L'objectif des chroniques linguistiques est de présenter succinctement des informations liées à l'usage du français au Québec. Quelques termes du domaine de la linguistique seront introduits afin de décrire des phénomènes intéressants au sujet de la langue.

Les variétés de français dans le monde

Recherche et rédaction par Francis Lapointe, linguiste.

L’Organisation internationale de la francophonie estime qu’il y avait environ 274 millions de francophones dans le monde en 2014. Un tel décompte varie grandement selon la définition de « francophone » qui est employée. Le français est une langue maternelle dans 5 pays d’Europe, au Canada et dans les Caraïbes. Il est une langue seconde dans la moitié des pays d’Afrique et une langue officielle dans 21 d’entre eux. Il subsiste également comme langue seconde en Asie du Sud-Est suite à la période coloniale.

Toutes les variétés de français ont un même point d’origine : le latin parlé couramment en Gaule au Haut Moyen Âge. Il s’est formé principalement dans la région parisienne et s’est répandu en Europe, puis dans le monde suite à des victoires politiques et militaires.

Suite à la propagation du français hors de l’Europe avec le colonialisme, il y a maintenant des francophones sur chacun des continents du monde. Presque la moitié des francophones habitent en Europe, le tiers en Afrique, le sixième au Moyen-Orient, le douzième en Amérique et aux Caraïbes et le reste en Asie et Océanie.

Comme toutes les langues, le français s’est enrichi avec le temps d’une multitude de mots d’autres langues comme le gaulois, l’arabe, l’italien et l’anglais… Les français des différentes régions du monde ont évolué de leurs côtés et ont subi l’influence des langues qu’ils côtoient. En Afrique notamment, la langue française se mélange selon les régions avec les langues locales, ce qui laisse place à beaucoup d’innovation et la formation de nouveaux mots, comme essencerie pour désigner une station-service.

Même en France, le français continue d’évoluer de nos jours. D’un point de vue québécois, le nombre de voyelles semble diminuer en France avec le temps. Les voyelles des mots je et jeu par exemple nous semblent identiques lorsque prononcées par des francophones de Paris. Même chose pour brun et brin qui, pour nous, sonnent tous les deux comme « bran ». On assiste aussi à l’atténuation de la distinction entre certaines voyelles longues et brèves comme celles qui permettent de distinguer les mots fête et faîte ou patte et pâte.

Les français du Canada

La colonisation européenne du Canada s’est faite d’un océan à l’autre, de l’est vers l’ouest. Les différentes variétés du français parlées dans le pays témoignent encore aujourd’hui de ce fait historique.

Français acadien

À l’est, le français acadien est parlé principalement au Nouveau-Brunswick et sur les Îles-de-la Madeleine, ainsi qu’un peu en Nouvelle-Écosse et sur l’Île-du-Prince-Édouard. Il fait également sentir son influence sur les parlers du sud de la Gaspésie et de la Basse-Côte-Nord. Le Grand Dérangement a provoqué la dispersion et l’isolement de beaucoup d’Acadiens, ce qui a contribué à l’émergence de plusieurs accents qui varient beaucoup d’une région à l’autre.

Les premiers Acadiens provenaient majoritairement du Poitou et de ses environs en France. Beaucoup de mots du français acadien ne sont pas compris dans le reste du Canada (exemples : se chavirer dans le sens de « perdre la tête » ou s’engotter dans le sens de « s’étouffer ») et plusieurs traits caractérisent sa prononciation et sa structure grammaticale.

La prononciation des r est davantage roulée qu’au Québec. Pour les non-initiés, le a du mot crabe sonne comme un o. Certains k sont prononcés « tch », comme le mot cuillère qui peut ressembler à « tchuillère ». Les d peuvent subir une variation similaire, comme dans le mot Acadien ou la prononciation « dj » du d laisse entendre « acadjien ». On comprend ainsi l’origine du mot Cajun dont la prononciation est très similaire à la fin du mot Acadien.

L’accord des verbes pluriels obéit à des règles légèrement différentes. Encore aujourd’hui, on peut entendre certains verbes à la troisième personne du pluriel se terminer par le son « on » ou « ion » au lieu d’une voyelle muette. On peut ainsi dire « ils arrivont » pour « ils arrivent ».

Au sud-est du Nouveau-Brunswick, où les francophones cohabitent davantage avec les anglophones, on assiste à une francisation d’un grand nombre de mots anglais. Écoutez la chanteuse Lisa Leblanc pour découvrir cette variété particulière de français acadien qu’on appelle le chiac.

Français laurentien

Les colons de l’ouest et du nord-ouest de la France qui se sont installés à Québec avaient tous leurs propres parlures, mais ont rapidement adopté le français de Paris de l’époque comme langue commune, tout en le colorant de particularités régionales. C’est ce français québécois (ou français laurentien) qui s’est par la suite déplacé vers l’ouest du Canada et au nord des États-Unis.

Parmi les particularités du français laurentien, on remarque l’interrogation à l’aide de « -tu », comme dans « Vous arrivez-tu bientôt? ». Les locuteurs non avertis confondent souvent cette particule interrogative avec le pronom « tu ».

Dans les localités où les francophones côtoient les anglophones, l’influence de l’anglais se fait sentir sur l’intonation et le vocabulaire. En Ontario, par exemple, des mots comme team ou des locutions comme i guess ont été assimilés par la langue.

Après la colonisation anglaise de la Nouvelle-France, les francophones d’Amérique du Nord se sont retrouvés isolés du français européen. L’accès à la littérature, la radio et la télévision de l’Europe au cours du vingtième siècle a graduellement provoqué un réalignement de la norme vers le français standard de France.

Les accents du Québec

La forme en entonnoir du fleuve Saint-Laurent qui se rétrécit à l’endroit où Québec a été fondée rappelle l’importance économique, culturelle et linguistique de cette ville dans l’histoire de la colonisation de la Nouvelle-France. La ville de Québec a également été un entonnoir linguistique par où les différentes variétés de la langue d’oïl de la France se sont rencontrées et alignées autour de normes locales, avant d’être dispersées dans le reste de l’Amérique du Nord puis influencées par des contacts avec les langues amérindiennes et l’anglais.

Le français parlé dans la province du Québec varie peu selon les régions si on compare la situation avec celle du français acadien ou celle du français de France. Pour une oreille avertie, il est cependant possible d’identifier l’origine approximative d’un francophone natif du Québec grâce à certains traits qui caractérisent son accent régional.

Toutes les informations inscrites ici sont des généralisations approximatives de phénomènes en mutation et donc à prendre avec des pincettes. Il existe en réalité des centaines d’accents différents dans chacune de ces régions.

Ville de Québec

À ses débuts (1608), la langue généralement parlée dans la première ville francophone sur le Saint-Laurent était probablement très proche du français parisien de cette époque. Aujourd’hui, les français de Québec et de Paris se distinguent facilement suite à des évolutions parallèles. On appelle souvent « français laurentien » le français qui est issu de la ville de Québec.

Les t et les d sont affriqués à Québec comme dans l’ouest de la province, c’est-à-dire que les t sont accompagnés d’un s, comme les d sont accompagnés d’un z, s’ils sont suivis des voyelles i ou u. Ainsi, tu est prononcé « tsu » et lundi est prononcé « lundzi ». Les longues voyelles (qui sont souvent écrites avec plus de lettres ou un accent circonflexe) ont tendance à n’avoir qu’un seul timbre et sont parfois accompagnées d’un mouvement dans l’intonation. Ainsi, baleine se prononce « balène » plutôt que « baléïne » et arrête se prononce « arrète » plutôt que « arraïte ».

Maritimes

La structure de la langue est très proche du français de Québec sur la Basse-Côte-Nord et en Gaspésie, mais la prononciation est fortement influencée par diverses variétés de français acadien, surtout dans la Baie-des-Chaleurs.

En général les t et les d ne sont pas affriqués. Ainsi du est prononcé « du » plutôt que « dzu », et le « ti » de tisane est prononcé comme tea en anglais, plutôt que « tsi ».

Îles-de-la-Madeleine

Le français aux Îles-de-la-Madeleine est considéré comme étant davantage du français acadien que du français laurentien. Lisez la chronique Les français du Canada pour une brève description du français acadien.

Les phoques sont des loups-marins aux Îles-de-la-Madeleine. Sur certaines îles, si vous n’avez pas l’habitude de l’accent, il est possible que vous confondiez les « an » avec les « in » et les « on » et que le a dans le mot crabe sonne presque comme o.

Saguenay et Lac-Saint-Jean

Les variétés de français le long du Saguenay et au Lac-Saint-Jean sont souvent caricaturées par l’usage fréquent de « là là » entre les phrases. Les longues voyelles sont accompagnées d’intonations très fortes qui forment presque des mélodies. Écoutez les Colocs pour entendre plusieurs expressions locales comme à cause dans le sens de « pourquoi » et faire simple dans le sens de « avoir l’air stupide ».

Montréal

Le français laurentien s’est déplacé vers Montréal puis a rayonné vers l’ouest jusqu’à Gatineau, vers le nord en Abitibi et au sud du Saint-Laurent jusqu’à Trois-Rivières.

Dans ces régions, les t et les d sont affriqués comme à Québec, mais on prononce davantage de longues voyelles à deux timbres. Ainsi père peut être prononcé « paére » ou « péïre » plutôt que « père ».

Estrie

Le territoire des Eastern Townships a hébergé des colons loyalistes anglophones avant l’arrivée des francophones, ce qui a influencé le vocabulaire des variétés de français de Sherbrooke et de ses environs. Il est par exemple courant de mettre un jacket et des snicks avant de sortir.

La prononciation est similaire à celle de Montréal, mais, pour les non-initiés, les « an » à la fin des mots peuvent sonner comme des « in ». Ainsi blanc ressemble à blin et printemps à printin.