«On doit refuser l’austérité ! Refuser de se rendre malade, refuser de faire toujours plus avec moins ! », scandait à la manifestation contre le gel d’embauche dans les cégeps, en avril dernier devant le Conseil du trésor à Montréal, Ryan William Moon, vice-président à la Fédération des professionèles–CSN.
Les manifestations contre l’austérité se multiplient depuis un an. Les syndicats ne veulent pas rejouer dans ce film. Les travailleuses et les travailleurs des réseaux de la santé et de l’éducation se remettent à peine de la pandémie, et le gouvernement leur demande – encore – de se serrer la ceinture et de travailler plus fort.
En novembre 2024, le gouvernement annonçait un gel d’embauche dans certains ministères et sociétés d’État. En santé et services sociaux ainsi qu’en éducation, cette politique ne vise pour le moment que le personnel administratif. Mais ça n’empêche pas les suppressions de postes. Parce qu’en même temps que le gel d’embauche, il y a eu les mauvaises nouvelles au sujet de Santé Québec : des coupes de 1,5 milliard de dollars en dépenses, donc plusieurs emplois abolis.
Au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), ça représente 26 postes de préposé-es aux bénéficiaires et sept d’agentes administratives en moins.
Impacts dévastateurs
« Ces compressions ont un impact profond et dévastateur sur les conditions de travail du personnel. Les gens sont épuisés, tant physiquement que mentalement, ce qui mène à des risques accrus d’épuisement professionnel », déclare Anick Mailhot, présidente du syndicat des employé-es du CHUM.
Elle ajoute que les préposées aux bénéficiaires sont brûlées parce qu’elles sont tout le temps débordées. « Tu n’as jamais l’impression de bien accomplir ton service. Ça vient affecter mentalement les membres », croit-elle.
Les compressions faites au CHUM ont engendré un gros mouvement de main-d’œuvre et une série de supplantations. « Des dizaines de vies sont chamboulées. Des femmes monoparentales, dont l’horaire travail-famille est réglé, apprennent du jour au lendemain que leur poste est supprimé. Imagine un peu : tu changes d’horaire, tu changes de milieu de travail, tu changes d’unité. Ça crée de gros impacts dans la vie des travailleuses et des travailleurs », explique Guillaume Clavette, représentant du personnel paratechnique, des services auxiliaires et des métiers à la Fédération de la santé et des services sociaux–CSN.
« C’est aussi de l’expertise qu’on perd, ajoute Mme Mailhot. On est spécialisés, on connaît le service par cœur, on sait comment ça fonctionne. On n’a besoin de personne pour nous dire quoi faire ».
Vient avec ça la surcharge de travail. « Quand des collègues partent en maladie et qu’ils ne sont pas remplacés à cause du gel d’embauche, ça génère un surplus de tâches pour le personnel restant », soutient Marie-Noël Bouffard, présidente par intérim du secteur soutien cégeps de la Fédération des employées et employés de services publics–CSN.
« Ça peut mener à des épuisements professionnels, c’est ça qu’on veut éviter », soutient Ryan William Moon.
Guillaume Clavette s’inquiète de la baisse du sentiment d’appartenance au sein de ses troupes. « On a le sentiment d’être un simple numéro dans Santé Québec. On ne se sent plus impliqué. Ces compressions ont provoqué de l’amertume. Ça fait que le monde quitte le bateau. »
On avance en arrière
Au cours des dernières années, les syndicats avaient l’impression d’avoir avancé. Le gouvernement, durant la pandémie, avait compris qu’il devait dégager le personnel soignant de la paperasse. Il a donc engagé 3000 agentes et agents administratifs. C’est maintenant un retour en arrière. Il gèle leur embauche. Qui va faire leur job ?
Lors de la dernière négociation dans le secteur de la santé, le gouvernement voulait créer plus de postes à temps plein. « Mais les mesures négociées ne sont pas mises en place, et on réduit les postes à temps complet. Quel est le message que nos membres reçoivent ? », s’insurge M. Clavette.
Même type d’accroc à la convention collective des professionnel-les des cégeps. Dans leur nouveau contrat de travail, il est écrit que la décision de ne pas remplacer une personne ne devrait pas aboutir à une charge excessive pour les personnes qui restent.
Ces clauses se devaient d’offrir plus de stabilité d’emploi ou de perspectives aux travailleuses et travailleurs à statut précaire. Avec cet arrêt de recrutement, le gouvernement vient changer unilatéralement les termes et l’application de la convention collective.
Invitation à la sous-traitance
« Affirmer que le personnel administratif d’un cégep, par exemple, peut ne pas être remplacé, c’est négliger qu’un cégep est un tout », soutient Benoit Lacoursière, président de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ–CSN).
Parfois, le nombre d’absents non remplacés est tellement grand que les directions se tournent vers la sous-traitance. Car elle n’est pas considérée dans la même enveloppe budgétaire.
Marie-Noël Bouffard explique : « les salaires et les coûts de la sous-traitance proviennent de budgets distincts. La loi prévoit que si quelqu’un à l’interne peut faire la job, on n’a pas le droit d’aller en sous-traitance. Mais là, on ne peut pas embaucher… c’est une belle passe pour les contrats à l’externe. C’est malsain comme façon de voir les choses. »

« Les vautours tournent autour, résume la présidente de la CSN, Caroline Senneville. Là où les services de l’État ne sont plus maintenus, le privé rentre en ligne de compte. On le voit en santé et en éducation. »
Impacts sur la population
Il est faux de croire que les compressions budgétaires n’ont pas d’impacts sur la clientèle du réseau public. « La CAQ peut jouer sur les mots, le personnel du réseau de la santé et les bénéficiaires ne sont pas dupes : les coupes sont bien réelles et elles font mal, en plus de mettre la population en danger, affirme Anick Mailhot. Certains préposé-es et des employé-es administratifs m’envoient couramment des informations sur ce qui se passe dans les départements. On est confrontés à de grosses problématiques. Des cas de patientes et patients qui ont dû attendre 45 minutes assis à la toilette à faire sonner la cloche… mais aucun employé ne pouvait aller les aider. »
« Il y a des personnes alitées qui doivent être levées deux ou trois fois par jour, mais qui ne le sont pas. Il faut deux préposé-es pour les mobiliser et il est difficile d’en trouver deux libres en même temps. Ça rend le rétablissement des bénéficiaires plus long et ça accentue la perte d’autonomie des personnes âgées », ajoute-t-elle.
Dans les écoles, il s’agit souvent de livres de bibliothèque non commandés ou de nouveaux équipements de laboratoire qui ne sont jamais installés. Bref, ce sont les outils d’apprentissage aux élèves qui sont tout simplement négligés.
Des infrastructures en ruines
C’est en matière d’infrastructures que les compressions font le plus mal. Comme l’illustre le cas des travaux à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont qui sont sans cesse reportés.
Même constat du côté des cégeps. « Les budgets alloués aux infrastructures sont tout simplement insuffisants pour rattraper le déficit d’entretien », croit Benoit Lacoursière. En décembre 2023, le cégep de Saint-Laurent a dû condamner un pavillon complet parce que la façade était en trop en mauvais état. Il est d’ailleurs toujours fermé.
Pendant ce temps, il y a une augmentation de la population étudiante. Les directions doivent improviser des solutions, mettre plus de monde dans une même classe, offrir davantage de cours en ligne ou de soir.
Ce sont les choix que le gouvernement a faits. Les prochains mois ne s’annoncent pas faciles sur le plan économique avec la décote, et l’intérêt du ministre des Finances, Eric Girard, d’implanter ce qui pourrait ressembler à un DOGE québécois. Les compressions historiques dans les cégeps, dévoilées en mai dernier, auront également des conséquences importantes.
Ryan William Moon rappelle quant à lui au gouvernement : « Que la création d’emplois, ça passe aussi par l’éducation. En période d’incertitude ou de déclin économique, le réseau de l’enseignement est très sollicité par les personnes qui veulent se recycler ou qui cherchent une formation pour se remettre en action après la perte d’un boulot. »