Au printemps dernier, la Société des alcools du Québec (SAQ) annonçait la fermeture de succursales dans plusieurs régions, soulevant l’inquiétude de nombreuses communautés pour leur vitalité. Élus municipaux, commerçants locaux, organismes de développement et citoyens se sont alors mobilisés afin de demander un moratoire sur les fermetures et l’adoption d’une politique de responsabilité territoriale par la société, culminant avec le dépôt d’une pétition portée par le Guillaume Cliche-Rivard, député de Saint-Henri–Sainte-Anne, et appuyée par les trois partis d’opposition à l’Assemblée nationale1.
Or, l’annonce d’une nouvelle stratégie commerciale basée sur les mini-agences, quelques semaines après les fermetures de succursales, pose un problème plus large : au nom de la maximisation des revenus pour les coffres de l’État, la SAQ semble s’apprêter à revoir son modèle d’affaires, et ce, sans débat public. Cette approche est franchement inquiétante du point de vue de la santé publique.
On le sait, l’alcool n’est pas un produit banal. La tendance à la diminution de la consommation est une bonne nouvelle, et ce, même pour les finances publiques, parce que les coûts sociaux et de santé liés à la consommation d’alcool étaient évalués à 3,24 milliards de dollars en 2020, soit plus de 5 % du budget en santé2.
Une mission commerciale à concilier avec la responsabilité sociale
La mission de la SAQ, inscrite dans la Loi sur la Société des alcools du Québec, ne mentionne ni sa responsabilité sociale ni en santé publique. Néanmoins, son statut de monopole d’État vient avec de telles attentes que la SAQ reconnaît elle-même.
Or, le gouvernement du Québec a demandé, dans son budget 2024-2025, des efforts de 1 milliard sur cinq ans aux sociétés d’État, incluant notamment la SAQ, la Société québécoise du cannabis (SQDC) et Loto-Québec. Cibler une optimisation des revenus pourrait mener à influencer les comportements de consommation envers des produits qui présentent des risques importants sur la santé.
Pour réduire les coûts et augmenter les profits, la SAQ privilégie les mini-agences, moins coûteuses et aux heures d’ouverture plus étendues qui facilitent l’accès à des boissons à forte teneur en alcool. La livraison privée accentue aussi ce risque. Accroître l’accès à des produits fortement alcoolisés, dans des lieux de proximité, et à des heures élargies et où la vérification de l’âge n’est pas aussi renforcée, c’est accroître les effets négatifs de l’alcool touchant les populations les plus vulnérables. Imaginons-nous réellement que la livraison Uber Eats sera propice à une consommation responsable ?
De même, la fermeture complète de succursales réduit les coûts, parce que la clientèle est captive : la SAQ détient le monopole sur les produits qu’elle vend. Or, les mini-agences appelées à remplacer certains points de vente offrent une sélection limitée. Ainsi, pour accéder à une gamme complète de produits, on s’attend tout simplement à ce que les citoyens des centres-villes de Gatineau et de Saguenay, à titre d’exemple, parcourent de nombreux kilomètres pour se procurer des produits diversifiés.
Ce que nous constatons et qui inquiète, c’est que la SAQ est en train de briser le pacte social. Soyons clairs : nous sommes en faveur du monopole public pour la vente de ces produits. Mais cela doit venir avec des responsabilités.
C’est pour cette raison que nous demandons un moratoire sur les fermetures de succursales et sur le déploiement de la stratégie de nouvelles agences, d’ici à l’adoption d’une politique de responsabilité territoriale.
La responsabilité sociale et territoriale, c’est d’analyser les impacts sur la santé des décisions qui sont prises, mais aussi l’impact sur la vitalité commerciale des collectivités. La fermeture d’une SAQ peut induire une spirale négative, en nuisant aux affaires des autres commerçants, du boulanger jusqu’à l’épicier, et contribuer à la dévitalisation des centres-villes et noyaux villageois. C’est contraire aux principes d’aménagement durable du territoire, alors que de nombreuses municipalités de partout au Québec déploient des efforts importants pour redynamiser leurs centralités.
Surtout, pourquoi est-ce qu’une telle réforme du modèle d’affaires de la SAQ se ferait complètement sous le radar ? Les impacts sont beaucoup trop grands. Il faut prendre le temps de l’analyser avant d’aller de l’avant.
Nous soumettons une première proposition, pour ce débat de société à venir : inscrivons la responsabilité sociale et la santé directement dans la mission inscrite dans la loi sur la SAQ, comme c’est le cas pour la SQDC.