Conseiller syndical à la Fédération du commerce (FC–CSN), Alain Savard a appelé les syndicats à s’engager plus que jamais, dans la lutte aux changements climatiques. Auteur du livre Pour une écologie du 99%, il a beaucoup réfléchi au rôle que les syndicats doivent jouer pour forcer un changement de cap des gouvernements.
Nous sommes dans un contexte inquiétant avec la montée de la droite au Canada et le retour de Donald Trump à la présidence américaine. Or, plus on attend pour effectuer les changements nécessaires plus ils seront complexes à mettre en œuvre.
Ce n’est pas un enjeu technologique. Nous avons beaucoup de technologies déjà. C’est surtout un enjeu de pouvoir. Il y a des raisons de fond qui expliquent le retour du développement pétrolier. Entre autres, l’explosion de l’intelligence artificielle s’accompagne de besoins gigantesques en énergie.
«En fait Il n’y pas d’autres solutions que de laisser les énergies fossiles sous la terre et de développer des solutions de rechange », estime-t-il.
Pourquoi continue-t-on à développer des capacités additionnelles au Canada ? Parce que du point de vue des investisseurs, se voir interdire d’exploiter la ressources équivaut à une perte de richesse. On parle d’un secteur qui a dégagé 63 milliards $ en profits l’an dernier ! Ils ont les moyens de faire valoir leurs intérêts !
Un exemple ? Plusieurs pages sont apparues ces dernières années sur les réseaux sociaux, comme le «Réseau Québec fier». Financés par les lobbys pétroliers, l’objectif de ces médias est de faire valoir les intérêts des capitalistes de l’industrie sous couvert de critiques sociales contre des élites globalistes, les syndicats et les services publics. Usant de désinformation et d’amalgames, ils visent à contrer le discours scientifique sur le dérèglement climatiques par des appels à l’émotion.
Au-delà de ces initiatives de l’industrie, Alain Savard pointe du doigt le système capitaliste. Si une seule entreprise investit toute seule dans son coin pour diminuer drastiquement ses gaz à effets de serre elle risque de perdre en compétitivité par rapport à ses concurrents. Cela mène à ce qu’on doit appeler l’écoblanchiment. C’est-à-dire que les entreprises sont incitées à faire le minimum afin de pouvoir présenter un visage vert au consommateur sans nécessairement faire les véritables transformations nécessaires.
L’avènement du libre-échange amène lui aussi des défis supplémentaires en diminuant la capacité des États à intervenir et mettre des règles pour gére le commerce. La réponse doit venir de tous les États. Le rôle des organisations syndicales doit être d’exercer des pressions sur les gouvernements pour qu’ils exigent plus des entreprises polluantes et éventuellement, porter ces réglementations à l’international.
Un problème collectif
Chacun doit faire sa part, c’est dans l’air du temps. Pourtant, la réalité c’est que si tous les Québécoises et les Québécois font tout tout tout ce qu’il faut, achat responsable, compost, recyclage, économie d’eau, etc la réduction totale des déchets ne constitueraient que 5 %. En fait l’essentiel de la pollution est produit ailleurs, par l’extraction des ressources, la fabrication, le transport… La solution ne peut donc pas reposer que sur les épaules des citoyennes et des citoyens.
Une question de justice
Les impacts des changements climatiques ne sont pas vécus de la même manière par tout le monde. On peut penser que les mieux nantis s’en sortiront mieux que la grande majorité de la population. Même à l’échelle mondiale on constate que les pays les plus pauvres sont globalement les plus touchés par le dérèglement climatique.
Cela s’inscrit dans un contexte de méfiance généralisé à l’égard des institutions démocratiques. En mettant de l’avant des politiques de libre-échange, de privatisation et d’austérité, les gouvernements ont promu un modèle social qui a laissé plusieurs personnes derrière. Or, on attend de ces institutions qu’elles prennent les devants dans la lutte aux changements climatiques mais elles sont discréditées.
Que faire ?
« Appuyons-nous sur nos forces» enchaîne Alain Savard qui fait un parallèle avec la façon dont on travaille pour mener une syndicalisation ou une campagne de mobilisation. La clé : convaincre des leaders et créer un lien de confiance qui créeront à leur tour un lien de confiance avec leurs collègues.
Il faut miser sur ce lien de confiance. C’est ainsi qu’on peut contrer la désinformation voire l’apathie. Même si nos adversaires sont immensément riches, la confiance ça ne s’achète pas. En tant que mouvement syndical on a ce levier, ces réseaux de confiance, pour convaincre et agrandir le cercles de celles et ceux qui réclament des changements. Contrairement à une organisation d’intérêt comme Greenpeace qui regroupe que des personnes partageant les mêmes vues, nous reposons sur des structures qui nous permettent de rallier de nouveaux adhérents à la cause.
Concrètement on peut même penser à des clauses de convention collective pour protéger l’environnement voire convertir des productions. Mais on sait bien qu’il ne s’agit pas que d’avoir de bonnes idées en négociation : l’adhésion des membres est essentielle. La machine syndicale doit prendre tous les moyens pour sensibiliser les membres. On peut s’appuyer sur des travailleuses et des travailleurs déjà convaincus souhaitant s’organiser pour obtenir des changements.
On peut évidemment aussi se mobiliser en dehors de la négociation. Les demandes en matière environnementale ont même le potentiel d’augmenter notre rapport de force car la population se montre souvent sympathique à ces arguments.
Par ailleurs, il faut prendre la place sociale et politique qui nous revient. Si on veut préserver des emplois viables pour le futur il faut être capable de se coaliser pour forcer le changement. Nous le faisons déjà un peu, par exemple en liant l’enjeu du transport collectif à la diminution des gaz à effets de serre. Il faut le faire plus.
Trois gestes à poser
En résumé, Alain Savard explique que trois objectifs doivent nous guider.
Laisser les hydrocarbures sous terre
Rompre notre dépendance au pétrole et au gaz
Nationaliser et démocratiser le secteur de l’énergie pour mieux planifier sa transformation.
La majorité des décisions jusqu’à maintenant ont été prises par une minorité de nantis.
Pour un véritable virage, l’autre 99 % de la population doit s’en saisir.
« Si les syndicats ne prennent pas cette lutte à bras le corps, ces changements ne se feront pas » conclut-il.
Va pour la théorie ! Dans l’échange qui a suivi la conférence, des travailleurs du secteur manufacturier ont fait valoir que les entreprises font face à une concurrence mondiale et qu’il s’avère très difficile d’exiger des investissements des entreprises qui ne leur sont pas exigés ailleurs sur la planète. Cela montre la nécessité de nous organiser pour construire un rapport de force et avoir un impact réel pour imposer un agenda qui servira les intérêts du plus grand nombre. Les solutions concrètes ne tomberont pas du ciel, c’est à nous de les mettre en lumière.
À nous de trouver la voie unissant revendications sociales et environnementales !
Au travail !
D’ailleurs le conseil central s’est doté d’un plan d’action visant à construire dans la région un mouvement capable d’exercer une influence concrète. Le travail se fera tant auprès des syndicats et de leurs membres qu’en coalition avec d’autres organisations qui militent elles aussi pour des solutions d’avenir en environnement.