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Les employés des centres jeunesse à bout de souffle

Partout au Québec, les employé-es des centres jeunesse sont à bout de souffle et plongés dans une détresse importante causée par le travail. C’est notamment ce qui ressort d’une vaste consultation conduite auprès de quelque 2000 répondantes et répondants syndiqués à la CSN à travers le Québec.

« Les résultats de cette consultation mettent en lumière les impacts du sous-financement dans le réseau des centres jeunesse. L’an dernier encore, celui-ci a épongé 20 millions en compressions qui ont affecté autant la pratique professionnelle que la qualité des services aux enfants et aux familles », souligne d’entrée de jeu le vice-président de la CSN, Jean Lacharité.

L’enquête présente des constats et des chiffres alarmants. « Nous avons reçu de nombreux commentaires témoignant du découragement extrême des intervenantes et intervenants, qui déclarent ne pas être en mesure d’offrir des services adéquats aux enfants en difficulté et à leur famille en difficulté. C’est pourquoi nous avons décidé d’entreprendre cette consultation qui confirme ce que nous entendions sur le terrain », a affirmé la présidente du syndicat des travailleuses et travailleurs du centre jeunesse de Montréal, (FSSS–CSN) Sylvie Théorêt.

Photo : Michel Giroux
Photo : Michel Giroux

La dure réalité
Cette enquête nous apprend que seulement 5 % des intervenantes et intervenants estiment être en mesure de répondre adéquatement et en temps utile aux besoins de cette clientèle. Pour 71 % d’entre eux, les multiples formulaires à remplir et la saisie de notes constituent un obstacle majeur à la qualité de leur intervention. « Les compressions qu’on vit depuis de nombreuses années ont eu des répercussions sur tous les employé-es et ont aussi entraîné des coupes de postes au sein du personnel de bureau. Comment voulez-vous que les intervenant-es puissent offrir les services auxquels on s’attend d’eux quand ils sont toujours pris devant leur ordinateur pour pallier, entres autres, le manque de personnel administratif? », enchaîne Sylvie Théorêt.

« La compilation des notes fait partie intégrante de notre travail, poursuit la vice-présidente du syndicat des employé-es du centre jeunesse de Laval (FSSS–CSN), Julie Hamilton. Or, le processus pour la prise de notes s’est beaucoup alourdi. Nous devons décortiquer chacune de nos interventions en de multiples actes et les expliquer dans les fins détails. Les guides et les formations qui nous sont offerts simplement pour savoir comment prendre ces notes illustrent la complexité de l’exercice », souligne-t-elle en ajoutant : « Par ailleurs, nous sommes prises à devoir accomplir une série de tâches qui ne concernent pas directement les interventions, comme les demandes de cartes d’assurance-maladie, la logistique reliée au transport. Ces tâches grugent une très grande partie de notre temps. »

En outre, 70 % estiment que leur intervention sert plus à répondre aux cibles statistiques qu’à aider les familles. « Les intervenantes et intervenants ne fournissent pas. Pourtant, les jeunes en difficulté vivent des situations de plus en plus complexes qui combinent des problèmes de santé mentale, de toxicomanie et de violence. Déjà, le rapport du Vérificateur général du Québec 2009-2010 faisait état de la trop grande importance accordée aux tâches administratives, soit une moyenne de 55 % dans les centres jeunesses sondés à l’époque. Six ans plus tard, on constate que non seulement le problème persiste, mais les compressions libérales l’ont empiré », renchérit la vice-présidente de la Santé et des Services sociaux (FSSS–CSN), Mélissa Gaouette.

Cet alourdissement des tâches crée donc une grande surcharge de travail et de l’épuisement professionnel : 84 % des personnes interrogées affirment effectuer des heures supplémentaires et 31 % soulignent que les difficiles conditions d’exercice de leur pratique les a forcées à prendre un congé de maladie. « On demande aux employé-es de faire toujours plus avec moins et ils sont épuisés. Plusieurs tombent comme des mouches ou bien quittent le réseau. Ceux qui restent ne disposent pas des ressources nécessaires pour bien exécuter leur travail », ajoute la vice-présidente de la Fédération des professionnèles (FP–CSN), Nancy Corriveau.

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Photo : Michel Giroux

« Une situation de crise sévit actuellement dans le réseau des centres jeunesse du Québec. Nous demandons au gouvernement la tenue d’États généraux afin de faire la lumière sur les problèmes dénoncés par celles et ceux qui œuvrent auprès des enfants vulnérables et de leur famille. Nous réclamons aussi un moratoire sur les coupes budgétaires dans les centres jeunesse ainsi qu’un réinvestissement majeur dans le réseau. La disette a assez duré : le gouvernement doit prendre ses responsabilités et réinvestir dans le réseau », conclut Jean Lacharité.

La mission placée en situation de vulnérabilité

Les travailleuses et les travailleurs du Centre jeunesse de Montréal qui interviennent auprès des jeunes en difficulté s’inquiètent que leur mission sociale puisse être mise en péril. L’intégration des centres jeunesse dans une nouvelle méga structure à haute vocation médicale, soit les Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) qui découlent de l’adoption du projet de loi 10, laisse déjà présager que les missions à caractère social, dont celle des centres jeunesse, risquent fort de ne pas être une priorité des CIUSSS.

« Si l’on regarde l’intégration des CLSC dans les CSSS, il y a plus de 10 ans, la mission sociale s’est sérieusement effritée. Avec ces paramètres, nous craignons que le passé risque d’être garant de l’avenir. Ce sont principalement des médecins qui siègent dans les conseils d’administration des CIUSSS ! Je crains que lorsque l’on devra choisir entre une nouvelle salle d’opération et une unité d’intervention pour les cœurs brisés d’enfants, on va pencher pour la première option », déplore la présidente du Syndicat des travailleuses et des travailleurs du Centre jeunesse de Montréal (SSTCJM), Sylvie Théorêt.

De plus, de nombreux psychologues pourraient quitter le réseau alors que le gouvernement du Québec cherche à éliminer leurs primes dans le cadre des négociations pour le renouvellement des conventions collectives du secteur public. « Ces psychologues vont aller travailler ailleurs et c’est une expertise précieuse que l’on va perdre », dénonce Luc Bastien, vice-président régional de la FSSS-CSN.

Dans une série de huit événements, qui se déroulent durant tout le mois de juillet, les travailleuses et les travailleurs du Centre jeunesse de Montréal dénoncent vivement les dernières offres salariales du gouvernement (3 % d’augmentation sur 5 ans) ainsi que son intention de leur faire assumer des reculs majeurs au niveau des conditions de travail acquises depuis plus de 30 ans. Ils manifestent aujourd’hui devant le site du Mont Saint-Antoine.

À propos

Le Syndicat des travailleuses et des travailleurs du Centre jeunesse de Montréal représente 2500 membres répartis à travers une cinquantaine de titres d’emploi. La CSN a été fondée en 1921 et est composée de près de 2000 syndicats à travers huit fédérations, dont la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN). La CSN regroupe plus de 325 000 membres, incluant les quelque 127 000 de la FSSS.

Le syndicat tire la sonnette d’alarme

Plusieurs manifestantes et manifestants se sont réunis aujourd’hui pour dénoncer les coupes d’environ 11 millions de dollars qui affectent depuis maintenant trois ans le Centre jeunesse de Montréal. Pour Sylvie Théorêt, présidente du syndicat des travailleuses et travailleurs du centre, la situation est très inquiétante.

« Les intervenants sont dépassés et ce sont les jeunes qui en font les frais. Comme si ce n’était pas suffisant, l’Agence de Montréal a annoncé d’autres compressions de 20,9 millions dont on ne connaît pas encore la répartition. Depuis 2010, c’est près de 150 postes qui ont été sabrés dans les secteurs technique et de soutien, clinique et administratif, de même qu’un certain nombre de postes de cadres. Toutes ces compressions ont des effets directs sur les conditions de vie des jeunes et mettent en péril le travail qui est fait auprès d’eux et de leurs familles pour les accompagner et les encadrer au quotidien », a expliqué Sylvie Théorêt.

Dans ce contexte, les signalements de situations préoccupantes pour les enfants ont augmenté de façon significative depuis quelques années, ce qui entraîne un impact important sur le système. Le manque de places fait en sorte qu’une pression indue est exercée pour sortir hâtivement des jeunes des unités afin de libérer des places pour en accueillir d’autres.

« On a vu des salles de téléphones et de conférence converties en chambres provisoires, avant que la direction ne puisse ouvrir des unités d’urgence pour accueillir nos jeunes », a ajouté Sylvie Théorêt. Il est troublant que le gouvernement demeure de glace devant ce contexte et persiste à vouloir encore réduire les vivres du Centre jeunesse de Montréal. Compte tenu de son passé de travailleuse du Centre de services sociaux du Montréal métropolitain, Pauline Marois devrait se montrer sensible et comprendre que ce sont les enfants les plus vulnérables qui paient le prix de ses politiques », s’est-elle encore exclamée.

Par ailleurs, les intervenants cliniques doivent consacrer de plus en plus de temps à exécuter des tâches clinico-administratives, à entrer des données, à remplir des formules de toutes sortes. « Un intervenant me confiait dernièrement que c’est beaucoup de travail pour aucun résultat », ajoute Sylvie Théorêt.

« On n’utilise pas leurs compétences à leur plein potentiel, alors qu’on a besoin d’eux et de leur expertise précieuse sur le terrain », a souligné pour sa part Dominique Daigneault, présidente du Conseil central du Montréal métropolitain-CSN. « De plus, lorsque des postes sont abolis ou à la suite de départs pour maladie, on ne remplace pas les intervenants », a renchéri Sylvie Théorêt. La charge de travail ainsi laissée en suspens est redistribuée sur l’ensemble de l’équipe, créant ainsi une surcharge que doit encaisser le personnel. Et quand on dit surcharge de travail, on dit énormes répercussions sur les enfants et leurs familles, puisque la disponibilité des services est réduite.

« Il est même question, dès l’été, que les préposés à l’entretien ménager soient appelés à intervenir auprès de jeunes en situation de crise. Ces salariés ne se sentent absolument pas en mesure de procéder à de telles interventions. On ne peut tolérer ça », a encore affirmé Sylvie Théorêt en soulignant que les risques de blessure sont importants tant pour le jeune que pour le salarié.

Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux-CSN, a enfin déclaré : « Quelle que soit la fonction ou la provenance de nos travailleuses et travailleurs, ce sont des gens passionnés qui ont le bien-être des jeunes à cœur. »

Le président de la FSSS–CSN a conclu en s’indignant du manque de ressources accordées à l’application de la Loi de la protection de la jeunesse : « Au Québec, on a une des plus belles lois sur la protection de la jeunesse, mais on n’a pas les ressources pour l’appliquer pleinement. Pourtant, la prévention a déjà fait ses preuves, tant sur l’amélioration de la qualité de vie des jeunes que sur la question des économies budgétaires à long terme. On ne se donne pas les moyens de nos ambitions et ce sont les jeunes et leurs familles qui écopent. La situation est critique, il faut y remédier immédiatement. »

À propos du syndicat

Le Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre jeunesse de Montréal représente environ 2500 syndiqué-es. Il est affilié à la Fédération de la santé et des services sociaux-CSN (FSSS-CSN). Celle-ci compte plus de 125 000 membres dans les secteurs privé et public.