C’est demain, vendredi, que reprendra le procès d’Amazon devant le Tribunal administratif du travail (TAT). Pour une troisième journée, le président d’Amazon Canada Fulfillment Services (ACFS), Jasmin Begagic, devra répondre aux questions des avocates de la CSN quant aux circonstances ayant mené à la fermeture des sept entrepôts situés au Québec.
Lors de son témoignage jeudi dernier, Jasmin Begagic a reconnu avoir fait partie du comité ayant émis des recommandations en lien avec ces fermetures. Des questions demeurent, cependant, notamment à savoir qui faisait partie de ce comité, à qui ces recommandations étaient destinées, qui a pris la décision de fermer les entrepôts québécois – et si la décision a même été prise au Canada.
Premier témoin dans cette cause qui oppose la multinationale à la CSN, laquelle conteste la légalité des fermetures en vertu du Code du travail, M. Begagic a néanmoins reconnu que David Alperson, décrit comme son supérieur immédiat et basé au Tennessee, avait été partie prenante de la décision de fermer, au Québec seulement, les centres de distribution d’Amazon. M. Begagic a également affirmé que le patron d’Alperson et VP Amérique du Nord d’Amazon, John Tagawa, avait participé à des rencontres en lien avec ces fermetures à la fin de l’année 2024.
Tranquillement, le témoignage de Jasmin Begagic permet d’en apprendre davantage sur le rôle joué par le département « Employee Relations » d’Amazon. Grâce à son « index d’engagement des employé-es », cette équipe est chargée de s’assurer de la satisfaction au travail des employé-es d’Amazon et de gérer les risques de syndicalisation au sein des nombreuses filiales et entrepôts de la multinationale. Les hauts gestionnaires d’Amazon ont des rencontres régulières avec cette équipe, a reconnu M. Begagic devant la juge Irène Zaïkoff.
Un « vaste subterfuge »
Pour la CSN, la décision d’Amazon de fermer ses entrepôts au Québec constitue un « vaste subterfuge » visant à se soustraire de ses obligations prévues à la loi et à éradiquer toute présence syndicale au sein de l’entreprise, soutient la centrale syndicale dans sa plainte déposée le 20 février dernier. « La multinationale ne cesse pas ses activités de vente en ligne sur le territoire. Elle choisit de réorganiser ses activités dans le but d’éluder ses obligations d’employeur en vertu du Code du travail », précise la requête déposée en vertu des articles 12, 13, 14 et 53 du Code du travail.
« Il est clair pour nous que la fermeture des entrepôts d’Amazon visait principalement à freiner la campagne de syndicalisation en cours et la conclusion d’une première convention collective en Amérique du Nord », affirme la présidente de la CSN, Caroline Senneville.
« Illégale à plusieurs égards », la décision d’Amazon doit être infirmée par le tribunal, demande la CSN au nom de nombreux plaignants.
Puisque « les agissements d’Amazon s’attaquent à l’ordre juridique québécois [et] parce que cet employeur n’hésite pas à licencier des milliers de personnes afin de donner l’exemple », la CSN demande au tribunal d’ordonner la reprise des activités aux sept entrepôts visés par la plainte. Elle demande également que chaque employé-e reçoive plus d’un an de salaire en guise d’indemnité, en plus de dommages moraux et exemplaires.
La plainte fait valoir que la décision de fermer ses entrepôts québécois est en contradiction directe avec le plan d’affaires mis de l’avant par la multinationale au cours des dernières années. Les quatre derniers centres de livraison au Québec, dont l’entrepôt syndiqué DXT4 à Laval, n’ont été établis que depuis trois ans, rappelle la CSN, à l’image des investissements massifs de la compagnie dans la stratégie du « dernier mile ».
Ces entrepôts de proximité, nécessaires à la livraison en un jour, « ne constituent pas seulement la façon la plus rapide de livrer les produits aux consommateurs, mais aussi la façon la plus économique de le faire », déclarait en octobre dernier le PDG d’Amazon, Andrew Jassy, après avoir annoncé un an plus tôt son intention de doubler le nombre de stations capables de livrer les colis le jour même.
« Rien ne laissait présager qu’Amazon choisirait, à peine trois mois plus tard, de retourner à un modèle de livraison par des tiers », affirme la CSN dans sa requête. Pour la centrale syndicale, « Amazon n’hésite pas à avoir recours aux mesures les plus extrêmes et à sacrifier sa rentabilité afin d’éviter l’imposition d’une première convention collective », véritable objectif d’une décision aussi draconienne.
À propos
Le 19 avril dernier, la CSN déposait une requête auprès du TAT pour représenter les 230 salarié-es de l’entrepôt DXT4 d’Amazon, rue Ernest-Cormier à Laval. Au cours des semaines précédentes, un grand nombre de salarié-es avaient rallié leur syndicat. Le 10 mai, le TAT accréditait officiellement le syndicat, reconnaissant qu’une majorité d’employé-es y avaient adhéré.
La négociation en vue d’établir une première convention collective a débuté en juillet. Le 22 janvier dernier, Amazon annonçait son intention de fermer ses sept entrepôts au Québec et de céder l’ensemble de ses opérations à la sous-traitance.
Rappelons qu’Amazon a été condamnée par le TAT pour ingérence et entraves antisyndicales à l’entrepôt YUL2 à Lachine et qu’elle subit présentement un procès du même type pour des actions similaires menées à l’entrepôt DXT4 de Laval.
Fondée en 1921, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) regroupe 330 000 travailleuses et travailleurs des secteurs public et privé, et ce, dans l’ensemble des régions du Québec et ailleurs au Canada.