Rapport Kirby sur l’avenir des soins de santé
Plus d’argent… mais à des conditions inacceptables
Aux yeux de la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau, l’aspect le plus intéressant du rapport rendu public aujourd’hui par le président du comité sénatorial sur les soins de santé, M. Michael Kirby, est sans contredit la reconnaissance du déséquilibre dans la contribution financière du gouvernement fédéral en matière de soins de santé. Selon elle, il s’agit là d’un aveu majeur. Toutefois, elle n’est pas du tout d’accord avec les conditions rattachées à une augmentation du financement provenant du fédéral, et pas davantage d’accord avec la façon proposée pour financer les recommandations mises en avant.
“Proposer que le gouvernement fédéral débourse la rondelette somme de 5 milliards de dollars par année pour améliorer les soins de santé au Canada est une déclaration douce à entendre, mais tout de même un peu étonnante, a-t- elle ironisé. D’où notre méfiance spontanée devant l’annonce d’une éventuelle manne providentielle provenant du fédéral. Rappelons que celui-ci, à seule fin d’obtenir une plus grande visibilité politique, n’en est pas à ses premières tentatives d’empiètement dans les domaines exclusivement réservés aux provinces. Avec son pouvoir de dépenser et ses énormes surplus accumulés, le gouvernement fédéral n’a pas toujours été très respectueux des programmes et organisations mis en place par les provinces, directement responsables d’assurer la prestation des services.”
VISION TRES CENTRALISATRICE DE L’ORGANISATION DES SOINS
La CSN tient à réitérer son accord avec les cinq grands principes de la loi canadienne sur la santé et tient aussi à reconnaître que le comité sénatorial n’a pas jugé bon de s’attaquer de front aux fondements même de cette loi.
Mais en même temps, la CSN demeure convaincue qu’il est impensable de vouloir mettre en place, comme la très grande majorité des propositions le font aujourd’hui, un système uniforme coast to coast. La création d’un poste de commissaire national aux soins de santé et d’un conseil national, indépendants du gouvernement et répondant au vérificateur général, va exactement dans ce sens. Une telle structure représente une véritable bombe à retardement en matière de relations entre le fédéral et les provinces, et les conflits qui vont en surgir risquent grandement de bloquer l’aspect le plus important, c’est-à-dire l’injection du 5 milliards par année dans le système.
“Il ne faut jamais oublier que ce sont les provinces, depuis toujours, qui s’occupent de l’organisation et de la prestation des soins de santé auprès de la population. A ce niveau, a-t-elle argumenté, il s’est développé une très grande disparité entre les différentes régions au Canada. Il existe en effet des réalités territoriales bien différentes, d’où l’impossibilité d’implanter un seul modèle d’organisation des soins. Alors, si le fédéral a l’intention de faire du nation building par le biais du système de santé, je tiens à dire qu’il frappe une fausse balle en visant l’implantation d’un système unique, uniformisé, contrôlé par Ottawa. Le rapport du comité sénatorial va nettement dans cette direction. Je tiens aussi à souligner que les plus récents discours de M. Romanow viennent d’ailleurs augmenter nos craintes à cet égard.”
NON A UNE NOUVELLE CONTRIBUTION
Pour la CSN, il n’est absolument pas question d’entériner une proposition visant à faire payer davantage les contribuables canadiens pour mettre en place les nouveaux programmes annoncés.
“Je dis non à une nouvelle taxe dédiée, je dis non à une hausse de la TPS et encore non au recours à toute forme de ticket modérateur, s’est exclamée Claudette Carbonneau. Il y a amplement d’argent au fédéral pour financer ces nouvelles priorités sans exiger davantage des contribuables. Les surplus qui s’accumulent au fédéral doivent justement servir à financer ce genre de priorités. Je trouve un peu facile d’ailleurs que des sénateurs ayant besogné pendant plus de deux ans puissent en arriver à dicter des orientations dans un secteur aussi névralgique que celui de la santé, qu’ils en arrivent à chiffrer de façon aussi précise les coûts qui y sont rattachés et qu’ils se tournent ensuite vers la population pour lui dire qu’elle devra entièrement défrayer les dépenses issues de leur réflexion.”
LES INVESTISSEURS PRIVES DOIVENT APPLAUDIR
La CSN tient aussi à relever l’incohérence entre les principales priorités mises en avant par le comité sénatorial et les montants d’argent qui y sont associés.
En effet, les membres du comité insistent énormément, entre autres, sur l’importance des soins à domicile, des soins palliatifs à la maison et l’aide pour défrayer les médicaments coûteux. Sauf que les gros montants n’y sont pas affectés. On leur accorde des broutilles. En font foi les très maigres 50 M$ par année, pour tout le Canada, réservés à la mise en place des groupes de soins primaires, alors que les vrais montants sont consacrés aux nouvelles technologies de la santé, aux immobilisations et à l’inforoute.
“Dans ce rapport, les investissements les plus importants sont véritablement réservés aux fournisseurs privés, s’est indignée la présidente de la CSN. Au nom d’un meilleur système public, d’un meilleur service à la population et de mots d’ordre lancés aux provinces pour qu’elles soient plus efficientes, il y a une manière un peu hypocrite d’ouvrir toute grande la porte au secteur privé via les régies régionales et les hôpitaux en leur réservant la plus grosse part des 5 milliards de dollars en question. En fait, ce qu’il faut constater, c’est que les risques d’une plus grande privatisation du système canadien sont partout présents dans ce rapport, contribuant ainsi à une croissance marquée des dépenses de santé.”
PREMIER MATCH D’UNE LONGUE SERIE
La présidente de la CSN a aussi tenu à relativiser l’importance des recommandations issues du rapport du comité sénatorial. A son avis, il y a encore très loin de la coupe aux lèvres. “C’est un peu comme pour la série mondiale au baseball, a-t-elle expliqué. Le rapport Kirby n’est que la première partie d’une longue série quatre de sept. Il va falloir attendre les prochains matchs pour savoir à quoi s’en tenir, plus particulièrement le plan de relance de M. Legault au Québec, le rapport de M. Romanow prévu pour la fin du mois de novembre, la rencontre fédérale-provinciale annoncée pour le début de 2003, sans oublier la course au leadership du PLC et les élections prochaines au Québec. Décidément, on est encore bien loin du match décisif.”
Source : CSN – 25-10-2002