Le plan libéral en quatre projets de loi

PL-10 : Les mammouths

Adopté au petit matin le 6 février dernier à la suite de 15 heures de débat conclu par un bâillon, le projet de loi 10 est l’œuvre maîtresse du ministre de la Santé Gaétan Barrette. Intitulé Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales, le projet de loi prévoit, entre autres, l’abolition des agences régionales et la création des nouveaux centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS).

Pour le ministre, le PL-10 viendrait améliorer et simplifier l’accès aux soins et aux services grâce à l’abolition d’un palier « administratif » — les agences — et permettrait l’économie de 220 millions de dollars, sur un budget total d’environ 31 milliards de dollars. Ces compressions cadrent bien avec l’atteinte du déficit zéro, l’objectif ultime des libéraux. Selon ses prédictions, seulement 1300 cadres perdraient leur emploi au terme de l’exercice. En plus d’une diminution marquée du nombre de conseils d’administration, qui passent de 200 à une vingtaine, le projet de loi abolit la vaste majorité des CSSS.

Les critiques fusent de toutes parts. Pour la CSN, la FP-CSN et la FSSS-CSN, mais aussi pour l’ensemble des acteurs du réseau, les nouveaux CISSS et CIUSSS (centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux), rebaptisés « structures mammouths », viendront alourdir et complexifier inutilement l’organisation et l’accès aux soins et aux services. La création des CISSS et des CIUSSS aura aussi pour effet de concentrer entre les mains de quelques personnes les prises de décisions ayant un effet sur l’ensemble du réseau. Plusieurs craignent l’accélération d’une approche hospitalo- centriste, déjà dominante, où l’hôpital gobe une trop grande part du budget des nouveaux CISSS, en particulier la part dévolue aux services sociaux (notons que tous les CISSS chapeautent au moins un centre hospitalier).

Mais une des critiques les plus virulentes à l’égard du PL-10 concerne les pouvoirs démesurés que s’octroie le ministre, du jamais vu ! En effet, Gaétan Barrette se donne un droit de regard sur la composition des conseils d’administration tout en se permettant une ingérence sans retenue sur la nomination des dirigeantes et des dirigeants des différents établissements. En pleine controverse au CHUM, où le ministre veut imposer son « homme » à la tête du département de chirurgie, les allégations d’abus de pouvoir sont légion.

PL-15 : L’austérité à son sommet

Le projet de loi 15, intitulé Loi sur la gestion et le contrôle des effectifs des ministères, des organismes et des réseaux du secteur public ainsi que des sociétés d’État, est déposé par Martin Coiteux, président du Conseil du trésor, en octobre 2014. Il est adopté deux mois plus tard, à la fin de la session. L’objectif est de contrôler la taille des effectifs des ministères, des organismes, des réseaux de la santé et de l’éducation, de même que des sociétés d’État. Les commissions scolaires, les cégeps et les composantes de l’Université du Québec, de même que la Caisse de dépôt et placement du Québec sont visés.

Le PL-15 se veut un outil législatif pour limi­ter de façon coercitive la croissance des effectifs de l’État, ce qui devrait permettre, selon Martin Coiteux, une économie de l’ordre d’un demi-milliard de dollars. À ce frein imposé à la croissance des effectifs s’ajoute un gel d’embauche dans le secteur public. L’austérité à son sommet, avec ses effets sur les services.

De façon unanime, les syndicats et les observateurs y voient une volonté d’augmenter le contrôle et l’emprise du gouvernement sur les sociétés d’État. En limitant sa croissance et en empêchant l’embauche, il ne fait aucun doute que le gouvernement souhaite en secret affaiblir l’État et le rôle privilégié qu’il joue au Québec depuis plus de 50 ans. Une fois les réseaux de la santé et des services sociaux, de l’éducation, mais aussi l’ensemble des sociétés d’État affaiblis, la porte s’ouvrira d’elle-même à la privatisation.

PL-20 : Des quotas, puis une entente

Déposé en novembre dernier et toujours en attente d’adoption, le projet de loi 20 avait au départ pour principal objectif d’imposer des quotas aux médecins. Pour Gaétan Barrette, l’auteur du projet de loi, le PL-10 organise les soins, alors que le PL-20 augmente les soins. À eux seuls, ces deux projets de loi viendraient, toujours selon lui, régler les problèmes du réseau de la santé. Intitulé Loi édictant la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée, le PL-20 dit avoir pour objectif l’amélioration de l’accès aux soins.

Au moment de son dépôt, le projet de loi imposait aux médecins de famille des quotas qu’ils devaient respecter sous peine de sanctions financières pouvant aller jusqu’à 30 % de leur rémunération.

Mais à la fin du mois de mai, coup de théâtre. Gaétan Barrette et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) s’entendent. Les médecins de famille n’auront pas à respecter de quotas. En échange, ils doivent s’engager à ce que 85 % des Québécois et des Québécoises aient accès à un médecin de famille, d’ici le 31 décembre 2017. Si cet objectif est atteint, le PL-20 ne s’appliquera pas aux membres de la FMOQ. Le ministre de la Santé qualifie l’entente d’historique.

PL-28 : La méthode Harper

Adopté à toute vitesse sous le bâillon le 20 avril dernier, le PL-28, intitulé Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 4 juin 2014 et visant le retour à l’équilibre budgétaire en 2015-2016 compte rien de moins que 337 articles.

Véritable fourre-tout présenté par le ministre des Finances Carlos Leitão, cette loi touche entre autres aux tarifs des services de garde, en introduisant des hausses qui feraient grimper les frais jusqu’à 20 $ par jour pour les familles plus fortunées. Elle officialise l’abolition de deux structures municipales d’importance, les centres locaux de développement (CLD) et les conférences régionales des élus (CRÉ). Elle fixe les tarifs demandés par les pharmaciens, entraînant des baisses d’honoraires de 177 millions et fait passer de 100 millions à 500 millions de dollars par année les sommes virées au controversé Fonds des générations.

Malgré l’ampleur du projet de loi, il aura fallu seulement une dizaine d’heures de débat avant que le gouvernement de Philippe Couillard ne juge qu’il soit mûr pour l’adoption en chambre. À l’unanimité, les partis d’opposition, les syndicats et l’ensemble des observateurs ont dénoncé cette méthode trop souvent utilisée par les conservateurs de Stephen Harper. En choisissant délibérément d’inclure dans le PL-28 des politiques qui vont dans toutes les directions, les libéraux tentent de minimiser une décision majeure, celle de toucher aux tarifs des services de garde. Choix collectif ayant une incidence majeure sur la société, les services de garde voient leur accessibilité réduite de manière importante pour une première fois depuis leur création.

Privatisation insidieuse

Le projet de loi 28, tout comme le 10, le 20 et le 15 n’ont dans les faits qu’un seul réel objectif, celui d’ouvrir la porte à la privatisation et à la tarification. De manière insidieuse, en diminuant l’offre, en haussant les tarifs, en affaiblissant l’autonomie des établissements, et en dévaluant le travail des employé-es de l’État, ce gouvernement met en place les conditions idéales pour justifier la pertinence de l’entreprise privée dans les maillons de l’État social québécois.


Quelle analyse faire de ces projets de loi ?

Perspectives CSN a rencontré le vice-président de la CSN Jean Lacharité ainsi que Jeff Begley et Michel Tremblay, respectivement présidents de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) et de la Fédération des professionnèles (FP-CSN).


L’histoire de deux hommes

Jean Lacharité, vice-président de la CSN

Quelle est la position de la CSN à propos des projets de loi 10, 15, 20 et 28 ?

La CSN s’oppose totalement à ces lois qui remettent en question les acquis sociaux dont s’est doté le Québec depuis la Révolution tranquille.

Qui mène au gouvernement ?

Le gouvernement libéral est l’histoire de deux hommes. Philippe Couillard et Martin Coiteux, bien que certains autres membres jouent un certain rôle, ont un certain poids. Les autres membres du gouvernement ont l’air de sous-ministres. D’ailleurs, le premier ministre laisse beaucoup de place à Martin Coiteux. On a presque l’impression qu’il se cache. Ce que ça dénote, c’est que Coiteux a l’aval complet de son premier ministre pour prendre les devants de la sorte.

Quels sont les objectifs des libéraux ?

La réponse est simple : une remise en question complète du modèle québécois tel qu’on le connaît. C’est-à-dire où l’État joue un rôle social important, même fondamental. À titre d’exemple, avec le projet de loi 10, on crée des structures mammouths. Ces dernières, accompagnées de coupes budgétaires, remettent en cause le panier de services publics.

Même chose avec le projet de loi 15 qui vise la réduction du nombre de fonctionnaires. Mais pas seulement dans la fonction publique. Les employé-es de l’État, en santé, en éducation et dans les organismes gouvernementaux, comme la CSST, sont aussi touchés. Le gouvernement prétend qu’il ne s’adresse qu’aux structures sans toucher aux services, mais c’est totalement faux !

D’où vient cette vision néolibérale et quelles en seront les conséquences ?

Le grand manitou, c’est Martin Coiteux. C’est un idéologue dogmatique de droite qui veut réduire le rôle de l’État. Ce ne sont pas seulement les fonctionnaires et autres employé-es de l’État qui vont en payer le prix, mais bel et bien tous les Québécois, toutes les Québécoises, tous les payeurs d’impôts. Que se passera-t-il quand le réseau public ne livrera plus la marchandise ? On se fera dire « faut aller vers le privé ». Car le réel objectif du gouvernement est d’ouvrir au privé. Les citoyens et les citoyennes vont devoir puiser dans leurs poches pour recevoir ces services. On nous offre des réductions minimes de taxes et d’impôts. Mais ce n’est rien comparé à ce que nous devrons payer pour nous assurer des services. Aux États-Unis par exemple, ça peut coûter entre 15 000 $ et 20 000 $ par année pour une simple assurance maladie.

Nous sommes mieux protégés en payant nos taxes et nos impôts pour nous payer les services dont on a besoin que si nous étions à la merci de l’entreprise privée, dont l’objectif est avant tout le profit.

Que propose la CSN pour combattre cette idéologie ?

Il faut d’abord et avant tout prendre conscience du dégât qu’est en train de faire le gouvernement. Ensuite, il faut nous mobiliser. Prendre la rue, être présents aux manifestations, aux rassemblements de masse. Montrer qu’on s’oppose à l’entreprise de démolition qui est en train de se profiler.

Y a-t-il une similitude entre les conservateurs et les libéraux du Québec ?

Tout à fait. Au Québec, on n’aime pas Stephen Harper et on a pu le constater lors des élections. Il faut se rendre compte que le PLQ propose une harperisation intensifiée du Québec. Le PLQ est devenu aussi conservateur que le PC à Ottawa. L’idéologie est la même, réduire considérablement le rôle de l’État. Rappelons-nous la fameuse réingénierie de l’État proposée par Jean Charest entre 2003 et 2005. Nous avions réussi à freiner ses ardeurs — même s’il y a eu certains dégâts — grâce à notre mobilisation. La CSN avait réussi. Le PLQ d’aujourd’hui tente d’achever l’œuvre de Jean Charest et de Monique Jérôme-Forget. Nous aussi nous continuerons notre œuvre : nous appelons l’ensemble des Québécois et des Québécoises à se tenir debout et à démontrer leur opposition à ce projet dévastateur.


Le sabotage des services de garde

Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux

Parmi les quatre projets de loi déposés par les libéraux, quel est le plus dommageable ?

Ils sont tous dommageables. Mais le PL 28, qui touche entre autres à la hausse des frais des services de garde, est particulièrement représentatif, car il est le parfait exemple des réelles intentions du gouvernement : ouvrir au privé en prétextant l’inefficacité des services… inefficacité qu’il a lui-même délibérément créée. Prenons les services de garde. Avant leur création en 1996, il pouvait en coûter 30 $ par jour pour envoyer son enfant à la garderie. Ces dernières avaient de hauts taux d’inoccupation. Les cégeps songeaient à réduire leur formation en la matière. Lentement, mais sûrement, les gens se sont mobilisés ; les parents, mais aussi la communauté. Devant l’immense pression populaire, Pauline Marois a créé les centres de la petite enfance (CPE). Sans mobilisation, elle n’aurait rien fait. Rapidement, la demande a explosé. Les services de garde ont reçu un appui populaire impressionnant, les gens étaient emballés. Les CPE ont eu comme impact de pousser les femmes vers le marché du travail. Celles qui y étaient déjà n’avaient plus à travailler la moitié de leur journée pour payer la garderie. C’était accessible et socialement payant. Mais la suite des choses s’est avérée vraiment décevante.

Comment les choses ont-elles évolué ?

Pendant les 20 ans qui ont suivi la création des CPE, l’offre mise de l’avant par les gouvernements successifs n’a jamais réussi à répondre à la demande. Les listes d’attente sont devenues de plus en plus longues. Puis, en 2003, on a mis fin à l’augmentation de l’offre. C’est ce que j’appelle une opération de sabotage. Il faut préciser qu’en même temps qu’on laisse stagner les places intentionnellement, les effets du Régime québécois d’assurance parentale se sont fait sentir : on assiste à une augmentation significative du nombre de naissances au Québec. Le manque de places a eu pour effet de créer de la grogne chez les gens. Le réseau est alors devenu dans la tête de plusieurs mécontents, inefficace. Les perceptions ont changé, et c’était ce que voulaient les libéraux. Il faut dire que depuis le début, le PLQ était contre le programme universel de service de garde.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Aujourd’hui, devant la supposée inefficacité du réseau des services de garde, les libéraux nous disent qu’ils n’ont pas d’argent pour le financer. Pourtant, on sait que pour chaque dollar investi, c’est 1,50 $ qui revient au gouvernement. Il faut dire que les CPE permettent à plus de femmes de travailler, c’est donc plus de gens qui paient de l’impôt. Ça, c’est pour les bénéfices économiques. Mais il y a aussi des bénéfices sociaux non négligeables. Les enfants qui fréquentent les services de garde sont encadrés, stimulés rapidement, ils socialisent, etc.

Nous ne devons pas laisser faire les libéraux. Car sinon, on va payer cher. Très cher. L’augmentation des coûts pour les familles va dépasser cent fois le remboursement d’impôt qu’on nous promet. Il faut appuyer les membres qui sortent dans la rue. Mais il faut aussi que les gens « ordinaires », qui n’utilisent pas nécessairement les services de garde, sortent pour appuyer la cause. Comme en 2012.


L’illogique PL 10

Michel Tremblay, président de la Fédération des professionnèles

Quels sont les effets concrets des projets de loi des libéraux en santé, particulièrement les 10 et 15 ?

Prenons le PL 15 pour commencer. Depuis son adoption, il n’y a plus d’affichage de postes possible, à moins d’avoir la permission directe du Conseil du trésor, dirigé de main de fer par Martin Coiteux. C’est exactement le genre de contrôle que Monique Jérôme-Forget souhaitait du temps qu’elle en était la présidente. Dans ce contexte, disons… contraignant, la loi 10 entre aussi en vigueur. Il faut savoir que le projet de loi a été écrit par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette lui-même, et sa garde rapprochée. Approche plutôt rare, puisque les fonctionnaires sont souvent mis à contribution dans ce genre de mandat.

La loi 10 est en fait une étape importante dans la transformation que souhaite imposer le ministre Barrette au réseau de la santé et des services sociaux. Dans la tête du ministre, d’ici cinq ans, les effectifs du réseau seront largement réduits et, parallèlement, le financement des activités médicales en fonction des actes posés sera augmenté. Pour arriver à cette fin, on réduit de 30 % le budget dédié à la santé, ce qui ouvrira obligatoirement la porte au privé.

Quel sera l’impact de l’abolition des agences de santé et de services sociaux ?

Au 31 mars dernier, 15 % du personnel d’agence ont perdu leur poste à cause du de la loi 10. Cette décision a créé toutes sortes de situations aberrantes. Prenons l’agence de Montréal par exemple. Le 1er avril, quatre postes d’agents de planification, de programmation et de recherche (APPR) ont été transférés au Centre hospitalier universitaire (CHU) Sainte-Justine. Les APPR possèdent une spécialisation en santé publique et détiennent souvent un doctorat en la matière. Rien à voir avec les services offerts au CHU Sainte-Justine, où il n’y avait pas d’APPR parce qu’il n’en avait pas besoin. La direction de Sainte-Justine, qui doit accueillir ces professionnel-les en raison de leur ancienneté, devra probablement les garder à ne rien faire… et, du même coup, comme le transfert n’est pas accompagné de budget, elle devra vraisemblablement mettre quatre personnes à pied, des psychologues qui travaillaient déjà auprès d’enfants, par exemple. Ici, on est perdant sur toute la ligne : quatre psychologues ne donnent plus de services aux patients de Sainte-Justine, et quatre APPR ne peuvent plus mettre leur expérience à contribution et travailler en prévention.

Quel sera l’impact sur la vie syndicale de toutes ces fusions d’établissements ?

C’est certain qu’avec sa loi 10, le gouvernement souhaite aussi complexifier le fonctionnement de la vie syndicale. Ce n’est pas l’objectif premier, mais disons que ça ne déplaît pas au gouvernement.

Un mot sur le PL 28 ?

C’est un projet de loi aberrant. Le cas des conférences régionales des élus, les fameux CRÉ, en est un bel exemple. Au moment de son dépôt, le PL 28 venait abolir les CRÉ, tout en empêchant les travailleurs d’avoir recours à l’article 45 du Code du travail, qui prévoit que le changement d’employeur par vente ou concession totale ou partielle d’une entreprise n’invalide pas l’accréditation syndicale et, s’il en existe une, la convention collective. Donc, pas de transfert possible pour ces travailleurs, puisque leur accréditation ne tient plus. Il y a finalement eu un amendement à la dernière minute. Alors qu’on espérait un assouplissement du ministre, il a plutôt opté pour la ligne dure et décidé d’étendre la mesure aux employé-es des centres locaux de développement, les CLD, et aux corporations de développement économique communautaire, les CDEC.

Comme il fait bon vivre à Montréal

Cette étude, commandée par la CSN et basée sur des statistiques recensées par la firme de consultants Runzheimer International, rapporte que Montréal serait la ville la plus enviée au point de vue du coût de la vie, en comparaison à Calgary, Toronto et Philadelphie, et ce, malgré une fiscalité plus lourde au Québec. En comparant 19 profils de famille type ayant des revenus différents, il est possible de voir un portrait global de la situation des ménages québécois.

Les auteurs de l’étude, Jean-Denis Garon et Dalibor Stevanovic, affirment que cette recherche leur a permis de rectifier les faits quant à la croyance populaire qu’il en coûte plus cher de vivre au Québec qu’ailleurs. Il est vrai que les Québécoises et les Québécois paient, en moyenne, 20 % de plus en impôt que les citoyennes et citoyens des autres provinces canadiennes, mais ces sommes payées engendrent aussi des bénéfices et servent notamment à fournir des services à la population. « On fait comme si cet argent ne servait qu’à faire des trous et puis à les boucher, mentionne Jean-Denis Garon. En réalité, cela finance des services publics que les citoyens n’auront pas à payer individuellement par la suite. »

Des services publics accessibles

Les services de garde et ceux du transport collectif, l’éducation et la santé sont des services essentiels dont bénéficie la population québécoise à un prix moins élevé que, par exemple, celle des États-Unis. Les soins de santé, que l’on considère au Canada comme étant indispensables, ne sont pas pris en charge par l’État américain. Ainsi, sa population doit se procurer une assurance maladie privée qui peut s’avérer dispendieuse. Certains employeurs offrent de payer jusqu’à 30 % de la prime d’assurance pour leurs employé-es et 15 % de la prime familiale, mais cela laisse les citoyennes et les citoyens aux prises avec des frais de santé considérables. En effet, selon les données compilées dans l’étude, une famille montréalaise paie en moyenne 1548 $ de frais de santé annuellement, alors qu’une famille de Philadelphie en paie 4238 $.

Il est également possible de remarquer cette importante différence lorsque l’on considère les frais de garde et les frais de scolarité des familles avec un enfant. Les frais de scolarité universitaires à Montréal sont les plus bas des quatre villes comparées, avec 2371 $ par an. À Calgary et Toronto, ces dépenses sont plus élevées, soit respectivement 5736 $ et 5724 $. Mais, là où la différence se fait réellement sentir, c’est lorsqu’on observe les frais de scolarité à Philadelphie, qui s’élèvent en moyenne à 12 086 $, soit 9715 $ de plus qu’à Montréal annuellement pour un seul enfant. « Il n’y a pas beaucoup d’endroits en Amérique où une famille avec de jeunes enfants se trouverait mieux qu’ici », explique M. Garon, interrogé sur le sort des familles moyennes québécoises. « Le système fiscal pour les familles est très avantageux, pour les riches comme pour les plus pauvres, d’ailleurs. »

Locataires et propriétaires

Interpellé sur le prix du loyer à Montréal par rapport à d’autres villes canadiennes ou américaines, M. Garon est clair : « Pour un certain nombre de raisons, les loyers sont moins chers ici. Quand une personne doit choisir entre vivre à Toronto ou à Montréal, le prix du loyer entre assurément en ligne de compte. » Pour les locataires, la réglementation québécoise, qui contribue à limiter la hausse du coût des loyers, est une des raisons mentionnées dans l’étude. Ainsi, le prix moyen d’un loyer à Montréal est de 11 077 $ par année, alors qu’il en coûte 16 740 $ à Cal­gary, 15 546 $ à Toronto et 14 662 $ à Philadelphie, ce qui fait une moyenne de 41 % d’écart entre ces villes et Montréal.

Cependant, pour ce qui est des familles propriétaires, la ville américaine de Philadelphie offre un avantage en raison de sa fiscalité moins élevée et du prix des maisons révisé à la baisse à la suite de la crise financière et immobilière de 2007. Le remboursement de l’hypothèque, le paiement de l’assurance et les frais d’entretien coûtent en moyenne 23 017 $ annuellement pour une propriété à Montréal, soit 7638 $ de moins qu’à Calgary, 16 078 $ de moins qu’à Toronto, mais 5237 $ de plus qu’à Philadelphie.

Coût de la vie global

Lorsque l’on prend en considération les différentes variables explorées dans l’étude, on constate que le Québec s’en tire finalement très bien quant au coût de la vie global pour l’ensemble de sa population. En effet, le coût du panier de consommation, c’est-à-dire les biens et services de consommation courante, ainsi que les coûts du logement, du transport et de la santé d’une famille moyenne montréalaise s’élèvent à 51 194 $ annuellement, ce qui est beaucoup plus abordable qu’à Calgary (61 167 $), Toronto (69 318 $) et Philadelphie (55 821 $). L’écart moindre entre Montréal et Philadelphie s’explique vraisemblablement par une fiscalité moins lourde pour les familles disposant d’un revenu de 88 000 $ et plus.

On peut également observer qu’il est plus intéressant d’habiter Montréal que d’autres grandes villes canadiennes pour les familles ayant des enfants. En effet, pour une famille montréalaise sans enfant dont le revenu annuel s’élève à 88 000 $, on note un écart du coût de la vie de 5340 $ avec une famille calgarienne et de 15 045 $ avec une famille torontoise. Or, pour une famille avec un enfant qui fréquente la garderie, on verra cet écart favorable grimper à 13 537 $ avec une famille de Calgary et à 24 022 $ avec une famille Toronto. Plus tard, lorsque cet enfant sera inscrit à l’université, la famille montréalaise bénéficiera d’un écart de 8704 $ avec celle de Calgary et 18 398 $ avec celle de Toronto. Ces données révèlent ainsi la différence entre le Québec et le reste du Canada quant au fardeau financier imposé aux familles voulant envoyer leurs enfants à la garderie ou, plus tard, à l’université. Pourtant, ces deux services sont essentiels au développement des jeunes familles et à la motivation qu’elles ont d’avoir des enfants et de les élever au Québec.

Bilan positif

Pour Pierre Patry, trésorier de la CSN, cette étude est essentielle afin de contrecarrer le discours de droite martelant la position peu enviée du Québec au point de vue de la qualité de vie globale de ses citoyens. « Au bout de compte, affirme-t-il, cette étude vient rassurer les Québécoises et Québécois sur leur situation par rapport au reste de l’Amérique du Nord. On ne vit pas dans un enfer fiscal, comme certains le prétendent. Oui, on paie plus d’impôts et de taxes en comparaison au reste du Canada et à certains États américains, mais on reçoit en contrepartie plus de services publics, ce qui élève finalement le niveau de vie de tous. À la CSN, on considère que c’est un choix de solidarité. »

La détresse psychologique laissée en plan

 « Plus on crée une distance entre les mailles du filet, plus de gens vont y tomber », craint Louis Picard, psychologue au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine.

Les psychologues et les neuropsychologues du réseau public jouent un rôle unique et crucial puisqu’ils ont la possibilité de travailler en équipe avec plusieurs autres professionnel-les de la santé et de devenir des spécialistes de certains troubles ou détresses psychologiques qui peuvent être parfois très graves. On trouve rarement ces deux caractéristiques chez les psychologues de pratique privée qui visent une clientèle plus large.

Les psychologues de Sainte-Justine, par exemple, aident les enfants grands brûlés à passer au travers de traitements extrêmement douloureux comme l’hydrothérapie. On pense aussi à l’accompagnement des familles lors de deuils ou de maladies graves d’enfants. « La principale richesse du réseau, c’est l’expertise. Une surspécialisation qu’on ne trouve pas toujours au privé », explique Pierre Goulet, neuropsychologue au Centre de réadaptation Lucie-Bruneau. Ce centre est spécialisé auprès d’adultes qui ont subi une atteinte orthopédique ou cérébrale, ou qui sont aux prises avec des maladies évolutives. Il s’agit de les accompagner pour qu’ils arrivent à se réinsérer socialement.

« Les enfants qui arrivent ici vont être pris en charge, mais on doit ensuite les référer en première ligne », explique Dominique Pallanca, psychologue à Sainte-Justine. Or, cette première ligne (CLSC ou ressources communautaires) croule sous le nombre de cas et doit souvent se contenter de donner un service restreint d’une dizaine de séances, ce qui n’est pas toujours adapté aux cas plus lourds. « Un enfant avec une maladie chronique et un trouble de la personnalité limite, par exemple, risque fort de nous revenir. On assiste à un phénomène de portes tournantes », fait valoir Louis Picard, qui précise que le privé aura souvent moins l’intérêt à s’occuper de ces cas plus difficiles.

Le manque de ressources ne touche pas que le secteur de la santé. « La longueur des listes d’attente pour avoir accès à un psychologue dans les écoles fait peur », affirme Dominique Pallanca, qui précise que les soins psychologiques, par exemple pour les troubles du langage chez les enfants, ne peuvent souvent pas attendre. Les parents doivent alors se tourner vers le privé.

Le réseau public moins attractif

Les psychologues qui consacraient la majeure partie de leur temps au réseau public, et qui suffisaient déjà à peine à la tâche, risquent d’être encore moins nombreux à cause de l’abandon d’une prime qui visait à combler l’écart entre les revenus dans le réseau public (45 $ l’heure au maximum) et dans le privé (entre 80 $ et 120 $ l’heure, moins les frais). Rappelons que le doctorat est maintenant obligatoire pour exercer cette profession. Cette prime de 6,7 % à 9,6 % pour ceux qui consacrent quatre ou cinq jours par semaine au réseau public a été abandonnée le 1er avril par le gouvernement Couillard. Elle avait pourtant été convenue après une réflexion sérieuse sur les raisons du manque d’attractivité de la profession dans le réseau public. On souhaitait y attirer des professionnel-les pour réduire les listes d’attentes, qui ont déjà atteint 18 mois pour certains enfants à Sainte-Justine.

La prime en question représentait environ 35 millions de dollars pour tout le Québec. « C’est une décision qui manque complètement de vision », déplore Dominique Pallanca. Le coût social de l’abandon des personnes avec un problème de santé mentale est beaucoup plus élevé.


La CSN représente plus de 700 psychologues et neuropsychologues qui sont membres de la Fédérations des professionnèles (FP-CSN) ou de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN).

Faire de l’éducation une véritable priorité nationale

Humour, poésie, chanson et beaucoup de réflexion ! Quelques centaines de personnes, préoccupées par l’avenir de nos cégeps et de nos universités, se sont réunies au Bain Mathieu dans l’est de Montréal, le 19 mars dernier, pour lancer le processus qui mènera à la tenue d’états généraux sur l’enseignement supérieur.

Il s’agit d’un appel aux acteurs progressistes en éducation pour créer un espace de discussion au sujet de ce qui ne tourne pas rond dans notre système d’éducation. Au fil des années, quelques chantiers de réflexion ont été lancés. Mais les conclusions, incluant celles tirées du Sommet sur l’enseignement supérieur tenu en 2013, ont souvent laissé la plupart d’entre nous sur notre appétit.

Cette fois, la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN) veut ouvrir le dialogue pour réfléchir à des mesures concrètes et stopper la marchandisation de l’éducation. « Il faut qu’on forme des employé-es, oui, mais il faut qu’on forme avant tout des citoyennes et des citoyens », prévient Caroline Senneville, présidente de la FNEEQ.

Le constat semble généralisé. « C’est une éducation qui a été complètement soumise au marché, à une logique d’austérité et de réduction de l’État », déplore Alexis Tremblay de la Fédération étudiante collégiale du Québec. Stefana Lamasanu, chargée de cours à l’Université McGill dénonce « les concepts managériaux d’efficacité, de clientélisme et de performance qui s’immiscent partout dans le discours. L’éducation n’est pas là pour nous transformer en produits du marché ». Marie Blais, présidente du Syndicat des chargé-es de cours de l’Université du Québec à Montréal (FNEEQ-CSN) ajoute « que ce soit au primaire, au secondaire ou en enseignement supérieur, une seule chose compte : l’argent, les sources de revenus et les clients ».

Trop de béton au détriment de l’éducation

Si le réseau, sous-financé, requiert des investissements additionnels, encore faut-il dépenser correctement les budgets actuels. Michel Seymour, professeur de philosophie à l’Université de Montréal, constate depuis quelques années que les administrations universitaires accordent la priorité aux immobilisations. « Il y a une dérive immobilière et ce n’est pas dû qu’à l’Îlot voyageur de l’UQAM. On assiste à une dérive tentaculaire qui fait que les universités ont construit des pavillons tout neufs à proximité des universités concurrentes. Cela n’a aucun bon sens d’engloutir autant de fric dans le béton. » Pendant ce temps, le gouvernement prétend que l’argent manque, des cours sont supprimés et le ratio maître-élèves augmente.

Tout le Québec en souffre, hommes et femmes, et il risque d’en souffrir pour longtemps. La présidente de la Fédération des femmes du Québec, Alexa Conradi, craint même un retour en arrière. « La question de l’éducation, dans son accès et son contenu, est un élément central dans la démarche de quête d’égalité pour les femmes. On souhaite que les femmes aient accès à l’éducation pour améliorer leurs conditions. Mais aussi pour pouvoir contester les relents du sexisme dans les savoirs. »

Selon la FNEEQ-CSN, l’enseignement supérieur est un droit et l’éducation doit réellement être une priorité nationale. « Une société qui n’a pas d’éducation de qualité, c’est une société qui s’appauvrit à tous points de vue : culturel, social et économique », alerte sa présidente, Caroline Senneville.

Les appuis à la démarche se multiplient afin de renverser la vapeur. C’est donc en coalition, au-delà des allégeances, que la FNEEQ-CSN joindra ses efforts à ceux d’autres organisations syndicales, étudiantes et de la société civile pour réaliser les états généraux que nous voulons !

20 ans à faire les choses autrement

À l’automne 1995, par un beau dimanche matin, l’équipe du Service de l’information de la CSN se livrait à un remue-méninges plutôt inusité. Il fallait en effet trouver un nom pour ce fonds de travailleurs que l’Assemblée nationale, quelques mois plus tôt, avait chargé la CSN de mettre sur pied. Après plusieurs heures de discussions animées, un nom avait finalement fait l’unanimité : Fondaction, le fonds de la CSN pour la coopération et l’emploi.

L’adoption de la loi constitutive de Fondaction, en juin 1995, avait été l’aboutissement de plusieurs années d’efforts conduits principalement par le trésorier de la centrale, Léopold Beaulieu. Ce dernier, un partisan de l’économie sociale, avait derrière lui une longue histoire marquée au coin de la coopération et de la finance socialement responsable. Léopold Beaulieu avait été l’un des fondateurs, en 1971, de la Caisse des travailleurs réunis de Québec, devenue avec le temps la Caisse d’économie solidaire Desjardins, qui affiche aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de 1,4 milliard de dollars.

En janvier 1996, Fondaction lançait sa première campagne de souscription. Il avait fallu faire vite. Une petite équipe avait été formée, au sein de laquelle se retrouvaient des salarié-es prêtés par la CSN, qui y était aussi allée d’une mise de fonds de 663 000 $ pour permettre à Fondaction de prendre son envol. Une somme de 8 millions de dollars avait été recueillie la première année. Vingt ans plus tard, en 2013-2014, 198,1 millions de dollars ont été souscrits, dont 122,9 millions de dollars par la retenue sur le salaire, la très grande majorité de ces retenues étant faites au profit de travailleuses et de travailleurs membres de syndicats affiliés à la CSN. Les femmes représentent 51,5 % des 127 755 souscripteurs, dont les revenus annuels se situent en deçà de 50 000 $. L’actif total de Fondaction s’établissait cette même année à 1,26 milliard de dollars. C’est sur une structure de bénévoles actifs dans les milieux de travail — les Représentants Fondaction, les RF — que s’appuie le fonds pour son développement.

L’originalité de Fondaction

Le fonds de la CSN détonne dans le monde de la finance et de l’investissement, comme en témoigne le slogan qui l’identifie : Donner du sens à l’argent. Transposées dans le monde de la finance, ce sont les valeurs défendues par la CSN que Fondaction met en avant. En faisant du développement durable son cheval de bataille, le fonds de la CSN a fait figure de pionnier. Fondaction, qui a jusqu’à maintenant publié cinq rapports de développement durable, soumet volontairement son fonctionnement et ses pratiques à une analyse indépendante.

La préoccupation du développement durable prend de plus en plus d’importance, les entreprises devant prendre en compte la sensibilité grandissante du public à cet égard. En 2014, 5774 entreprises à travers le monde avaient décidé d’appliquer les lignes directrices de la Global Reporting Institute (GRI) pour produire leur rapport. Parmi ces entreprises, 703 sont des institutions financières et 139 d’entre elles ont atteint le niveau A+. Au Canada, seulement deux institutions financières ont atteint ce niveau, dont Fondaction. Depuis, elle est devenue la première institution financière en Amérique du Nord à s’imposer les exigences les plus élevées de la GRI. Seulement neuf institutions dans le monde agissent de la sorte.

Au détour de ce vingtième anniversaire, Léopold Beaulieu entend poursuivre encore plus résolument la recherche de cohérence entre les investissements en entreprises, l’épargne en vue de la retraite et les placements effectués par le fonds. « Il y a de grands enjeux de société, des enjeux sociétaux qui sont tout à la fois économiques, sociaux et environnementaux. Fondaction doit se retrouver au cœur de ces enjeux et apporter sa contribution », soutient-il. C’est là qu’il compte amener Fondaction.