Une langue commune pour le progrès collectif

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La fierté de travailler en français

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Une langue commune pour le progrès collectif

Le français, outil d’inclusion, de prévention et de solidarité ! C’est une perspective large sur le rôle et la force du français langue commune et langue de travail qui se dégage des discussions tenues pour la Journée CSN de la francisation du 23 mars 2017. Des délégué-es de syndicats CSN de toutes les fédérations et de toutes les régions y prenaient part.

L’animatrice de la journée, Catherine Ladouceur, enseignante au cégep de Sherbrooke.

En ouverture, le président de la CSN, Jacques Létourneau, a dressé le portrait de la situation du français au Québec, à l’aube du 40e anniversaire de la Charte de la langue française (loi 101), le 26 août prochain. Il a rappelé l’importance de cette loi qui a permis de freiner le déclin du français. La CSN, et son ancêtre la CTCC, se sont toujours battues pour défendre le droit de travailler en français, un des aspects majeurs de la loi 101.

Malheureusement, ces dernières années, le français s’est remis à reculer. Au point où aujourd’hui, seulement 66 % des Québécoises et des Québécois travaillent généralement en français, soit un taux similaire à ce qu’il y avait avant l’adoption de la Charte. Dans le Grand Montréal, seulement 51 % utilisent surtout le français au travail ! Bref, après avoir réalisé de grands progrès, force est de reconnaître que la place du français est dorénavant en repli.

 

Bilinguisation des lieux de travail
Plusieurs exemples récents montrent que beaucoup de travail reste à faire. Par exemple, dans le cas des cols blancs de Gatineau, les tribunaux ont donné raison à la Ville qui souhaite rendre obligatoire la maîtrise de l’anglais pour l’obtention de certains postes (lien lettre ouverte). Voilà un précédent inquiétant ! La CSN, à l’instar de nombreuses organisations, réclame un renforcement de la Charte à cet égard.

Au Gouvernement du Québec, 75 % des interactions entre les organismes d’État et les personnes immigrantes qui n’ont pas le français comme langue maternelle se déroulent en anglais. Dans la santé et les services sociaux, de 2001 à 2006, la part du personnel soignant utilisant l’anglais au travail a augmenté de 15, 5 % !

En éducation et en enseignement supérieur aussi, la situation est préoccupante. Au primaire et au secondaire, un vide dans la loi permet la pratique des écoles dites passerelles, c’est-à-dire que des personnes qui ont les moyens d’incrire leurs enfants à l’école privée, en anglais, pour un certain temps, peuvent par la suite réclamer le droit à l’école publique en anglais.

Au collégial, la loi 101 se s’applique pas. De plus en plus nombreux sont les étudiantes et étudiants francophones ou allophones qui choisissent des études collégiales en anglais. À l’université aussi, les enjeux sont nombreux. Pensons à l’ouverture d’une faculté de médecine de famille en Outaouais en collaboration avec l’Université McGill.

« Défendre le français n’est pas un repli sur nous-mêmes. Au contraire, c’est favoriser l’inclusion et le vivre ensemble. Favoriser le français, c’est s’assurer de développer et enrichir les liens qui nous unissent, notamment en ce qui a trait à la vie syndicale », souligne-t-il.

 

Gouvernement Couillard : une attitude désinvolte

Josée Boileau

La première conférencière était Josée Boileau, qui fut éditorialiste au journal Le Devoir. Elle s’inquiète de ce qu’elle perçoit comme un désintérêt du gouvernement Couillard à l’égard de la langue. Elle rappelle notamment la déclaration malheureuse de Philippe Couillard en campagne électorale, en 2014, qui disait prôner l’apprentissage de l’anglais par les ouvriers pour qu’ils puissent dialoguer avec leur patron étranger…. De même, en visite officielle en Islande, il avait pris la parole en anglais seulement. De même, c’est en anglais qu’il a signé le livre d’or de la multinationale Siemens à l’occasion d’un voyage en Allemagne…

Elle pose la question centrale de l’intégration en milieu francophone des nouveaux arrivants, en dehors du cadre scolaire qui, globalement a fait ses preuves. Pas moins de 40 % des nouveaux arrivants ne parlent pas le français à leur arrivée au Québec. Et le gouvernement a choisi de relever le seuil d’immigration sans bonifier les programmes de francisation.

 

Par l’entremise du système scolaire, les enfants apprendront le français et de toute évidence, ils sont nombreux à avoir choisi de vivre en français parmi celles et ceux qui sont nés au Québec ou qui sont arrivés en bas âge. Mais qu’en est-il de leurs parents ? La plupart s’établissent à Montréal où seulement 25 % des PME demandent une connaissance du français à l’embauche, contre près de 40 % demandant une connaissance de l’anglais. Au final, la réalité c’est qu’il est fort possible de vivre et de travailler à Montréal toute sa vie sans connaître le français !

Pour Josée Boileau, ce constat et l’inaction du gouvernement sont alarmants non seulement pour l’avenir du français, mais plus largement pour toute notre culture et notre identité collective. Pour illustrer son propos, elle explique que lorsqu’elle était au Devoir, un jour, l’équipe s’est demandée comment faire davantage de place à des journalistes issus des communautés culturelles. C’est vers l’Université Concordia que Le Devoir dut se tourner. Ils y dénichèrent d’excellentes recrues, des gens compétents, maîtrisant le français à la perfection… mais qui ignoraient complètement qui était Julie Snyder. Bref, ils ignoraient tout de la culture québécoise.

Or, si le fait d’être entourés d’anglais a motivé nos gouvernements, dans les années 70, à s’occuper de la protection de la langue française, c’est d’autant plus d’actualité aujourd’hui avec l’omniprésence d’Internet et des nouvelles technologies de l’information. Même au niveau économique, le français est une force, rappelle-t-elle finalement : le secteur de la traduction à lui seul, pèse pour 2,5 milliards de dollars dans notre économie.

 

Le bon « perlé »
De son côté, la professeure de l’Université de Sherbrooke, Nadine Vincent, s’est attaquée à la qualité du français, surtout du français parlé, au Québec. Remontant jusqu’aux premiers jours de la colonie, elle a bien montré que le débat entre « français québécois » et « français international » n’est pas nouveau.

Nadine Vincent

Les origines de ce caractère distinct remontent à la Conquête par les Britanniques qui mit les Canadiens français sous une cloche de verre, coupant nos ancêtres de tout contact avec la France. Un siècle plus tard, lorsque les contacts reprennent, on se rend compte que le français parlé au Canada se distingue déjà fortement de celui parlé en France. Les Canadiens français parlaient encore la langue des rois, alors qu’à l’issue de la Révolution, les Français parlaient la langue du peuple

Bien que conquis, les Canadiens français sont fortement majoritaires sur le territoire et n’ont pas conscience que leur langue puisse être menacée, même si, pour communiquer avec les conquérants, ils doivent parler anglais. Dans la foulée de la Rébellion des patriotes, Londres dépêche Lord Durham qui, pour ramener la paix dans la colonie, propose d’amener la « civilisation » aux Canadiens français en prônant l’assimilation.

L’anglais gagne du terrain. À la fondation du Canada, les Canadiens français sont dorénavant minoritaires dans leur pays. Vers la fin du 19e siècle, on vit une véritable anglophilie, les parents cherchent à envoyer leurs enfants à l’école anglaise. On vit une immense insécurité linguistique. La connaissance du français n’est plus vue comme suffisante pour réussir dans la vie, d’autant plus que « notre français » n’a pas la même valeur que le « vrai français international ». C’est à cette époque que des intellectuels, dans la presse, commencent à plaider pour l’abandon de tous les termes qui ne font par patie du « français international », causes selon eux de la perte de vitesse du français au Canada. D’autres, au contraire, plaident pour la spécificité canadienne.

Bref, souligne Nadine Vincent, déjà à cette époque, c’est un débat qui oppose des lettrés à d’autres lettrés ! Ce débat revient épisodiquement de nos jours, par exemple, lorsqu’un réalisateur québécois produit un film en langue étrangère…

La trame demeure la même : il y aurait une hiérarchie des langues ; la nôtre serait située entre un « français international » théorique et des langues « repoussoirs », que ce soit les langues autochtones ou, aujourd’hui, le français parlé en Acadie ou le créole. Évidemment, cette perspective n’est pas partagée par toutes et tous, au premier chef les Acadiens qui ont réalisé beaucoup de progrès collectifs sur cette question dans les dernières décennies.

La linguiste termine en se demandant si c’est la vivacité de la langue qui sauve la patrie ou si c’est la patrie qui sauve la langue…

 

La langue française, outil de prévention et de socialisation

En après-midi, trois invités composaient une table ronde sur la maîtrise de la langue.

Pour Sylvie Gravel, professeure en sciences de la gestion de l’UQAM et spécialiste de la santé publique, le français est un enjeu de santé et de sécurité au travail. Comment assurer la prévention en milieu de travail et faire en sorte que chaque travailleur connaisse ses droits lorsqu’il ne comprend pas la langue utilisée dans les formations ou pour des affiches de prévention ? S’ajoute à cette difficulté la perception chez plusieurs immigrantes et immigrants que leur emploi n’est que temporaire et qu’il n’est pas utile de s’impliquer par exemple dans les programmes paritaires. Ces problèmes sont répandus alors que dans de nombreuses PME, particulièrement à Montréal, plus de la moitié des travailleuses et travailleurs n’ont pas le français pour langue maternelle. Un esprit communautaire se crée autour d’eux, ils ont l’impression d’être en famille, ce qui fait que même s’ils connaissent les recours possibles, ils hésiteront à les prendre. Même en cas, par exemple, de lésion professionnelle.

Il y a plusieurs solutions à la portée de ces entreprises. La CNESST peut aider lorsqu’il s’agit de bien comprendre un programme comme l’assignation temporaire.

Dans certaines entreprises où on retrouve plusieurs employé-es parlant une même langue autre que le français, on a confié à des gens parlant parfaitement français un rôle accru afin de s’assurer que tout le personnel comprenne bien les consignes de sécurité. Des subventions sont également disponibles pour faire de la formation. Sylvie Gravel souligne que les patrons et les cadres devraient aussi profiter de ces formations. Il faut que les formations soient données en milieu de travail et ouvertes au plus grand nombre.

En ce qui a trait aux travailleurs étrangers temporaires, le défi de la francisation est plus grand car la plupart de ces personnes n’entendent pas rester longtemps au pays. En général, ces entreprises se concentrent sur celles et ceux qui reviennent année après année.

Chez les travailleuses et les travailleurs d’agences, toutefois, ce sont les agences et non les employeurs qui sont imputables. Ces travailleuses et ces travailleurs ont beaucoup moins accès aux programmes de francisation et de prévention.

Globalement, l’accès à des programmes de francisation devrait être élargi car il permet non seulement d’améliorer les performances en prévention, mais aussi d’améliorer l’employabilité de ces personnes. Enfin, les instances en santé et sécurité devraient se montrer plus proactives à l’égard des travailleuses et des travailleurs précaires.

Pour le sociologue Paul Bélanger, les difficultés des adultes à lire et à écrire doivent être prises au sérieux, et pas seulement en ce qui a trait à la formation. Bien que le Québec compte plus de 800 000 analphabètes fonctionnels – c’est-à-dire des personnes adultes qui seraient incapables de lire le présent article – personne ne se définit ainsi. Ces personnes ont pour la plupart appris à lire et à écrire à l’école mais, souligne M. Bélanger, nos communications se sont lourdement complexifiées avec les années, demandant de développer des compétences nouvelles qu’elles n’ont pas développées. Selon lui, une bonne part de la faute revient aux personnes qui émettent les messages et qui échouent à le rendre compréhensible. « On voit le docteur 3 minutes et on ressort avec 3 feuilles écrites en caractères minuscules sur les médicaments qu’on nous prescrit, elle est là, l’iniquité ».

Il prône deux pistes d’action. D’abord utiliser un langage plus simple en santé et sécurité comme pour les formations techniques. En plus de cours de francisation aux employé-es, Paul Bélanger souhaiterait davantage de formation en communication pour ceux qui s’occupent, par exemple, de santé et de sécurité au travail afin qu’ils soient mieux en mesure d’être compris.

En parallèle, il plaide pour une revigoration des compétences des salarié-es. Il considère que des cours en alphabétisation sont voués à l’échec car les gens ne voudront pas s’y inscrire. Il propose d’aborder l’enjeu autrement en offrant, par exemple des formations sur les nouvelles technologies de communication écrite, ce qui permettra une amélioration globale des compétences, y compris en lecture et en écriture.

Quant à elle, Rama Diallo, une militante syndicale du Centre de réadaptation Lucie-Bruneau, a livré une perspective plus personnelle sur l’importance du français comme langue de travail dans son milieu.

D’abord, elle souligne à quel point le fait de parler la même langue, de tous se comprendre, permet de combattre l’isolement. Cela a un impact positif sur toute la vie professionnelle, comme sur les relations de travail à l’interne. Parler la même langue, cela assure une meilleure cohésion de groupe et cela fait aussi en sorte que les travailleuses et les travailleurs sont mieux en mesure de connaître – et de défendre – leurs droits.

Dans le travail syndical, la maîtrise du français est incontournable, ne serait-ce que pour pouvoir interpréter et défendre la convention collective ! L’accès à des cours de francisation va par ailleurs aider les nouveaux arrivants dans leur vie quotidienne : ils pourront par exemple mieux soutenir leurs enfants dans la réalisation de leurs devoirs. Pour que cela soit possible, note Rama Diallo, il faut prévoir des cours de francisation, sur le milieu de travail et sur les heures de travail. Les participantes et les participants doivent être rémunérés durant ces cours, sinon ils ne les suivront pas.

 

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