Aux États-Unis, des millions de ressortissants étrangers vivent aujourd’hui dans la peur d’aller travailler. Et pour cause : les milieux de travail sont de plus en plus la cible des rafles menées par les agents de la police fédérale de contrôle de l’immigration (ICE), chargés de faire respecter les politiques migratoires du pays.
Les images font frissonner : masqués, lourdement armés, appuyés par des véhicules militaires, ils envahissent par centaines là une usine, là une ferme, aujourd’hui un restaurant, demain un lave-auto. C’est à de véritables arrestations de masse qu’ils s’activent, se servant d’attaches à usage unique pour immobiliser les travailleurs, le temps de vérifier le statut de chacun.
À Los Angeles en juin dernier, c’est un stationnement du Home Depot de Westlake qui fut le théâtre d’un tel coup de filet. Comme chaque matin, ils étaient déjà quelques centaines de journaliers à espérer être embauchés pour la journée quand les agents de l’ICE ont envahi les lieux, multipliant les arrestations arbitraires. Devant l’ampleur des manifestations, Trump jugea bon de déployer les troupes de la garde nationale, malgré l’opposition du gouverneur californien – et féroce opposant démocrate –, Gavin Newsom.
En juillet, la juge Maame E. Frimpong ordonnait aux corps de police de cesser de cibler aléatoirement les communautés immigrantes en raison de leur accent ou de leur apparence ethnique. Un tel profilage racial enfreint le 4e amendement américain, qui protège les citoyens contre les arrestations abusives.
Si la décision Frimpong a été confirmée par la Cour d’appel, l’administration Trump a depuis porté la question à la Cour suprême qui, dans une décision provisoire rendue le 8 septembre, levait temporairement les interdictions imposées aux opérations de la police de l’immigration.
Mais les forces de l’ICE n’ont pas attendu la décision du plus haut tribunal du pays. Le 7 août dernier, c’est dans le stationnement du même Home Depot de Los Angeles qu’ils ont déployé l’opération « Cheval de Troie ». Cachées dans un camion de location – comme ceux utilisés par les entrepreneurs en quête de main-d’œuvre bon marché –, des troupes ont surgi du camion, pourchassant les malheureux.
Pour de nombreuses communautés immigrantes, le pire est à craindre si la Cour suprême devait, lorsqu’elle se penchera sur le fond de l’affaire, autoriser des arrestations basées sur « l’ethnicité apparente », comme le souhaite l’administration Trump.
D’autant plus que la loi budgétaire que le président a fini par faire adopter au cours de l’été, le One Big Beautiful Bill Act, prévoit une augmentation de 75 milliards $ du budget de l’ICE, permettant à la force d’embaucher 10 000 nouveaux agents. La somme de 45 milliards sera investie au cours des quatre prochaines années pour décupler le nombre de centres de détention pour personnes immigrantes en situation irrégulière, comme cet « Alcatraz des alligators », construit en un temps record en bordure d’une piste d’atterrissage abandonnée en Floride, qui sert depuis à l’expulsion des immigrants.
Le président Trump et sa secrétaire à la sécurité intérieure, Kristi Noem – celle-là même qui avait défrayé la chronique après avoir abattu son chien à bout portant – n’en démordent pas : c’est aux criminels endurcis, « membres de gang, violeurs et pédophiles », qu’ils font la lutte.
Les chiffres montrent pourtant le contraire. Depuis le retour des arrestations de masse, la part d’immigrants sans antécédent criminel parmi les personnes arrêtées par l’ICE n’a cessé d’augmenter, passant de 24 % en décembre à 37 % en juillet, selon les chiffres compilés par le Deportation Data Project de l’Université de Californie à Berkeley.