Réplique de la CSN à l’IEDM

Le modèle syndical québécois : un modèle distinct qui atténue les injustices

Depuis plus de 24 mois, les artisans du journal de Montréal se retrouvent dans la rue grâce, notamment, à la faiblesse de notre législation anti-briseur de grève. C’est à ce problème que s’est attaqué une commission parlementaire chargée d’étudier le projet de loi visant à adapter ces dispositions à la réalité de plus en plus virtuelle du travail. De façon odieuse, certains dont l’Institut économique de Montréal, ont saisi cette occasion pour tenter de faire dévier ce débat sur des considérations idéologiques. Il est important de rappeler certains faits concernant les arguments soulevés par ceux-ci. Encore aujourd’hui, la liberté d’association est le seul droit fondamental que l’on doit exercer dans la clandestinité, afin d’éviter les représailles que peuvent encourir les instigateurs d’une démarche syndicale. En fait, le jupon ne dépasse pas derrière la proposition de vote obligatoire, il en est le seul habit. L’objectif réel d’une telle proposition est de poser une épreuve supplémentaire à l’exercice de cette liberté de s’associer dans le but de négocier et de se faire respecter. Effectivement, le vote obligatoire en matière d’accréditation a des impacts négatifs étayés par plusieurs études. Celui-ci ouvrant une fenêtre à l’intervention de l’employeur, ses promesses et ses menaces. De fait, dans un régime de vote, le taux de réussite des campagnes d’accréditation diminue. Au surplus, les tactiques anti-syndicales des employeurs gagnent grandement en efficacité lorsqu’un tel vote est obligatoire et ce, même si celui-ci se déroule rapidement après la requête. D’ailleurs, aucun autre exemple n’existe en démocratie où un groupe luttant pour sa propre existence se verrait imposer un vote avant même d’être reconnu. Le processus actuel d’accréditation au Québec n’est pas sans garde-fou. De fait, un agent de relation de travail enquête sur toute demande d’accréditation. Toute contestation de la part de salariés quant à la représentativité du syndicat amènera l’agent à référer le dossier à un commissaire qui décidera du tout suite à une audition où les parties pourront faire valoir leur opinion. Voter et adhérer ne sont pas deux gestes d’égale nature. Lorsque l’on adhère en signant une carte, on va beaucoup plus loin, on pose un acte personnel qui nous lie. Ainsi, il est normal que l’on distingue le processus d’accréditation du vote de grève, car il s’agit alors de débats qui peuvent se tenir librement et d’un syndicat bien implanté capable d’user des mécanismes nécessaires afin de faire respecter le droit des salariés ayant exprimé leur vote. Le vote n’est d’ailleurs pas une panacée pour s’assurer de la représentativité. Rappelons que la plupart des lois canadiennes demandent un pourcentage inférieur à 50 % pour obtenir la tenue d’un vote, ensuite, une bonne proportion d’entre elles n’exige qu’un résultat majoritaire établi sur le nombre de votants. Il est donc possible d’y être accrédité avec un appui final de 25 % des voix seulement, alors qu’au Québec, il faut un minimum de 51 % des voix qui s’expriment en faveur de l’accréditation syndicale. La formule de perception automatique des cotisations n’a pas été inventée par les syndicats. C’est au détour de la 2ème Guerre mondiale que le juge Rand, agissant comme arbitre dans le conflit entre Ford et ses ouvriers, a pensé ce dispositif afin d’assurer la paix industrielle. C’est-à-dire que la formule favorisait tant le syndicat que son interlocuteur. N’oublions pas qu’au Québec, le salarié jouit d’une contrepartie indéniable à cette perception automatique des cotisations, le syndicat est forcé par la loi de le représenter adéquatement et ce, malgré son refus d’adhésion. Quant à l’usage qui est fait des cotisations : les travailleurs sont des individus à part entière pleinement capable d’exercer leur autonomie dans l’intelligence et le sain débat démocratique. C’est pourquoi c’est en assemblée générale que les membres sont invités à décider, suite à l’échange d’arguments et d’informations de ce que leur syndicat fera de leurs cotisations syndicales. Les syndicats devraient-ils pour autant se limiter à de simples considérations ne visant que l’intérêt direct de leurs membres au travail ? À la CSN, nous croyons qu’on ne peut guère agir en silo et que l’amélioration des conditions de travail doit accompagner celles des conditions générales de vie de la population pour le plus grand bénéfice de la collectivité. Historiquement, le droit de s’associer en syndicat a été littéralement conquis à force de grève et parfois de sang, comme le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt récent Health Services. C’est donc explicitement le droit de s’associer qu’il convient avant tout de protéger. Encore aujourd’hui, plusieurs études démontrent  que l’opposition patronale à l’association des travailleurs est la norme, ceux-ci allant jusqu’à congédier le moindre revendicateur. Les instances consultatives et décisionnelles de l’Organisation internationale du travail ont noté à plusieurs reprises qu’au plan mondial, chaque État reste libre de décider si le droit de non adhésion existe ou non dans son système interne. Du côté de la Déclaration universelle des droits de l’homme, celle-ci comme tout instrument international commande d’être lue en entier pour être adéquatement interprétée. S’il est vrai que son article 20 prévoit que nul ne devrait être forcé de s’associer, l’article 23 traitant spécifiquement de la liberté syndicale ne prévoit pas une telle réserve. Qu’en est-il de l’Europe ? Une simple comparaison ne permet pas de prendre en compte les réalités différentes des sociétés européennes et nord-américaines sur cette question, le système des relations de travail y étant tout à fait différent, tout autant que leurs cultures politiques et sociales. Importer à la pièce des principes européens dans le contexte canadien revient tout simplement implanter un animal tropical dans la forêt québécoise. C’est dans ce contexte que la Cour suprême a affirmé que ces deux outils, la formule Rand et les clauses d’adhésion obligatoires, étaient conformes aux valeurs protégées par la Charte canadienne, dans les arrêts Lavigne et Advance cutting. Dans sa « note économique», l’IEDM souligne à force de trait noir le fait que le Québec se « démarque » du monde. Et si se démarquer, sans être parfait, pour briller parmi le groupe des meilleurs au plan de la défense d’un droit fondamental était positif ? En fait, le système québécois d’accréditation par carte d’adhésion est si remarquable qu’il est à l’origine du projet de réforme bipartisan de la loi états-unienne régissant les relations de travail soutenu et promu par le président Barack Obama. En 2004, près de 50 millions de travailleurs voulaient se syndiquer. Cependant, une large proportion d’entre eux considéraient irréaliste de tenter ce geste et craignaient les représailles de leur employeur.

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