr Barrette, la privatisation des soins ne fait plus aucun doute. Il juge que le secteur privé est plus performant et il essaie, par exemple, de transférer des soins spécialisés depuis le milieu hospitalier vers des cliniques privées. Le démantèlement des CLSC en est un autre exemple, le ministre prend une partie de l’effectif des CLSC et la transfère vers les groupes de médecine de famille, qui opèrent surtout en cliniques privées. Les travailleurs sociaux des CLSC, qui s’occupaient des clientèles les plus vulnérables, des personnes aux prises avec des troubles mentaux graves, pratiquent maintenant dans des cliniques privées. Mais on sait que toutes ces clientèles ne sont pas prises en charge par ces cliniques. On abandonne littéralement ceux qui sont aux prises avec les difficultés les plus graves, on les laisse sans services. »

Pour les professionnel-les du réseau des CLSC, il est clair que le ministre Barrette est en train de recréer dans les cliniques privées, les GMF, le modèle des CLSC, tel qu’il était à ses débuts, nous dit Myra Therrien, vice-présidente du Syndicat des professionnels de la santé et des services sociaux, région de Québec : « Le transfert des ressources des CLSC vers des GMF, c’est une privatisation. Depuis deux ou trois ans, les cliniques privées ont vu une manne d’intervenants sociaux payés par le public venir travailler chez eux avec les transferts de personnel des CLSC vers ces grosses cliniques privées, les GMF. Psychologues, travailleurs sociaux et plusieurs infirmières et nutritionnistes y ont été déplacés. »

Le gros lot aux médecins

Le système de santé québécois est de plus en plus orienté vers les médecins et les hôpitaux, qui accaparent le plus gros des ressources et toute l’attention du ministre. Pour le docteur Barrette, souligne l’avocat Jean-Pierre Ménard : « Seuls les médecins et les hôpitaux comptent. Le reste, pour lui, c’est secondaire. À preuve, ajoute-t-il, depuis cinq ans, la rémunération des médecins a augmenté d’environ 9 % par année, pour un accroissement d’environ 45 % à 49 %, justifié par le rattrapage avec la moyenne canadienne. Les médecins accaparent maintenant plus de 21 % du budget de la santé. On a dû sabrer les autres programmes pour réussir à les payer. Leur hausse de rémunération, sans précédent dans l’histoire du Québec, leur a été accordée au détriment des personnes les plus vulnérables, qui se voient imposer des sacrifices incroyables. Voilà pourquoi il faut revoir de fond en comble l’organisation de la pratique médicale, incluant la rémunération et le statut des médecins. »

Une étude réalisée par Guillaume Hébert, chercheur à l’IRIS (Institut de recherche socio-économique), publiée en juin dernier, démontre que de 2004 à 2014, la rémunération des médecins québécois a connu une hausse spectaculaire. Le salaire moyen des médecins spécialistes est passé de 237 000 dollars à près de 400 000 dollars, une hausse de 66 % en dix ans. Les médecins omnipraticiens ont vu leur rémunération augmenter de 54 % pendant la même période, passant de 158 000 dollars à 243 000 dollars. Cette hausse de rémunération s’est poursuivie en 2014-2015, puisque les médecins spécialistes ont vu leur salaire moyen augmenter à 450 000 dollars. C’est sans compter que la rémunération varie considérablement d’un spécialiste à l’autre. Les médecins spécialisés en santé communautaire touchent en moyenne 250 421 $ par année, alors que les ophtalmologues encaissent 645 965 $. La rémunération des 35 radiologues les mieux payés atteint, elle, 1,4 million de dollars. À la fin de 2015, 174 médecins ont facturé plus d’un million de dollars à la RAMQ.

La ronde des augmentations n’est pas terminée, loin de là, explique le chercheur Guillaume Hébert, puisque la rémunération globale des médecins qui dépasse 7,3 milliards de dollars par année devrait atteindre 9 milliards en 2020-2021. Une hausse phénoménale, qui dépasse de beaucoup le budget de plusieurs ministères du gouvernement du Québec.

La solution : abolir la rémunération à l’acte

Comme le démontre une nouvelle étude rendue publique le 18 janvier dernier, étude réalisée par trois chercheurs de l’IRIS, Jennie-Laure Sully, Minh Nguyen et Guillaume Hébert, les médecins gagnent beaucoup trop par rapport à l’ensemble des Québécoises et Québécois. En 2014, leurs gains atteignaient 7,6 fois le salaire moyen des travailleuses et travailleurs du Québec. Si on réduisait le salaire des médecins à quatre fois le revenu moyen des Québécois, on économiserait annuellement 4,3 milliards de dollars.

Cette étude, menée en collaboration avec la CSN, suggère plusieurs pistes de solution pour mieux baliser la rémunération des médecins québécois et améliorer l’accès aux soins. Le document propose notamment d’abolir la rémunération à l’acte : « Une pratique qui comporte de nombreux effets pervers, parce qu’elle encourage des soins parfois non pertinents et des actes non nécessaires. La rémunération à l’acte décourage l’interdisciplinarité, nuit au travail d’équipe et va à l’encontre d’une médecine axée sur les soins préventifs. Les chercheurs proposent que les médecins québécois qui évoluent dans le secteur public deviennent des salarié-es en bonne et due forme des établissements de santé et de services sociaux.

L’IRIS propose également d’abolir le statut de travailleur autonome des médecins. Un statut qui leur permet de s’incorporer en créant une société par actions (SPA). Cette incorporation fait en sorte que les médecins, déjà grassement rémunérés, paient beaucoup moins d’impôts. Les auteurs de l’étude se demandent : « Comment justifier la possibilité offerte aux médecins de contourner les règles fiscales alors que leur revenu est déjà très élevé? » Ils ajoutent que « ces manœuvres d’évitement fiscal sont particulièrement troublantes lorsque l’on considère l’écart entre le revenu moyen des médecins et celui des travailleuses et des travailleurs québécois. » Ils suggèrent que « les médecins devraient être considérés comme des employé-es, à l’instar de toutes les autres personnes qui œuvrent dans le système sociosanitaire ».

Les chercheurs proposent enfin « d’accroître le nombre d’actes que peuvent effectuer des professionnel-les de la santé autres que les médecins. Qu’il s’agisse des infirmières praticiennes spécialisées, des infirmières, des infirmières auxiliaires, des hygiénistes dentaires, des inhalothérapeutes, des technologues médicaux, des physiothérapeutes, des travailleurs sociaux, des sages-femmes ou d’autres professionnelles de la santé, plusieurs actes médicaux pourraient être pratiqués par des non-médecins afin d’améliorer l’accès aux soins et de réduire les coûts de la santé. »

Plus de médecins, moins de services

L’étude de l’IRIS révèle aussi que malgré la hausse des effectifs médicaux, le nombre d’actes médicaux pratiqués au Québec n’a cessé de diminuer. De l’aveu du ministre Barrette, les médecins québécois travailleraient huit heures de moins par semaine que les médecins ontariens. De plus, la moyenne de patients traités par médecin serait de 1549 en Ontario contre 1081 au Québec.

Un rapport publié en 2014 par le ministère de la Santé des Services sociaux, et cité par le chercheur de l’IRIS, Guillaume Hébert, confirme également que le nombre de jours travaillés par les médecins québécois a grandement diminué, surtout depuis les fortes augmentations salariales consenties aux médecins à partir de 2007. Guillaume Hébert rappelle que c’est sous la pression du premier ministre Jean Charest, de son ministre de la Santé Philippe Couillard et du radiologue Gaétan Barrette, aujourd’hui ministre de la Santé et des Services sociaux, que tout s’est joué, avec le résultat que l’on connaît aujourd’hui.

Le trio Charest-Couillard-Barrette affirmait que l’amélioration du salaire des médecins devait améliorer l’accès aux soins de santé et corriger l’injustice faite aux médecins québécois, qui se plaignaient d’être sous-payés par rapport à leurs homologues ontariens.

L’histoire a montré clairement que toutes les hausses salariales faramineuses consenties depuis aux médecins québécois ont plutôt eu pour effet de diminuer le nombre d’actes médicaux et le nombre de jours travaillés. Les médecins travaillent maintenant moins et sont payés plus cher qu’auparavant. Comme l’explique l’avocat Jean-Pierre Ménard : « Les hausses salariales consenties aux médecins québécois ont été accordées sans demander de contrepartie aux médecins en termes de productivité et d’engagement envers le service public. Dans les faits, les services offerts aux patients par les médecins ont diminué de 10 % en cinq ans ». Il ajoute que « les médecins sont devenus, et de loin, la ressource la plus coûteuse du système de santé. Nous n’avons jamais eu autant de médecins, le Québec a un des ratios médecins-population les plus élevés au Canada. Pourtant la performance des médecins québécois, en termes d’accès aux soins et de suivi des patients, se classe au dernier rang de la moyenne canadienne. »

En 2015, il y avait 242 médecins pour 100 000 habitants au Québec. Au Canada, on compte en moyenne 233 médecins pour 100 000 personnes. Pourtant, 30 % des Québécoises et Québécois n’ont toujours pas de médecin de famille.

Au Québec, les médecins ne sont soumis à aucune contrainte de productivité, ajoute l’avocat Jean-Pierre Ménard : « C’est comme si on avait une université et qu’on engageait des professeurs en leur disant “vous êtes libres de donner des cours quand vous voudrez, à qui vous voudrez et comme vous voudrez, nous on va vous payer de toute façon”. Bien, c’est ça la médecine en ce moment. Les médecins sont libres de travailler quand ils veulent, comme ils veulent et de donner le service à qui ils veulent. Ils choisissent leurs patients et leur cadre de pratique et nous on paye et on n’a rien à dire là-dessus. »

Le professeur Damien Contandriopoulos constate que le Québec a choisi une trajectoire différente de tout le reste du Canada en concentrant toutes les ressources additionnelles en santé dans un seul secteur, la rémunération des médecins : « Une société qui décide de couper dans la prévention primaire, dans la santé publique, dans les CPE, une société qui prend toutes ses ressources et qui les donne aux médecins, donc à une fraction de la population qui est déjà la plus riche, une société qui fait ça, fait des choix horriblement contreproductifs. Cette situation rend le ministre Barrette très vulnérable. D’un côté, c’est lui qui, à partir de 2007, comme président de la Fédération des médecins spécialistes, a négocié les hausses, a structuré les discours pour justifier ces hausses-là et s’est avéré un négociateur extrêmement féroce. Et aujourd’hui, il se retrouve dans le poste du ministre responsable du déploiement de ce bar ouvert de rémunération des médecins. »

Aujourd’hui, les médecins québécois gagnent plus que leurs homologues ontariens. Ils sont même doublement avantagés, parce qu’ils travaillent moins d’heures que leurs collègues ontariens et que le coût de la vie est moins élevé au Québec qu’en Ontario. Le chercheur Guillaume Hébert estime que le Québec pourrait économiser 1 milliard dès 2017-2018 et deux milliards en 2020-2021 s’il réduisait de 12 % l’enveloppe de rémunération médicale, pour ramener le revenu moyen des médecins québécois au niveau des médecins ontariens.

Selon les calculs de l’IRIS, avec une économie d’un milliard de dollars, on pourrait embaucher 20 000 préposé-es aux bénéficiaires ou 15 000 infirmières de plus.

Un système menacé : la prévention et les services sociaux, grands perdants de la réforme

Dans le volumineux rapport du Commissaire à la santé et au bien-être sur la performance de notre réseau de santé, publié l’automne dernier, les 6000 Québécois consultés affirment qu’ils veulent à tout prix préserver l’accès à leur système de santé universel et gratuit. Anne Robitaille, la Commissaire à la santé par intérim est formelle : « Il est clair que les Québécois tiennent au caractère public de leur système de santé, c’est non équivoque, il n’y a aucun doute là-dessus. Ils sont très fiers d’avoir un système public universel, même s’ils constatent des failles. Ils ne veulent pas aller vers un système privé, c’est très clair ».

Comme l’explique Anne Robitaille, l’édifice est maintenant fragilisé : « Les services sociaux sont devenus le “parent pauvre” et la prévention, c’est le “parent encore plus pauvre” de notre système. Pourtant, chaque dollar investi en prévention permet d’économiser cinq dollars en coûts directs de soins de santé. »

Du côté de la prévention, le désinvestissement est tout simplement ahurissant. Les budgets ont été amputés de 30 %, en dépit de toutes les mises en garde des spécialistes. En fait, les ressources consacrées à la santé publique ont fondu sous le ministre Barrette et les services sociaux, eux, sont demeurés sous-financés. À ce chapitre, nous en faisons moins qu’auparavant et moins que la moyenne canadienne, parce que les priorités du ministre Barrette sont ailleurs.

Un réseau sous tutelle ministérielle

S’il est difficile aujourd’hui d’obtenir des données précises sur « l’état de santé réel » du ministère de la Santé, c’est justement parce que le ministre Barrette exerce un contrôle absolu sur tout, nous dit le chercheur Damien Contandriopoulos : « L’objectif réel et caché de la réforme était de centraliser tous les pouvoirs entre les mains d’une seule personne, le ministre. Il exerce maintenant ce pouvoir pour limiter la capacité des gens du réseau de s’exprimer publiquement, d’utiliser leur jugement professionnel et pour empêcher le commun des mortels d’avoir une idée réelle de ce qui se passe dans le réseau. »

Les exemples en ce sens ne manquent pas. Selon lui : « Pour éviter que la population ne s’intéresse de trop près à la rémunération des médecins, le ministre Barrette a décidé d’éliminer le poste de Commissaire à la santé, parce qu’il n’acceptait pas que le Commissaire finance des équipes de recherches pour étudier cette rémunération médicale. »

« La peur est bien installée dans le réseau, constate Paul Brunet. Des gestionnaires me disent, je te donne une information ou un document, mais ne va jamais parler de moi. »

Selon Jean-Pierre Ménard : « Les patients ne sont pas les seuls à se plaindre, ça coïncide avec ce que disent les syndicats et les cadres. Les trois groupes affirment que cette réforme-là ne va pas dans la bonne direction ».

Après avoir dépouillé le réseau de la santé et des services sociaux pendant des années, le gouvernement Couillard y injecte maintenant, ici et là, des millions de dollars. Des investissements ciblés, à des fins purement électoralistes. Cynique, comme toujours, le gouvernement Couillard cherche à corriger ses propres dégâts en nous faisant croire que son ministre de la Santé, le principal responsable du gâchis, saura à lui seul sauver notre système de santé. Mais c’est trop peu, trop tard, nous dit le chercheur Damien Contandriopoulous : « Cette réforme est un échec, ça ne fait aucun doute. Comme société, on va devoir reconnaître qu’on a pris les mauvaises décisions et il va nous falloir un plan cohérent pour le futur. Les acteurs sociaux comme les syndicats, les ordres professionnels, les associations de patients doivent réfléchir au système de santé dont ils n’ont pas envie et ça doit se passer maintenant ».

Un effectif à bout de souffle

Pas une semaine ne s’écoule sans que les médias et les réseaux sociaux ne rapportent les ratés de la réorganisation forcée du ministre Barrette dans le réseau de la santé et des services sociaux et les effets néfastes de l’austérité libérale sur la population et sur celles et ceux qui donnent les services.

Le 7 novembre dernier, des infirmières du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, membres de la CSN, ont dénoncé la hausse fulgurante des accidents et incidents à déclaration obligatoire, dont ceux en salle d’accouchement. La surcharge de travail, causée par le non-rempla­cement des absences et le refus de se voir accorder des heures supplémentaires, comptait parmi les facteurs explicatifs. « On n’a pas le temps de s’asseoir ni d’aller à la toilette. Nous ne sommes pas assez nombreuses pour satisfaire aux normes », rapportait dans l’anonymat une infirmière de l’unité des naissances sur les ondes de Radio-Canada. Pourtant, le même jour, le ministre Barrette inaugurait les nouveaux locaux de ce réputé hôpital mère-enfant au coût de près d’un demi-milliard de dollars.

Dans les semaines précédentes, le personnel infirmier et les préposé-es aux bénéficiaires du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec décrivaient les effets des compressions de 51 millions de dollars sur trois ans. Même chose au CIUSSS du Saguenay–Lac-Saint-Jean alors que des membres de la CSN dénonçaient un train de 120 mesures « d’optimisation » totalisant 14 millions de dollars en 2016 seulement, causant la perte de 127 postes ! Et la liste ne cesse de s’allonger tant la crise dans le réseau est généralisée.

Établissements mammouths… et inhumains

En faisant passer de 182 à 34 le nombre d’établissements en les fusionnant, le gouvernement a créé des organisations éléphantesques, qui n’ont pas d’équivalent au Canada. Le CIUSSS de la Capitale-Nationale regroupe ainsi plus de 17 000 employé-es, gestionnaires et médecins avec un budget annuel de près de 1,3 milliard de dollars, soit dix fois les budgets du ministère des Relations internationales et celui de la Francophonie! Le CIUSSS de l’Estrie, dont le budget avoisine le 1,4 milliard, compte pour sa part 18 000 employé-es. De quoi donner le vertige.

Dans les mois qui ont suivi les mégafusions d’avril 2015, la CSN, la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS–CSN) et la Fédération des professionnèles (FP–CSN) ont réalisé plusieurs enquêtes sur l’état de la situation dans le réseau. Menées dans le cadre de la campagne publique Ma place en santé, j’y tiens, mise en place par la CSN pour dénoncer la réforme, mobiliser les membres et conscientiser la population, les enquêtes avaient pour but de mesurer l’ampleur des conséquences qu’ont eu la réforme et les mesures d’austérité sur les conditions de travail de ses membres. Les constats sont non seulement inquiétants, mais alarmants.

Des jeunes à bout

L’une de ces enquêtes a été menée à l’automne 2016 par le comité des jeunes de la FSSS–CSN auprès de 1407 jeunes âgés de moins de 35 ans. Déjà aux prises avec un statut d’emploi précaire, six jeunes sur dix ont affirmé avoir connu une augmentation de leur tâche dans les douze mois précédents. En outre, une personne sur cinq a indiqué s’être retrouvée en invalidité à long terme durant la même période. Pas moins de 83 % des répondants, soit plus de huit personnes sur dix, ont souligné que la réforme du système de santé n’allait pas contribuer à améliorer leur situation professionnelle sur un horizon de trois à cinq ans.

« C’est sûrement ce qui explique que 60 % des jeunes techniciens et professionnels de la santé et des services sociaux songent à quitter le réseau, lance Kevin Newbury, président du Syndicat des personnes salariées des Centres jeunesse de Lanaudière. Le réseau souffrant déjà d’une certaine pénurie de main-d’œuvre, on se demande comment on va faire pour offrir des services publics de qualité si notre propre relève quitte le bateau parce que les gens sont au bout du rouleau. C’est déconcertant de voir ces statistiques-là. »

Charge accrue pour les PAB

Les préposé-es aux bénéficiaires (PAB) œuvrant en CHSLD ont connu une détérioration rapide de leurs conditions de travail en raison du non-remplacement des absences et d’une charge de travail accrue. L’entrée en vigueur de la réforme Barrette n’a rien amélioré, les démarches paritaires en santé-sécurité du travail (SST) ayant été paralysées. C’est ce que démontre une enquête réalisée au CSSS de Jonquière au printemps 2015, et actualisée en 2016 par le Service des relations du travail de la CSN.

Ainsi, un PAB sur trois a reçu un diagnostic médical lié à une lésion psychologique (trouble d’adaptation, surmenage professionnel, épuisement, etc.) tandis que quatre personnes sur dix disent avoir consulté un programme d’aide aux employé-es. Sur le plan de la santé musculo-squelettique, huit personnes sur dix ont déclaré avoir ressenti des douleurs dans les douze derniers mois, tandis que trois personnes sur dix ont reçu un diagnostic lié à une lésion physique, notamment au dos, aux épaules et au cou. Bien que les PAB représentent 15 % du personnel du CSSS, ils sont 35 % à avoir déclaré des accidents à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

« Le taux d’absentéisme chez nous a presque doublé depuis 2014-2015, passant de 6,2 % à 11,6 % pour les huit premiers mois de 2016, affirme Manon Tremblay, présidente du Syndicat des travailleuses et travailleurs de la santé et des services sociaux de Jonquière, affilié à la FSSS–CSN. Les gens sont épuisés, découragés. La fusion, ça leur fait peur. Ce qui me heurte encore plus, c’est de savoir que les préposé-es aux bénéficiaires ont des troubles musculo-squelettiques, mais qu’ils se présentent malgré tout au boulot parce qu’ils ne seront jamais capables de prouver que c’est lié au travail. »

Climat de travail malsain

Le personnel de bureau, les techniciennes, les techniciens et les professionnel-les de l’administration membres de la FSSS–CSN ne font pas exception. Une étude menée l’automne dernier auprès de 1500 répondantes révèle que ce groupe de salarié-es cumule 14,3 jours d’absence maladie par année, comparativement à 9,3 jours en moyenne pour les autres travailleuses et travailleurs canadiens. Une forte proportion (63,9 %) du groupe considère que la réforme Barrette a eu des incidences très négatives ou négatives sur le climat de travail, mais aussi sur la stabilité du personnel (83 %) et la charge de travail (68,9 %).

« La réorganisation du ministre Barrette n’a rien à voir avec la fusion de 2004-2005, dit Sylvie Lachambre, présidente du Syndicat du personnel paratechnique, services auxiliaires, métiers, bureau et de l’administration du Centre de santé et de services sociaux Richelieu-Yamaska. Quand tu n’as plus de sentiment d’appartenance, que tu ne contrôles plus ta vie au travail parce que ça change tout le temps, parce que tu ne sais plus dans quel service ni avec qui tu vas travailler, ça devient très démotivant. Et l’absence d’une planification de la main-d’œuvre pour la mise en place d’Optilab vient confirmer l’amateurisme des gestionnaires qui jouent avec les nerfs des employé-es. »

Travailler, même malade

Chez le personnel technique et professionnel, les effets de la fusion et de la réorganisation du réseau ont été durement ressentis entre autres par rapport aux transferts de personnel des CLSC vers les groupes de médecine de famille (GMF). C’est ce qu’a révélé un sondage effectué par la FP–CSN auprès de 1031 répondants, au printemps 2016.

Une personne sur deux a indiqué s’être présentée au travail malgré un état de santé physique ou psychologique qui aurait pu justifier son absence du travail. Six personnes sur dix ont dit vivre constamment ou fréquemment une surcharge de travail, perçue comme la conséquence directe des compressions budgétaires. Enfin, 10 % du personnel technique et professionnel ont dit projeter de quitter le réseau public d’ici les cinq prochaines années, comparativement à 7,4 % dans un sondage réalisé en 2014.

« Les impacts de la fusion sont désastreux, avance Jaimie Lemieux, présidente de la section locale du Syndicat des technicien-nes et des professionnel-les de la santé et des services sociaux du Québec au CSSS de la Mitis. En plus, on doit vivre avec des compressions de 20 millions de dollars pour 2016 et 2017. En 2004-2005, personne n’a perdu son emploi. Présentement, on a six personnes qui détiennent une sécurité d’emploi qui sont à la maison, du jamais vu en douze ans d’implication syndicale. Alors, on ramasse beaucoup de cas de détresse psychologique. Plusieurs débarquent chez le médecin pour demander un arrêt de travail. Le hic, c’est que l’employeur conteste de plus en plus les cas d’arrêt. J’ai récemment vu un travailleur être envoyé en expertise médicale après trois semaines d’absence. Avant, on ne voyait ça que pour des invalidités d’un an et plus. »

Répondre à des cibles statistiques

Les données précédentes rejoignent celles d’une autre enquête terrain réalisée en mai 2016 dans 14 centres jeunesse du Québec auprès de 1934 personnes. Menée conjointement par la FP–CSN et la FSSS–CSN, l’enquête cherchait à établir les conséquences des compressions de 20 millions de dollars en 2015-2016 sur les travailleurs, les jeunes et leurs familles.

Ainsi, seulement 5 % des intervenantes et intervenants ont estimé être en mesure de répondre adéquatement et en temps utile aux besoins de leur clientèle aux prises avec d’importants problèmes. L’alourdissement de la tâche a entraîné une surcharge de travail, suivie souvent d’un épuisement professionnel en raison du travail effectué en heures supplémentaires. Pour sept personnes sur dix, les multiples formulaires à remplir et la saisie accrue de notes constituent un obstacle majeur à la qualité de leur travail. Ils sont tout autant à estimer que leur intervention sert davantage à répondre aux cibles statistiques du ministre Barrette qu’à aider les familles. Enfin, une personne sur trois a indiqué que les difficiles conditions d’exercice de leur pratique l’ont forcée à prendre un congé de maladie.

« En CLSC, nos membres sont dans un état de détresse extrême, explique Danny Roy, président du Syndicat des professionnels de la santé et des services sociaux, région Québec–Chaudières-Appalaches, affilié à la FP-CSN. Près de la moitié des intervenants à l’accueil des CLSC, dans la grande région de Québec, sont partis en maladie ou dans d’autres établissements en espérant trouver mieux, parce qu’ils étaient incapables de se voir travailler avec la charge de travail qui leur était imposée. Cette perte d’expertise a des conséquences directes sur les services à la population. »

Pour Sylvie Théoret, présidente sortante du Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre jeunesse de Montréal, affilié à la FSSS–CSN : « En centre jeunesse, nos travailleurs sont formés pour faire de l’intervention et donner des services aux familles et aux enfants. Mais ils se ramassent avec des charges de travail qui sont maintenant le double de ce qu’elles devraient être. C’est ce qui fait que les gens ont le sentiment de ne plus être en mesure de faire le travail qui pourrait faire une différence dans la vie des enfants et de leurs familles. »

Des solutions existent

La CSN participe activement à la réflexion et au débat entourant les pistes de solution pour un meilleur financement et une efficacité accrue du réseau. Entrevue avec Jean Lacharité, vice-président de la CSN.

Pourquoi la centralisation des services de santé et de services sociaux est-elle à éviter ?

— L’expérience de centralisation à outrance a été tentée en Alberta. Or, le gouvernement a compris qu’il allait vers l’échec et a fait marche arrière. Au Québec, la réforme Barrette est un mélange de toutes les missions de santé et de services sociaux ayant à sa base une vision très hospitalocentriste qui bousille le système. Il en découle un bouleversement du réseau et une surcharge de travail qui affecte négativement la qualité des services. On en a eu un exemple récemment avec les infirmières de Sainte-Justine. L’hypercentralisation du Dr Barrette, c’est aussi le projet Optilab, qui met en péril la sécurité des échantillons de laboratoire et dépouille les régions d’emplois de qualité au profit des grands centres. Ce sont des patients qui ne savent plus à quel saint se vouer pour obtenir un rendez-vous avec une travailleuse ou un travailleur social. Les acteurs de la centralisation sont déconnectés des besoins des bénéficiaires. Nous devrions plutôt nous rapprocher des clientèles.

Le réinvestissement annoncé dans le réseau public par le gouvernement vous apparaît-il suffisant ?

— Jamais ! Un réinvestissement récurrent de 300 millions après une coupe de plus d’un milliard, qui a permis au gouvernement d’engranger des surplus astronomiques, est une insulte à l’intelligence ! Le ministre poursuit sa réforme avec obstination en abolissant des postes et en fusionnant des services qui s’éloignent des patients. Il étouffe les CLSC par une ponction de leurs ressources pour les incorporer aux organismes à but lucratif que sont les groupes de médecine de famille. Le ministre a beau déclarer que le financement restera public, dans les faits, il privatise la dispensation de services. Pour juguler les problèmes qui éclatent partout, il faut plutôt un réinvestissement massif dans le système public.

La privatisation n’est-elle pas un moyen pour réduire les dépenses en santé et services sociaux ?

— Au contraire. Dans les pays qui financent leurs soins sur une base privée, on observe une nette augmentation des coûts. Au bout du compte, les gens payent plus pour en avoir moins. Les soins sont réservés aux mieux nantis ou à ceux qui sont bien assurés. De plus, le vieillissement de la population augmente la demande de services, ce qui crée un impact sur les finances du régime public. À la CSN, on préconise un retour à un système de santé complètement public. On a un joyau entre les mains qui est un élément majeur de notre filet de protection sociale. N’oublions pas qu’avant la création de la RAMQ, beaucoup de gens devaient se faire soigner à crédit.

Pourquoi la CSN prône-t-elle l’interdisciplinarité dans le réseau ?

— La complémentarité du travail est nécessaire à l’efficacité et à la qualité des services rendus ainsi qu’à l’utilisation optimale des ressources. Prenons le cas des personnes âgées : une travailleuse sociale intervient, ensuite une infirmière, sans trop savoir ce que la première a fait. Il faut briser les silos qui nuisent à tous points de vue. C’est vrai pour les CHSLD, pour les CLSC, pour les centres hospitaliers. Or, l’interdisciplinarité demande du temps, de l’énergie et encore une fois, du financement.

Y a-t-il d’autres pistes que la CSN aimerait explo­rer pour un meilleur financement du réseau ?

— Oui. On pourrait tenir des états généraux sur la situation du réseau dans son ensemble. Comme il s’agit des dépenses qui exercent le plus de pression sur le réseau, on pourrait y aborder le mode de rémunération des médecins et le régime d’assurance médicaments. Nous demandons aussi des états généraux qui porteraient spécifiquement sur le réseau des centres jeunesse du Québec.

Sur quoi faut-il se pencher dans les centres jeunesse ?

— Il faut cesser de fonctionner à la pièce. On observe d’année en année une augmentation des signalements et un délai d’attente avant la prise en charge qui varie entre 15 et 70 jours, selon les régions. À cela s’ajoute une insuffisance criante de ressources due au sous-financement que subissent les centres depuis plusieurs années. Encore en 2015, des compressions de 20 millions se sont abattues sur le réseau. Un moratoire et un refinancement s’imposent.

Pourquoi pensez-vous qu’il est nécessaire de se pencher sur la rémunération des médecins ?

— L’augmentation de la rémunération des médecins est faramineuse et la rémunération à l’acte médical ne fonctionne pas. Celle-ci a été responsable d’importants dépassements de coûts par le passé. Entre 2010 et 2015, les sommes reliées à la rémunération des médecins ont dépassé de 417 millions de dollars le seuil prévu. Qui plus est, le rapport 2015 de la Vérificatrice générale démontre que la RAMQ ne peut assurer le plein contrôle des 55 millions de demandes de paiement qui lui sont adressées par les médecins chaque année. Le contrôle inadéquat des factures des médecins a contribué à l’explosion des coûts. Il est temps d’avoir un débat de fond sur cette question.

Selon vous, pourquoi le système d’assurance médicaments n’est-il pas adéquat ?

— Le système hybride actuel fait grimper de façon excessive le coût des médicaments. Il est impératif de revoir la façon d’en fixer les prix et, par extension, de s’intéresser à la question de la surmédication. Le ministre le nie, mais il y a un problème qui existe là. Il a d’ailleurs dû le reconnaître durant son forum sur les bonnes pratiques en CHSLD. Nous insistons sur la nécessité d’un débat public sur le sujet.

Ne serait-il pas plus rentable d’insister davantage sur la prévention ?

— Absolument. La prévention est la mission première de la santé publique, et pourtant, elle disparaît peu à peu au profit du curatif. D’ailleurs, les libéraux ont coupé les budgets de santé publique de 30 %. Il y a quelque chose d’électoraliste dans le refus des gouvernements d’investir dans des politiques dont les effets ne sont pas visibles de façon immédiate. Pourtant, il s’agit d’une piste de solution très importante à moyen et à long terme.

La CSN à l’avant-garde

Dès les premières heures, dans bon nombre de transformations historiques au Québec, la CSN est montée au front pour défendre les droits de ses membres et améliorer les conditions de travail des Québécoises et Québécois. C’est dans l’environnement politique et social du début des années 80 qu’elle a porté la revendication de l’équité salariale entre les femmes et les hommes. Deux militantes d’envergure, qui ont laissé leur marque dans le paysage syndical, féministe et politique du Québec, ont activement participé à ce combat de longue haleine : Claudette Carbonneau et Monique Simard.

Avant l’adoption de la Loi sur l’équité salariale, en novembre 1996, la discrimination salariale à l’égard des femmes était monnaie courante et les femmes québécoises gagnaient en moyenne 30 % de moins que leurs collègues masculins. « Lorsque l’on parle d’équité salariale, l’enjeu n’est pas que le salaire en soi, mais également le message qu’il envoie aux femmes sur le marché du travail », note Monique Simard, ancienne vice-présidente de la CSN (1983-1991). Son expérience en négociation lui a permis de constater que « ce qui est important, ce n’est pas tant ce que tu gagnes, que ce que tu gagnes par rapport aux autres ». L’équité salariale était ainsi synonyme de la reconnaissance de la valeur du travail de la femme sur le marché du travail, au même titre que celle de l’homme.

Une lutte épique

Pour Claudette Carbonneau, première femme élue à la présidence de la CSN, le combat pour l’équité salariale était déterminant pour l’avenir des femmes sur le marché du travail. Issue du milieu de la santé, et fière militante à la CSN depuis des années, Claudette Carbonneau savait que les gains ne seraient pas faciles à obtenir. La place des femmes au travail a souvent été mise en doute et « elles assument toujours une large part des responsabilités familiales ». Les discriminations systémiques dont elles étaient victimes brouillaient les questions d’équité entre les hommes et les femmes au travail. Il a été nécessaire de mener la bataille pour mettre fin aux iniquités salariales entre les femmes et les hommes, et pas seulement pour les travailleuses de la CSN, mais aussi pour toutes les femmes sur le marché du travail. La lutte des femmes sur cet aspect, comme sur bien d’autres, réclamait du gouvernement qu’il se tienne debout face aux employeurs sur des questions comme les salaires, l’ajustement de l’horaire aux réalités familiales, le remboursement des frais de garde, le congé de maternité, la conciliation famille-travail-études et l’amélioration des conditions de santé et de sécurité au travail.

Finalement, 20 ans après l’instauration de la Loi sur l’équité salariale, y a-t-il une évolution des mentalités et des pratiques ? Les milieux de travail de plus en plus diversifiés, dans lesquels les femmes œuvrent quotidiennement, sont-ils plus adaptés à leur réalité ? C’est une réflexion qui mérite d’être poursuivie.

Une juste conquête de l’égalité

Le 21 novembre prochain marquera le 20e anniversaire de la Loi sur l’équité salariale. Vingt ans de victoires, certes, mais encore bien du chemin à parcourir. Depuis les années 1970, la CSN s’investit dans cette importante lutte et en fait une priorité, elle revendiquera notamment l’adoption d’une loi contraignante visant à obliger les employeurs à éliminer la discrimination salariale à l’égard des emplois majoritairement occupés par les femmes. Grâce à la solidarité d’un large mouvement, une mobilisation sans précédent conduit finalement à l’adoption d’une loi proactive en matière d’équité salariale. Une grande victoire pour les femmes !

La Loi sur l’équité salariale adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 21 novembre 1996 vise à mettre fin à la discrimination salariale dont sont victimes les femmes parce qu’elles travaillent dans des catégories d’emplois à prédominance féminine. C’est l’application du principe du « salaire égal pour un travail de valeur équivalente ». Chaque entreprise de dix employé-es et plus doit vérifier si sa structure de rémunération est discriminatoire à l’égard des emplois à prédominance féminine et si tel est le cas, apporter les correctifs salariaux nécessaires.

L’adoption de cette loi proactive a, encore une fois, marqué le caractère distinct du Québec. En effet, même si le gouvernement fédéral et quelques provinces avaient, par le passé, adopté des lois visant à éliminer la discrimination salariale fondée sur le sexe au sein du secteur public, aucune ne touchait le secteur privé et ne présentait le caractère proactif de la loi québécoise. Cette loi fait d’ailleurs encore aujourd’hui figure d’exception, et sert de modèle à travers le monde. Le gouvernement fédéral, qui avait pourtant adopté en 2009 une loi interdisant aux fonctionnaires de porter plainte en matière d’équité salariale auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, s’en inspire aujourd’hui. Il produira d’ailleurs sous peu une nouvelle mouture pour que l’équité salariale devienne enfin une réalité pour les fonctionnaires fédérales et les travailleuses des entreprises de juridiction fédérale implantées partout au Canada.

L’adoption de la Loi sur l’équité salariale a constitué un jalon important pour l’avancement du droit des femmes au Québec, mais elle n’est pas parfaite. En effet, celle-ci ne vise que les entreprises de 10 salariés-es et plus, ce qui laisse comme seul recours à des milliers de femmes victimes de discrimination salariale, le processus de plaintes auprès de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse.

La loi a aussi fait l’objet de contestations judiciaires déterminantes. Parmi ces recours, mentionnons l’opposition unanime des organisations syndicales relativement au chapitre IX de la loi, qui exemptait de leur obligation les employeurs qui avaient fait une démarche d’évaluation des emplois dans leur entreprise avant l’entrée en vigueur de la loi. L’application du chapitre IX a fait en sorte que la Commission de l’équité salariale a systématiquement accepté ces démarches, même si elles ne répondaient pas aux exigences de la loi. En janvier 2004, cette partie de la Loi sur l’équité salariale a été déclarée inconstitutionnelle. À la suite de cette importante décision, ces employeurs, incluant le gouvernement du Québec, ont été obligés de réaliser un véritable exercice d’équité salariale et de corriger les écarts salariaux discriminatoires constatés au sein de leur entreprise. Il s’agit là d’une victoire majeure.

Des gains sans précédent

Depuis l’entrée en vigueur de la loi, on constate une réduction des écarts salariaux entre les hommes et les femmes au Québec. Entre 2000 et 2010, l’écart entre le salaire horaire des femmes et des hommes a diminué de 4,6 %, passant de 16,51 % à 11,93 %. Il est clair que la Loi sur l’équité salariale a eu des conséquences positives, mais il reste du travail à faire. En début d’année 2015, les entreprises québécoises de dix employé-es et plus déclaraient avoir réalisé l’équité salariale dans une proportion de 83 %.

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« Parmi les milieux où l’équité salariale a fait une énorme différence, je pense tout de suite au cas des préposées aux chambres, dans le secteur de l’hôtellerie. Dans les CPE, les éducatrices ont obtenu près de 9 % d’ajustement ! Pourtant la bataille n’est pas terminée dans ce dossier, puisqu’il n’y a pas eu de rétroactivité en raison des délais et du fait que les CPE n’avaient pas de comparateur masculin, explique Francine Lévesque, première vice-présidente de la CSN et responsable des dossiers d’équité salariale. Les brigadières du secteur municipal ont aussi vu leur rémunération augmenter. Il y a tellement de milieux où ça a fait une différence. Dans le secteur public aussi ça a été important. Ce sont 326 000 personnes regroupées dans 130 catégories d’emplois à prédominance féminine qui ont obtenu un ajustement alors que le gouvernement prétendait que sa structure salariale n’était pas discriminatoire. Il y a plus de 4 milliards de dollars qui ont été versés pour l’équité dans la foulée de l’exercice initial. C’est clair que notre mobilisation a porté ses fruits ! »

Des difficultés réelles

Dans la foulée de l’adoption de la loi, plusieurs intervenants ont fait valoir la nécessité de réaliser des programmes d’équité salariale distincts pour les groupes syndiqués qui en faisaient la demande. Pourtant, dans une entreprise, la rémunération répond à une logique globale et il faut tenir compte de l’ensemble des emplois masculins pour prendre toute la mesure de la discrimination subie par les catégories d’emplois à prédominance féminine.

La loi a quand même été adoptée en permettant des programmes distincts au sein d’une même entreprise touchant des groupes d’employé-es différents. Un syndicat peut donc obtenir son propre programme d’équité salariale même s’il ne compte que des catégories d’emplois à prédominance masculine. Les catégories d’emplois à prédominance féminine seraient alors privées de plusieurs emplois parmi les plus rémunérateurs aux fins de comparaison. Nous vivons encore aujourd’hui avec les programmes distincts et leurs conséquences.

Jusqu’en 2009, l’employeur était responsable de s’assurer en tout temps que les écarts salariaux discriminatoires ne se recréent pas au fil du temps dans son entreprise. Malheureusement, les employeurs n’ont pratiquement rien fait à ce chapitre et très peu de syndicats et de salariées ont porté plainte lorsque l’équité salariale n’était pas maintenue. Si la loi était claire quant à la marche à suivre pour la réalisation du programme initial d’équité salariale, elle l’était beaucoup moins dans le cas de son maintien. C’est ainsi que la première révision de la loi a donné lieu à d’importantes modifications législatives au printemps 2009, dont l’obligation pour l’employeur de vérifier si l’équité salariale est maintenue, et ce, tous les cinq ans, sans effet rétroactif. L’employeur peut également réaliser seul l’évaluation du maintien. La principale difficulté rencontrée dans ce cas reste le manque de transparence des employeurs et l’accès quasi inexistant aux informations ayant servi à maintenir l’équité, les employeurs prétextant la confidentialité. Il est bien difficile de se plaindre quand on n’a pas d’information !

Depuis 20 ans, la CSN a accompagné des centaines de syndicats sur le chemin de l’équité salariale. Que ce soit lors de la réalisation de l’exercice initial, lors de processus de conciliation de plaintes ou lors de l’évaluation du maintien de l’équité, les syndicats de la CSN ont pu compter sur l’appui et l’expertise du mouvement. Cependant, on ne peut pas se permettre d’envisager l’avenir avec naïveté. Les difficultés qui se sont dressées au fil du temps doivent servir de base pour revendiquer des bonifications à la Loi sur l’équité salariale, de meilleures mesures de contrôle auprès des employeurs récalcitrants, et un meilleur soutien de la part de la vice-présidence à l’équité salariale de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).

Il s’agit là d’enjeux importants qui doivent faire l’objet d’une réflexion approfondie de la part de la CNESST et de propositions concrètes de la part du gouvernement en prévision de la révision de la loi prévue pour 2019.

Des perspectives pour l’avenir ?

Pour Francine Lévesque, il est clair qu’il reste encore beaucoup de travail à faire et que le maintien de l’équité n’est pas encore un acquis : « Dans nos milieux syndiqués, les personnes qui font le travail au quotidien n’ont souvent pas leur mot à dire sur l’évaluation du maintien de l’équité lorsque l’employeur décide de faire cavalier seul. Dans les faits, nos militantes et militants sont alors exclus du processus et aucune information ne leur est transmise. C’est aberrant. » La vice-présidente de la CSN estime que la loi doit permettre une meilleure participation des syndicats. « N’oublions pas que cet exercice a un impact sur leur négociation par la suite ! », s’exclame-t-elle. Elle note d’ailleurs qu’une réelle différence se fait sentir là où la collaboration a été bonne avec les employeurs ; les syndicats adhèrent alors davantage à la démarche et peuvent faire valoir leur point de vue. « Ce sont ces militantes et militants qui connaissent le mieux les emplois et la réalité quotidienne du travail. Il faut qu’ils puissent être partie prenante de cet important processus. »

Dans les milieux non syndiqués, c’est encore plus dramatique. Les femmes qui y travaillent n’ont assurément pas les mêmes moyens pour faire valoir leurs droits. On prend toute la mesure de l’écart entre les ressources de l’employeur et celles de ces travailleuses. « La vice-présidence à l’équité salariale de la CNESST devrait offrir davantage de soutien dans ces milieux. Sans moyens réels, la réalité quotidienne rattrape ces femmes. C’est vrai dans nos milieux syndiqués, mais c’est encore plus criant dans les milieux non syndiqués », soutient Francine Lévesque.

La CNESST a un rôle primordial à jouer dans l’application de la loi. Le processus d’enquêtes de conformité mis en place depuis quelques années devrait être systématisé et mieux encadré. « Avec l’expérience, nous constatons que les employeurs ont besoin de soutien. À l’heure actuelle, alors que les milieux de travail devraient avoir développé une expertise en équité salariale, on observe que les consultants ont pris toute la place. Il faut s’attaquer à ces enjeux dans la perspective de la révision de la loi annoncée pour 2019 », conclut madame Lévesque.

Une croyance populaire à nuancer

Selon la formule, une baisse du taux de change ($ US/$ CA) permettrait d’accroître les exportations en direction des pays où la monnaie est plus forte. Inversement, un taux de change trop élevé les réduirait. Si cette logique semble implacable, la réalité n’est pas aussi simple. En effet, le boom attendu dans les exportations canadiennes depuis la chute du taux de change n’est pas au rendez-vous. Selon François Bélanger, économiste au Service des relations du travail de la CSN, « certains analystes reconnaissent que la faiblesse du taux de change n’a plus un impact aussi important qu’avant sur les exportations manufacturières au Canada ».

Bien qu’il soit vrai que le taux de change influence le niveau des exportations, plusieurs autres éléments affectent aussi le commerce international. Par exemple, la crise économique de 2007-2008 qui a sévi chez nos voisins du Sud semble avoir fait diminuer fortement les exportations, et cela, même si le dollar canadien s’est déprécié entre 2008-2009. Aussi, après une longue période de baisse des exportations vers le marché américain, la place qui revenait au Canada est maintenant chaudement disputée par certaines économies émergentes, comme la Chine et le Mexique. « Nous avons déjà exporté plus de 80 % de notre production vers les États-Unis, maintenant, c’est un peu plus de 70 %. Cette place a été prise par d’autres et c’est désormais à nous de les déloger », explique François Bélanger. D’ailleurs, il faut comprendre que le dollar américain ne s’est pas seulement apprécié face au dollar canadien, mais également face aux monnaies de ces nouveaux concurrents, annulant ainsi l’effet de levier dont auraient pu bénéficier les produits canadiens.

Certaines décisions politiques prises par nos voisins pèsent aussi très lourd dans la balance. À la suite de la récession de 2008, les États-Unis ont décidé de développer une politique industrielle visant à accroître la production et à rapatrier certains secteurs. « Cette pratique s’appelle on shoring, par opposition aux off shoring qui consistent à délocaliser des industries, et ils la mènent de façon particulièrement vigoureuse. Nous l’avons vu au Québec quand la ville de Memphis est venue chercher Electrolux. Ils accordent plusieurs avantages afin de rapatrier la production », note François Bélanger. Pour soutenir son secteur industriel, Washington a mis en place certaines mesures protectionnistes comme en fait foi le Buy American : « On a sous-estimé le protectionnisme américain, nous étions persuadés qu’à 70 cents, les carnets de commandes allaient déborder, et ça n’a pas été le cas », indique Alain Lampron, président de la Fédération de l’industrie manufacturière (FIM–CSN).

Notre industrie en partie responsable

S’il est vrai que la situation socioéconomique des États-Unis joue un rôle majeur pour comprendre la situation actuelle des exportations canadiennes, il serait simpliste de s’arrêter là. Les compagnies canadiennes sont aussi responsables de la situation actuelle. Plusieurs grandes entreprises ont, pour de multiples raisons, créé des filiales sur le territoire américain. « Une tendance semble se dégager pour les grandes entreprises : au lieu d’exporter de façon traditionnelle à partir d’un pays X, elles choisissent de produire directement sur le marché visé en y implantant des filiales », observe François Bélanger.

La chute des exportations a grandement affecté le secteur manufacturier canadien et québécois. « La capacité industrielle n’est plus la même. Plus de 160 000 emplois ont été perdus depuis 2002 pour se situer, en 2013, à 490 000 emplois. Au-delà de ces pertes, il faut savoir que des usines ont fermé et que des chaînes de production ont été démantelées. Notre capacité industrielle n’est plus la même, et cela, au moment où notre place sur certains marchés est plus que jamais concurrencée », soutient François Bélanger. De son côté, Alain Lampron est catégorique : « Les entreprises auraient dû profiter de la force du dollar pour investir, mais elles ne l’ont pas fait et aujourd’hui, nous sommes moins compétitifs, quand on ne se fait pas carrément dire que nous sommes désuets. »

Un prétexte pour s’attaquer aux salariés

Bien que de nombreux spécialistes s’entendent pour minimiser les impacts du taux de change, il semble que celui-ci ait maintes fois servi de justification aux employeurs pour rouvrir les conventions collectives et imposer des reculs importants aux salarié-es.

« L’ensemble de nos syndicats subissaient ce type de menaces : “On a de la misère” ou “on n’a plus la même marge de manœuvre”, etc. Il y en a eu des renégociations et même des ralentissements », se souvient Alain Lampron. Pour sa part, François Bélanger appelle à relativiser l’impact d’un dollar fort sur les entreprises. « S’il est vrai que la masse salariale augmente, les coûts liés aux importations ou à l’acquisition de nouvelles machineries, eux, diminuent, la volatilité des taux de change comporte donc des avantages et des inconvénients. »

Pour un virage qualitatif

Là où le taux de change intervient, c’est sur le prix des produits. Un taux de change faible permet d’offrir des marchandises à moindre prix. Les entreprises exportatrices pourraient, si elles le voulaient, opérer un changement qualitatif. « Plutôt que d’espérer que le taux de change leur donne un avantage quantitatif, pourquoi ne pas s’orienter vers une production de marchandises à forte valeur ajoutée ? », se questionne François Bélanger. Il faudrait donc investir davantage dans la recherche et le développement, tout en s’assurant que les innovations contribuent à la production industrielle canadienne plutôt que d’être envoyées ailleurs dans le monde. Ce virage permettrait de compenser la fluctuation du taux de change en offrant sur le marché international des produits incontournables, peu importe leur prix, à forte valeur ajoutée.

Plutôt que de voir le taux de change comme une fatalité, positive ou négative, il serait grand temps d’innover et de développer l’économie canadienne et du Québec afin de les immuniser le mieux possible face à ces fluctuations des cours monétaires.

Secteurs du tourisme de l'hôtellerie

Ces deux secteurs sont probablement les plus sensibles aux soubresauts du dollar. Un taux de change trop fort entraîne rapidement un ralentissement de l’activité pour deux raisons. D’une part, le touriste étranger évitera les destinations où le taux de change est trop élevé, puisqu’il lui en coûtera plus cher pour voyager. D’autre part, les touristes locaux vont profiter de la force de la monnaie pour sortir et voyager à l’étranger.

Bien entendu, la faiblesse actuelle du dollar, parce qu’elle attire les touristes étrangers, tout en gardant « captifs » les vacanciers du Canada, a un effet positif sur ces secteurs. Selon Michel Valiquette, trésorier de la Fédération du commerce (FC–CSN) et responsable du secteur de l’hôtellerie, l’effet est non seulement immédiat, mais il est également projeté dans le temps. « L’année 2014 fut une bonne année, 2015 fut une excellente année, les hôteliers ont enfin réussi à augmenter les taux d’occupation au-dessus des moyennes, chose qu’ils n’avaient pas réussi à faire depuis la crise de 2008. Si l’on se projette dans le temps, 2016 et 2017 s’annoncent également très bien. En effet, même si l’on ne connaît pas encore le taux de change, plusieurs événements internationaux, congrès et autres, auront lieu à Montréal, auxquels vont s’ajouter les activités entourant le 375e anniversaire de la ville de Montréal, preuve que la valeur du dollar n’est pas le seul facteur à influencer la vigueur de ces secteurs », explique-t-il.

Toutes les raisons de s’inquiéter

Mais qu’en est-il de la préservation des emplois à long terme, de la perte d’expertise, de l’impact sur la chaîne d’approvisionnement et de la disparition éventuelle des sièges sociaux ?

Chaque fois que le Québec perd un de ses fleurons, on s’inquiète, et avec raison. Des entreprises comme Rona ou St-Hubert, vendues récemment à des firmes étrangères, emploient des milliers de personnes et génèrent une activité économique considérable. La vente du quincaillier Rona à la multinationale Lowe’s et l’achat des restaurants St-Hubert par l’ontarienne CARA ne sont pas sans soulever beaucoup de questions. Des questions importantes que le gouvernement Couillard préfère, lui, ne pas se poser.

« Notre gouvernement est un ardent partisan du laisser-faire, soutient Robert Laplante, directeur général de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC). On l’a vu avec la réaction assez insouciante et légère de la ministre Anglade qui se réjouissait de la transaction de Rona sans même se poser une seule question sur les répercussions de cette transaction sur le secteur de la quincaillerie, par exemple. Avec une telle philosophie, on ne peut pas s’attendre à ce qu’il y ait des mesures interventionnistes mises de l’avant par le gouvernement. Ce n’est pas parce qu’on ne pourrait pas en imaginer, c’est parce qu’on ne veut pas en déployer tout simplement. »

Selon Philippe Hurteau, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) : « La vente d’actifs québécois à l’étranger peut poser un problème et il y a lieu de s’inquiéter. Ce n’est pas juste un enjeu commercial, c’est un enjeu politique de développement économique pour préserver des emplois et continuer à en développer dans plusieurs secteurs d’activité chez nous. On ne sent pas du tout cette volonté de la part du gouvernement actuel. Ce n’est pas important pour lui. Il estime normal la vente des entreprises dans le libre marché, comme s’il n’y avait pas de particularités au Québec. »

Statistiques réductrices et incomplètes

Selon les données du ministère québécois de l’Économie, des Sciences et de l’Innovation, entre le 1er janvier et le 24 février 2016, 255 entreprises québécoises ont été vendues à des sociétés non québécoises, dont 85 sont situées hors du Canada. Pendant la même période, les entreprises d’ici en ont acquis 456 qui sont situées au Canada et à l’étranger.

En théorie, le bilan des ventes et des achats serait donc plus positif que négatif, mais selon Pierre Patry, trésorier de la CSN, il n’y a pas de quoi se réjouir : « Il faut songer aux répercussions sur les emplois ici. Et pas uniquement les emplois des entreprises visées par les acquisitions. Si l’on prend le cas de St-Hubert, c’est également toute la chaîne d’approvisionnement qui risque d’être compromise, parce qu’à partir du moment où les décisions vont être prises ailleurs qu’au Québec, peut-être que ces nouveaux propriétaires n’auront pas la même sensibilité pour l’achat local, pour l’approvisionnement chez des fournisseurs québécois. La perte d’expertise dans plusieurs domaines est une très mauvaise chose. »

Photo : Cédric Martin
Photo : Cédric Martin

Derrière les « statistiques officielles », il y a des noms, de gros noms. Qui peut prétendre que la vente du Cirque du Soleil, de Provigo, d’Alcan, de Sico, de Cambior, de Biochem Pharma et de centaines d’autres joueurs majeurs est une bonne chose pour le tissu économique québécois ?

Selon Philippe Hurteau, chercheur à l’IRIS, « il ne faut pas oublier que dans le cas des sièges sociaux, ce sont de bons emplois de cadres, de gestionnaires, qui s’en vont à l’étranger. C’est aussi le personnel et les fournisseurs qui sont brimés parce que les nouveaux acquéreurs ont souvent leur main-d’œuvre et leurs propres fournisseurs ».

Absence de relève et stratégie perdante du gouvernement

« Ce qui est maintenant à risque avec le contexte que nous traversons, ajoute Robert Laplante de l’IRÉC, c’est que beaucoup d’entrepreneurs qui ont développé l’économie québécoise arrivent à la retraite. Plusieurs entreprises vont soit traverser une crise de succession, soit voir glisser leur propriété vers l’extérieur. Le gouvernement du Québec a l’air de regarder la chose en spectateur, mais c’est évident que l’effet combiné de la faiblesse du dollar et du vieillissement assez massif de toute une cohorte d’entrepreneurs va créer beaucoup d’occasions d’affaires attrayantes pour différents secteurs économiques. »

« Si le gouvernement québécois ne fait pas d’effort particulier pour défendre certaines entreprises québécoises, on va avoir un problème, ajoute Philippe Hurteau. Le gouvernement veut surtout attirer des investissements étrangers et redevenir une économie de succursale. Les efforts mis sur le Plan Nord nous montrent que Philippe Couillard voit notre économie comme un réservoir de ressources disponibles aux investissements étrangers. C’est une vision du temps de Duplessis, on brade nos ressources naturelles et on ne demande rien en retour. »

Un point de vue que partage Robert Laplante de l’IRÉC. « Le Plan Nord, c’est une stratégie qui consiste essentiellement à vendre la matière première faiblement transformée et à en vendre le plus possible. Heureusement pour nous, ça ne marche pas. L’essentiel de la richesse à tirer de ces ressources naturelles-là sera capté à l’extérieur. Le Plan Nord, c’est un choix de perdant, une stratégie d’exportation d’emplois. »

Selon Pierre Patry, « après la “grande noirceur” sous Duplessis, on est parvenus à prendre en main notre économie. On a mis en place une série d’institutions économiques pour mieux contrôler notre destin. Malheureusement, aujourd’hui, on a l’impression de reculer. Sous la pression des actionnaires, les conseils d’administration des entreprises ne gèrent qu’en fonction des intérêts à court terme, au détriment du développement à long terme des entreprises. Ceux qui se préoccupent le plus de l’avenir des entreprises, ce sont les travailleuses et les travailleurs qui malheureusement n’ont pas droit au chapitre. »

Le Québec, un refuge fiscal

« La politique fiscale du Québec favorise l’acquisition de nos fleurons par les entreprises étrangères, ajoute le chercheur Philippe Hurteau. Depuis quelques années, les entreprises étrangères qui achètent nos meilleures compagnies le font souvent pour des raisons d’optimisation fiscale. Burger King a acheté Tim Hortons non pas pour se développer dans le secteur des beignes et du café, mais pour pouvoir déclarer des revenus au Canada et au Québec et se soustraire au fisc américain. »

Le Canada impose moins les entreprises que les États-Unis et le Québec impose moins ses sociétés que les autres provinces canadiennes. Les sociétés états-uniennes achètent des entreprises d’ici pour avoir pignon sur rue et profiter de notre régime fiscal. Selon le professeur Hurteau, « les différents gouvernements ont tellement baissé les impôts des entreprises et des sociétés, on a tellement mis en place de programmes de soutien et de crédits d’impôts pour les entreprises, que le Québec et le Canada sont devenus des refuges pour les entreprises étrangères. Ce qu’on reproche aux paradis fiscaux, eh bien, il y a des entreprises qui nous utilisent pour arriver aux mêmes fins. »

L’impôt aux entreprises en chute libre

Les contributions fiscales des entreprises sont en chute libre depuis une quarantaine d’années au Québec et au Canada et c’est ce qui fait qu’on devient attractif pour les entreprises, surtout américaines. Pour Philippe Hurteau, « décrire le Québec comme un “enfer fiscal” pour les entreprises, c’est vraiment quelque chose d’habile, mais ce n’est absolument pas le reflet de la réalité, bien au contraire. Cela sert surtout à faire pression sur les gouvernements pour baisser toujours davantage les impôts et les taxes sur la masse salariale. Pour une entreprise, il est nettement plus avantageux de payer ses impôts au Québec qu’en Ontario ou dans le Maine. Comme entreprise, si j’avais à choisir une juridiction pour payer mes impôts en Amérique du Nord, ce serait au Québec ».

Des solutions existent

La vente d’entreprises québécoises à des entreprises étrangères est inévitable, jusqu’à un certain point. Il faut donc, selon Pierre Patry, trésorier de la CSN, « imaginer d’autres formules de prise de possession, pour s’assurer que les intérêts demeurent au Québec. On peut faciliter la création de coopératives de travailleurs, une meilleure utilisation des outils de développement économique qu’on a déjà. Le gouvernement québécois a le devoir de réfléchir à cette question. Il faut donner plus d’obligations aux conseils d’administration des entreprises, pour s’assurer qu’ils préservent les emplois au Québec. »