En prenant la route du Bas-du-Fleuve cet été, Éric Lavoie Vouligny et Sylvain Bordeleau s’attendaient quand même à recevoir quelques tomates. La région est le fief d’André Bélanger, propriétaire de Béton Provincial.
C’est d’abord pour informer les travailleurs des autres usines de Béton Provincial des enjeux de leur négociation qu’Éric et Sylvain ont fait tant de kilomètres. Mais aussi pour sensibiliser la population au comportement répréhensible de leur concitoyen, qui n’a pas hésité à mettre 50 employés en lock-out à quelques jours de leur qualification à l’assurance-emploi, en décembre dernier, tout juste avant la saison morte.
« On voulait passer notre message, explique Éric en entrevue. On voulait aller chez lui, dans sa ville à Matane. Pour que sa famille, ses ami-es, commencent à l’interpeller : comment ça, que ça monte de Montréal pour poser des pancartes jusqu’ici ? »
Des tomates, Éric et Sylvain n’en auront reçu qu’à Gaspé, où les travailleurs, non syndiqués, craignirent de subir les contrecoups de cette visite improvisée.
« Partout ailleurs, on nous accueillait à bras ouverts. Ils savent qu’on se bat pour l’industrie au complet. Pour tous les opérateurs de bétonnières du Québec », explique M. Lavoie Vouligny
« On a fait toutes les usines du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. On s’arrêtait, on mettait des drapeaux et on parlait aux gars. Sur la route, on s’arrêtait manger dans les haltes : on faisait juste se stationner, les gens venaient nous voir et on distribuait nos tracts… »à
Tuer la concurrence
C’est en avril 2024 que Demix Béton, la compagnie qui employait Éric et Sylvain, fut rachetée par Béton Provincial. En pleine expansion, l’entreprise emploie aujourd’hui plus de 2600 personnes dans ses 90 usines et sa centaine de carrières, tant au Québec qu’en Ontario, au Nouveau Brunswick et à Terre-Neuve.
« À Gaspé, un entrepreneur est venu nous dire que Béton Provincial avait racheté toutes les petites usines de la région, relate Éric. Ils ont baissé les prix, ils ont tué toute la concurrence. Ensuite, ils ont fait passer le prix du mètre cube de béton de 100 $ à 300 $. L’entrepreneur nous disait qu’en Gaspésie, tu n’as pas le choix de faire affaire avec Béton Provincial. Pour de la qualité ben moyenne, parfois. »
Comme tous ses collègues, Éric Lavoie Vouligny est conscient que les conditions négociées chez Demix sont meilleures que celles qui prévalent en Gaspésie. Jusqu’à 6 $ l’heure en moins.
« Ce sont de petits plants : souvent quatre ou cinq employés, pas plus. Béton Provincial fait ce qu’il veut. Les travailleurs ont peu de marge de manœuvre pour refuser les offres de la compagnie », précise Éric.
À LaSalle et à Longueuil, les employés ont refusé les offres du boss. Il voulait geler les salaires sur quatre ans, abolir le régime de retraite et couper substantiellement dans l’assurance collective. Depuis décembre, rien n’a trop bougé à la table de négociation.
« C’est de plus en plus dur, admet Éric. Les gars se trouvent des petites jobs à gauche à droite. Il y en a qui n’ont pas le choix, avec les enfants et la maison à payer. Certains ont carrément décroché et sont allés se faire voir ailleurs, même si la majorité des lock-outés maintiennent chaque semaine la ligne de piquetage. »
Au moment d’écrire ses lignes, Éric et Sylvain s’apprêtaient à reprendre la route à bord de leur camionnette. « On fera tout le Saguenay pour continuer sur la Côte-Nord ensuite. On s’arrêtera dans les conseils centraux et on prévoit visiter au moins une quinzaine d’usines de Béton Provincial. »
« Moi, c’est la mobilisation qui me tient. Trouver des idées de mob et m’occuper des gars sur la ligne m’aide à passer au travers », conclut Éric Lavoie Vouligny.