Décès de Michel Chartrand

Un leader historique du mouvement syndical québécois

Cet hommage de la présidente de la CSN sera publié, le samedi 17 avril, dans un cahier spécial du journal Le Devoirsur la vie de Michel Chartrand. Un cahier initié par la CSN.  

Le 29 octobre 1969, racontant avec humour et aplomb comment, du lever au coucher, le Québécois mangeait, parlait et travaillait en anglais, Michel Chartrand avait galvanisé les 11 000 étudiantes et étudiants réunis à l’Université de Montréal lors de la journée de grève nationale étudiante pour protester contre le bill 63, qui avait pour but de consacrer le libre-choix de la langue dans l’enseignement au Québec.

Michel Chartrand faisait depuis tellement longtemps partie du paysage syndical et politique québécois que nous étions plusieurs à en être arrivés à croire qu’il était éternel. Ou du moins qu’il était impossible qu’il ne soit plus présent dans notre quotidien. Avec lui, et après les Gérard Picard, Marcel Pepin et Louis Laberge, disparaît l’un des derniers leaders historiques du mouvement syndical québécois du vingtième siècle. Les travailleuses et les travailleurs du Québec perdent une voix forte, une voix puissante qui, sur plus de sept décennies, s’est fait entendre sans relâche et sans l’ombre d’une compromission. Avec le décès de Michel Chartrand, c’est toute une époque au cours de laquelle l’action syndicale s’est inspirée de l’anarcho-syndicalisme qui prend fin. Depuis longtemps, sa notoriété avait traversé les frontières de l’action syndicale. Toutes les classes sociales, toutes les régions du Québec, toutes les générations connaissaient Michel Chartrand. Semblable phénomène est extrêmement rare. Il témoigne à mon avis, au-delà d’une présence constante dans les médias, d’une affection certaine et constante dans laquelle le peuple québécois l’a tenu durant des décennies. À la CSN, on l’appelait Michel, tout simplement. Comme on en appelait aussi quelques autres par leur seul prénom : Marcel, Norbert, Gérald. C’est le signe d’une proximité affective qui ne se dément pas. Il part avec toute notre admiration et, aussi, avec toute notre affection. Une défense inconditionnelle des travailleurs et du Québec S’il y a une ligne directrice dans sa vie, et dont il n’a jamais dévié, c’est celle de la défense des travailleuses, des travailleurs et du Québec. Formé par le mouvement  Jeunesse indépendante catholique, alors que son épouse Simonne Monet militait dans les Jeunesses étudiantes catholiques, son engagement va le conduire à prendre fait et cause aussi bien dans le milieu coopératif et dans le mouvement syndical que dans l’action politique. Figure marquante du Bloc populaire dans les années 1940, alors qu’il fut organisateur de Jean Drapeau qui se présentait dans Outremont, Michel Chartrand s’engagea plus tard dans la mouvance socialiste en se présentant dans le comté de Jonquière, en 1958, sous les couleurs du CCF, ancêtre du NPD. Quarante ans plus tard, dans le même comté, c’est sous la bannière de l’Union des forces progressistes qu’il mena la lutte dans le même comté contre Lucien Bouchard. En 1970, alors qu’il présidait le Conseil central des syndicats nationaux de Montréal, Chartrand amena le conseil central à appuyer le Parti québécois. Quelques mois plus tard, il était arrêté en vertu de la Loi sur les mesures de guerre et passa quatre mois en prison. Son procès, au terme duquel il fut acquitté des accusations de sédition qui avaient été portées contre lui, est passé à l’histoire. Le nationalisme de Michel Chartrand s’est exprimé tout au long de sa vie et a marqué plusieurs de ses combats. Lui qui avait fait bénir son mariage, en 1943, par le chanoine Groulx estimait en effet que le nationalisme, c’est le préalable de l’ouverture sur le monde : on ne peut accéder à l’international que par la médiation de la nation. Il ajoutait, dans la même entrevue accordée à la revue Maintenanten 1971, que nationalisme et socialisme convergent obligatoirement, car ils sont absolument nécessaires l’un et l’autre à la réussite des transformations de la société auxquelles ils tendent respectivement. Quelqu’un a-t-il, plus que Michel Chartrand, mis davantage de fougue, de passion, de hargne même à la défense de la classe ouvrière québécoise ? Il n’est pas exagéré de soutenir que la question de la santé et de la sécurité au travail n’aurait jamais évolué dans le sens du respect de l’intégrité physique et psychologique des hommes et des femmes, comme ce fut le cas depuis quarante ans, si Michel Chartrand, tant par sa parole que par ses actions, n’avait embrassé cette cause et l’avait portée à bout de bras ? En accumulant au passage altercations avec les juges, outrages au tribunal et menaces d’emprisonnement. On l’a retrouvé dans tous les grands conflits qui ont marqué l’histoire du Québec dans la deuxième partie du vingtième siècle. Il a harangué les foules à Thedford Mines et à Asbestos en 1949, lors de la grève de l’amiante, s’attirant les foudres du régime duplessiste. On l’a retrouvé sur les piquets de grève au moment de la grève chez Dupuis Frères en 1952. Il a mené le combat contre la Consolidated Bathurst en 1956, à Shawinigan et à Grand-Mère. Il a soutenu les Métallos contre la Gaspé Copper Mines en 1957, à Murdochville. En 1966, alors qu’il est employé par le Syndicat de la construction de Montréal, il mène le combat lors de l’enquête conduite par le juge Trahan à la suite de la mort de six ouvriers sur le chantier de l’échangeur Turcot, à Montréal. Quand le journal La Pressedécrète un lock-out en 1971, Chartrand, qui préside alors le Conseil central de Montréal, lance un quotidien, La Presse… Libre. L’action comme moteur Michel Chartrand était loin d’être un homme d’appareil. Il en était même tout le contraire. Dans une organisation structurée comme le sont les centrales syndicales, où l’on s’appuie sur des mandats, où l’on fait rapport à des assemblées qui détiennent la totalité du pouvoir, où les décisions sont prises après que les débats ont été tenus, Chartrand s’est à plusieurs reprises senti à l’étroit et n’a jamais hésité à transgresser certaines règles quand il jugeait que l’essentiel était ailleurs et qu’il fallait foncer, qu’importent les résistances internes, et même les conséquences, qui furent parfois fâcheuses. Ce que Chartrand avait par-dessus tout, c’est l’instinct de l’action, la qualité, qui ne s’enseigne pas, de savoir saisir au bond l’actualité pour la retourner en sa faveur. Le meilleur exemple en est cette décision prise sur un coup de tête de louer, le 2 novembre 1971, le Forum de Montréal quatre jours après la manifestation d’appui aux travailleuses et aux travailleurs de La Presseoù une manifestante avait perdu la vie. Pas moins de 17 000 personnes s’y regroupèrent dans un enthousiasme débordant. Le conseil central n’avait pas les moyens de payer la location, mais qu’importe, il fallait agir ! La vie de Michel Chartrand s’est déroulée comme un roman épique. Aussi n’est-il pas étonnant qu’on en ait fait une série télévisée qui a connu un énorme succès avec Luc Picard empruntant ses traits, sa faconde et une passion jamais assouvie. Il a beaucoup donné, à la CSN, aux travailleuses et aux travailleurs, au Québec, qu’il n’aura pas vu indépendant. Après avoir souvent fait l’histoire, il passe désormais à l’histoire.

Claudette Carbonneau Présidente de la CSN
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