L'objectif des chroniques linguistiques est de présenter succinctement des informations liées à l'usage du français au Québec. Quelques termes du domaine de la linguistique seront introduits afin de décrire des phénomènes intéressants au sujet de la langue.

Les emprunts à d’autres langues

À cause de sa grande popularité, l’anglais sert de point de référence et d’inspiration pour plusieurs emprunts linguistiques. Certains emprunts à l’anglais sont qualifiés d’anglicismes et sont critiqués en tant qu’écarts aux normes du bon français, tandis que d’autres sont acceptés par les institutions et s’intègrent à notre langue.

Dans cette chronique, nous analysons brièvement les mécanismes linguistiques qui sont liés au phénomène de l’emprunt. Lorsqu’il nous faut nommer une chose pour laquelle nous ne connaissons pas de mot, nous disposons de trois stratégies principales : la modification du sens d’un mot, la création d’un nouveau mot ou l’emprunt à une autre langue.

Extension du sens d’un mot

L’extension permet de recycler un mot connu par la modification d’un de ses sens. Il s’agit d’une forme très courante de métaphore à laquelle nous avons intuitivement recours. Avec le temps, les sens de presque tous les mots d’une langue évoluent naturellement par extension.

Les exemples suivants permettent d’illustrer le glissement de sens progressif qu’a connu le verbe adresser en français.

(1)       Adresser une enveloppe.

=

Écrire une adresse sur une enveloppe.

 

(2)       Adresser une lettre à quelqu’un.

=

Faire parvenir une lettre à quelqu’un.

 

(3)       Adresser des paroles à quelqu’un.

=

Exprimer des paroles à l’intention de quelqu’un.

Aujourd’hui, le sens (1) d’adresser est moins courant que le sens (3), qui est plus récent. Cette modification de l’usage d’un mot avec le temps est un phénomène habituel et n’est pas une exception.

Création d’un mot

Toutes les langues possèdent des procédés morphologiques qui permettent aux locuteurs de créer des mots nouveaux.

La dérivation est la modification de la forme d’un mot par l’ajout d’affixes. L’ajout du suffixe –ité permet par exemple de former un nom à partir d’un adjectif.

humide => humidité

La composition est l’assemblage de plusieurs mots afin de former une unité lexicale autonome. Les noms pomme de terre et chemin de fer sont des exemples relativement récents de ce procédé.

Il arrive parfois que des mots soient créés par des assemblages plus complexes. Le mot courriel est un exemple classique d’un mot formé par la combinaison des parties de deux autres mots.

Emprunt d’un mot d’une autre langue

Plusieurs réalités nouvelles ne peuvent pas être nommées de manière facilement intelligible, même à l’aide d’une extension de sens ou de la création d’un mot par procédé morphologique. L’occasion requiert alors parfois d’emprunter un mot bien connu d’une autre langue.

Les emprunts à une langue source s’adaptent habituellement aux règles grammaticales de la langue d’arrivée. Ainsi, le mot cliquer est un emprunt, adapté à la morphologie française, du verbe anglais to click. Maintenant intégré dans la langue, le mot s’accorde comme les autres verbes du français.

Les emprunts peuvent concerner des mots complets, des sens particuliers, des constructions syntaxiques, des prononciations ou même des abréviations (par exemple : etc.).

Les emprunts à l’anglais

L’anglais sert couramment de moyen de communication entre des populations de langues différentes à travers le monde, notamment le cadre d’activités culturelles, commerciales ou scientifiques. Comme les autres langues véhiculaires, l’anglais fait sentir son influence sur les langues avec lesquelles elle est en contact.

La langue anglaise, dont l’histoire est ponctuée de périodes d’invasion et de colonisation, est elle-même caractérisée par de très nombreux emprunts à d’autres langues. Les mots les plus courants de l’anglais sont d’origine germanique (you, me, the…), mais la plus grande partie de son vocabulaire est tiré des langues véhiculaires de son histoire, comme le français (table) et le latin (insular).

Au niveau international, il existe une tendance à l’uniformisation des vocabulaires techniques qui fait en sorte que certains domaines sont dominés par des langues particulières. Ainsi, l’anglais fournit aujourd’hui le gros du vocabulaire technique de l’informatique, comme le latin a formé celui de la botanique et l’italien celui de la musique.

Pour les francophones, les emprunts à l’anglais sont facilités par de nombreuses similitudes entre les deux langues. En plus d’un lexique très souvent similaire, l’ordre des mots dans les phrases est généralement le même en anglais et en français (sujet – verbe – complément). Ainsi, la construction anglaise « to address a question » devient en français « adresser une question » qui donne un sens tout nouveau au verbe adresser.

La pression des institutions fait en sorte que certains emprunts sont critiqués et qualifiés d’anglicismes. Un emprunt a tendance à être particulièrement critiqué s’il remplace une construction qui existe déjà en français (faire du sens au lieu de avoir du sens) ou s’il attribue à un mot français un sens qui a peu à voir avec ses autres sens (définitivement dans le sens de definitely).

La chronique Exercices sur les anglicismes vous aidera à repérer certains emprunts critiqués de l’anglais et à vous offrira des constructions de rechange afin de les éviter dans vos textes.

jean et jeans

En français, les noms au singulier et au pluriel qui désignent ce vêtement…

 

…n’ont pas la même étymologie.

 

La section étymologique du nom singulier jean dans le Trésor de la Langue Française informatisé nous informe qu’il s’agit d’un emprunt de l’anglais jean. Ainsi débute les péripéties de la chaîne infinie des modifications de sens et de forme qui font partie de la vie d’un mot. En anglais, le nom du vêtement est l’extension d’un sens premier où le mot jean désignait un tissu très populaire coloré à l’aide d’une teinture bleue caractéristique. L’orthographe jean est issue d’une série de noms similaires du moyen anglais : Gene, Jene ou Jane; différentes façons de prononcer à l’anglaise le nom Jannes, ville où était fabriquée cette teinture (aujourd’hui Gênes).

L’étymologie de la forme pluriel jeans (pour désigner un seul vêtement) suit un chemin parallèle. Il s’agit d’un emprunt à l’anglais jeans, abréviation de blue-jeans qui servait d’abord, comme jean, à désigner des tissus. Le s de jeans semble avoir été ajouté sous l’influence du nom Jannes en vieux français (ancienne forme du nom Gênes).

Les emprunts à l’anglais jean et jeans sont donc eux-mêmes des emprunts au vieux français!

Il est intéressant de constater que l’emploi, inusité en France, de pantalons au pluriel dans le contexte d’une « paire de pantalons » s’explique pour des raisons qui n’ont, historiquement, rien à voir avec le pluriel de jeans.