Violence austère

Les blessures physiques et psychologiques subies par les trois travailleuses de l’urgence du CSSS situé à Magog témoignent des problèmes de violence qui rongent le réseau de la santé et des services sociaux. Le manque de prévention en santé et sécurité du travail ainsi que la surcharge de travail sont quelques-uns des facteurs qui peuvent expliquer cette triste réalité. « Il n’y a qu’un seul agent de sécurité dans tout le CSSS. Une seule personne qui gère toutes les situations qui peuvent se produire dans l’établissement. Ça peut devenir problématique s’il arrive quelque chose à l’urgence et que celle-ci est sur un autre étage de l’établissement », explique Mélissa Gaouette, vice-présidente à la FSSS–CSN. Le syndicat a signifié ce problème à l’employeur il y a un an, en demandant une présence accrue de l’agent à l’urgence, mais sa demande est restée sans réponse. L’incident a aussi un lien avec la surcharge de travail que subissent les travailleuses et les travailleurs du réseau. « On parle d’une agression violente ! Le problème, c’est qu’au quotidien, les infirmières du triage se heurtent à l’impatience — voire parfois à l’agressivité — des patients due aux délais d’attente. De plus, elles doivent faire face à une clientèle aux prises avec des problèmes psychiatriques, parfois intoxiquée, souvent en attente d’un transfert en psychiatrie. Il y a surcharge de travail. Il y a trop de patients admis pour le nombre d’infirmières en place », ajoute Mme Gaouette.

Le cas du CSSS de Memphrémagog n’est pas isolé. Les agressions physiques violentes sont fréquentes dans le réseau de la santé et des services sociaux. Des chiffres dévoilés par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) révélaient que de 2010 à 2013, les lésions liées à la violence en milieu de travail ont connu une hausse de 21,3 % chez les travailleuses et les travailleurs de la santé. Ce sont les femmes qui sont davantage victimes de cette violence. En 2013, elles ont subi 68,5 % des lésions physiques attribuables à la violence en milieu de travail.

La pointe de l’iceberg

Les chiffres avancés par la CSST ne sont que la pointe de l’iceberg. Un nombre incalculable d’incidents où les usagers utilisent un ton agressif et intimidant ne sont pas répertoriés, par peur de représailles ou faute de temps pour remplir les rapports de plainte. Les agressions physiques comme les morsures ou les bousculades sont aussi souvent laissées sans suite. Une violence de tous les jours qui passe sous silence, mais qui fait mal. « Les victimes d’agression physique ou verbale hésitent à rapporter les incidents ou encore à porter plainte parce qu’elles ont l’impression que ça fait partie du travail. Leurs patients sont malades et c’est ce qui explique — et excuse — leur comportement. D’autres n’iront pas plus loin dans leurs démarches par peur de répercussions négatives sur leur emploi », relate Guy Laurion, lui aussi vice-président à la FSSS–CSN. Selon un sondage mené en 2013 par l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (ASSTSAS), les travailleuses et les travailleurs du réseau, incluant les cadres, sont confrontés à 14 épisodes de violence par an.

Lésions attribuables à la violence
en milieu de travail

Lésions psychiques
• 65,3 % sont attribuables à un choc nerveux
• 18 % sont attribuables à des troubles d’adaptation
• 12,7 % sont attribuables au stress
• 64 % des lésions psychiques touchent les femmes
Lésions physiques
• 76,6 % sont attribuables à des agressions physiques (coups, bousculades, agressions sexuelles, morsures, etc.)
• 19 % sont attribuables à des voies de fait et à des actes violents
• 68,5 % des lésions physiques touchent les femmes
De tous les milieux de travail, c’est celui de la santé qui est le plus touché par la violence en milieu de travail. En 2013, 37,7 % des lésions touchaient le personnel de la santé, suivi par celui du milieu de l’enseignement, avec 16,6 %.
Source : Statistiques sur les lésions attribuables à la violence en milieu de travail 2010-2013, CSST.

Violence austère

Toutes les raisons évoquées pour expliquer les actes de violence perpétrés découlent directement du sous-financement et des coupes incessantes imposés depuis des années au réseau. « Il n’y a pas d’argent pour embaucher un deuxième agent de sécurité, il n’y a pas d’argent pour avoir davantage de personnel sur le plancher. Il n’y a pas d’argent pour réduire le temps d’attente — ce qui engendre frustration et comportements violents chez les patients —, bref, on refuse sciemment d’investir pour mettre en place des solutions concrètes qui enrayeraient le problème », note Guy Laurion. Les politiques d’austérité du gouvernement libéral font en sorte que les travailleuses et les travailleurs sont davantage livrés à eux-mêmes pour faire face à cette violence et doivent composer avec un réseau de plus en plus sous pression. « Les syndicats ont un rôle majeur à jouer pour que cesse le sous-investissement du réseau et pour que les travailleuses et les travailleurs puissent faire leur travail dans des conditions sécuritaires. Il ne faut jamais hésiter à déclarer les cas de violence, à les dénoncer, à les documenter », explique Guy Laurion.

Quelques semaines après les événements malheureux, deux des trois femmes victimes de violence à l’hôpital de Magog sont toujours en arrêt de travail. La lutte du syndicat est loin d’être terminée. « On ne veut pas que les choses en restent là. On a exigé de l’employeur qu’une enquête détaillée soit menée afin de s’assurer que ce type de situation ne se reproduise pas. Notre demande d’avoir une présence accrue de l’agent de sécurité est plus que jamais pertinente.

Collectivement, nous nous élevons de plus en plus contre la violence. Celle perpétrée au travail est tout aussi inacceptable que celle qui se déroule derrière les portes closes des maisons. Prenons la parole et dénonçons la violence. C’est le premier geste à poser pour changer les choses », conclut Mélissa Gaouette.


L’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (ASSTSAS) organise, ce printemps, des colloques sur le thème de la violence au travail. Du 21 avril au 5 mai, Trois-Rivières, Rimouski, Lévis, Mirabel et Longueuil seront les hôtes de ces cinq rencontres. asstsas.qc.ca/evenements

Comment faire d’une pierre deux échecs

C’est la conclusion à laquelle en arrivent la CSN et trois autres centrales syndicales (CSD, FTQ, CSQ) dans un mémoire commun déposé le 27 janvier dernier à la Commission de l’économie et du travail.

Déposé le 10 novembre 2015 par le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) de l’époque, Sam Hamad, le PL70 prévoit le remplacement du Programme alternative jeunesse (intégration en emploi) par le Programme objectif emploi. Ce dernier se veut plus coercitif et punitif envers les nouveaux demandeurs d’aide sociale. Il prévoit une démarche d’accompagnement et d’intégration en emploi sous peine de sanction financière. Ainsi, le chèque d’un prestataire d’aide sociale pourrait être amputé si ce dernier refusait un emploi « convenable » situé loin de son domicile.

Les plus démunis durement touchés

Ce projet de loi ne tient nullement compte des obstacles liés à la pauvreté et à l’exclusion sociale. Ce n’est sûrement pas en forçant le déracinement des gens de leur communauté sous la menace de réduire le montant des prestations déjà insuffisantes qu’on va favoriser une intégration en emploi durable.

« On continue à nourrir les préjugés envers les personnes les plus démunies. C’est comme si ces gens profitaient du système parce qu’ils reçoivent de l’aide sociale et qu’ils sont chez eux. Pourtant, ce n’est pas le cas. Le gouvernement fait d’une situation humaine complexe, un calcul comptable. Dans la réalité, tout le monde veut travailler, c’est une question de dignité humaine, mais il y a plusieurs facteurs qui font en sorte qu’une personne ne peut pas travailler. On s’attaque aux plus démunis et ça, c’est inacceptable », s’indigne Véronique De Sève, vice-présidente de la CSN.

« Ce qu’on voit, c’est une méconnaissance totale du contexte économique au Québec. On est loin du plein emploi. On sait que, dans la conjoncture, le système serait incapable d’absorber toutes les personnes en recherche d’emploi. […] On voit que c’est un projet de loi qui est entièrement basé sur des préjugés. Nous, ce qu’on constate sur le terrain, ce sont des gens volontaires qui sont prêts à prendre des mesures de réinsertion pour s’en sortir, mais ces mesures doivent être bien adaptées aux besoins, aux capacités et aux aspirations des gens et elles doivent leur permettre de réellement se sortir de la pauvreté », ajoute de son côté Émilie Joly, organisatrice communautaire au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) et co-porte-parole de la Coalition objectif dignité.

Les organismes sociaux qui se portent à la défense des personnes assistées sociales, et qui ont déjà goûté aux différentes mesures d’austérité du gouvernement Couillard, comptent s’opposer bec et ongles à ce nouveau projet de loi. Déjà, des citoyens et des citoyennes de huit régions du Québec ont fait entendre leur voix le 10 février dernier afin de faire reculer le gouvernement sur ce projet de loi jugé indigne par l’ensemble des manifestants.

« Toutes les mesures punitives prévues pour les personnes assistées sociales reviennent à considérer ces gens comme des citoyens de seconde zone. Le ministre veut maintenant les obliger à se plier à ces mesures et pour nous, c’est la chose qui ne doit absolument pas arriver […] Avec la recherche de la Commission des droits de la personne, on a vu qu’environ la moitié de la population a une opinion négative des personnes assistées sociales et le gouvernement, à travers ses interventions médiatiques, a renforcé ces préjugés-là », explique Yann Tremblay-Marcotte, coordonnateur au Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ) et co-porte-parole de la Coalition objectif dignité.

De précieux collaborateurs écartés

Le projet de loi relègue par ailleurs les partenaires habituels du monde de l’emploi, dont la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT), à un rôle de consultation. La CSN réitère qu’une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi doit invariablement passer par la participation active de ces collaborateurs habituels.

Il existe pourtant déjà une grande collaboration entre le ministère de l’Éducation et les partenaires du marché du travail, représentés notamment au sein de la CPMT et des comités sectoriels de main-d’œuvre, ainsi qu’Emploi-Québec. Les processus d’élaboration, d’évaluation et de révision des programmes de formation professionnelle et technique en sont de bons exemples.

Déresponsabilisation des entreprises

Le projet de loi s’inscrit dans la foulée des annonces qui ont été faites en mars 2015 dans le discours sur le budget. On y trouve d’ailleurs une réduction du nombre d’entreprises ayant l’obligation d’investir dans la formation. Cette décision a pour effet, qu’aujourd’hui, à peine 8000 entreprises sur plus de 230 000 ont des obligations quant à la formation de leur personnel. Le projet de loi étend à la main-d’œuvre future l’application de la Loi sur la formation, mais se désengage de ses responsabilités envers les personnes en emploi.

« C’est à une véritable déresponsabilisation de l’entreprise en matière de formation de la main-d’œuvre que nous assistons. Il va sans dire que nous sommes inquiets du contenu du projet de loi 70. S’il est adopté dans sa forme actuelle, les intérêts des entreprises auront préséance sur les besoins des personnes démunies, ce qui est inadmissible et irresponsable selon nous », clame Jean Lortie, secrétaire général de la CSN.

Ce projet de loi comporte plusieurs zones d’ombre, car il manque plusieurs éléments d’information afin de bien l’évaluer, ce qui en soi ajoute aux inquiétudes. Le gouvernement précise qu’il procédera par adoption de règlements pour définir ces éléments flous.

« Il (le gouvernement) nous présente un projet de loi plein de trous et il nous dit “on va remplir ça avec des règlements par la suite”. On parle de coupes, mais on ne donne pas de montant. On définit un nouveau concept d’emploi convenable à accepter obligatoirement, mais on ne définit jamais le principe d’emploi convenable. On met en avant un plan d’intégration en emploi, mais on n’a aucune idée de la façon dont il sera développé. Ce que le gouvernement nous dit, c’est “faites-nous confiance”, alors que cette administration ne nous a jamais démontré qu’elle était digne de confiance », ajoute Mme Joly.

Dénonciation généralisée

Le Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM-CSN), tout comme les nombreuses organisations qui s’opposent au projet de loi 70, appréhende les difficultés qu’engendreront les mesures contenues dans celui-ci.

« Ce projet de loi touchera notamment des jeunes et des personnes issues de l’immigration récente. En sabrant les budgets de l’aide sociale, on prive de ressources des personnes en situation de grande précarité. Le PL70, c’est l’injustice austère des libéraux qui frappe encore plus fort les plus mal pris, se désole la présidente du CCMM-CSN, Dominique Daigneault. C’est à la pauvreté qu’il faut s’attaquer, pas aux pauvres ! »

Le CCMM-CSN s’inquiète également des nombreux pouvoirs que le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale s’arroge avec le projet de loi 70. « Nous sommes très préoccupés par la centralisation des pouvoirs qu’exercent les ministres du gouvernement libéral depuis leur élection. Après l’abolition de nombreux espaces de concertation, les libéraux poursuivent leur opération de destruction de l’État québécois qu’il a fallu des décennies à construire », conclut la syndicaliste.

Un modèle d’affaires à renouveler

Si l’on parle aujourd’hui d’une crise de l’information, ce n’est pas dû à l’avènement du numérique et des nouvelles technologies, mais plutôt à cause de l’effondrement du modèle d’affaires des médias.

Depuis leur apparition, les médias traditionnels, particulièrement la presse écrite, comptent essentiellement sur deux sources de revenus pour assurer leur existence, soit les abonnements et la publicité. La télévision bénéficie également de subventions qui proviennent de différents fonds tels que le Fonds des médias (fonds constitué par les redevances que versent les câblodistributeurs et les fournisseurs satellites), mais ceux-ci sont destinés en majeure partie à la production de contenu de divertissement.

Ainsi, le droit du public à l’information, la liberté d’expression et la liberté de presse, reconnus dans nos chartes, s’appuient sur la même prémisse de base qu’une compagnie de bicyclettes, soit la capacité des entreprises de dégager des profits et de se concurrencer entre elles afin de « dompter » le marché. La saine compétition entre entreprises de presse est donc garante de la qualité et de la diversité de l’information, ainsi que du juste prix de l’abonnement et des tarifs publicitaires. Si le modèle fonctionnait relativement bien dans les années où les revenus étaient au rendez-vous, aujourd’hui, nous en découvrons les failles.

Des fondations fragilisées

Dans notre réalité contemporaine, le phénomène de la gratuité des contenus prend de l’ampleur. Les annonceurs, eux, transfèrent leurs budgets de publicité vers les géants du web (Google, Facebook, YouTube, etc.), qui ne font que rediffuser le contenu produit et financé par d’autres, laissant nos médias locaux et nationaux affaiblis. Les fondations du quatrième pouvoir craquent de partout et c’est la démocratie qui risque l’effondrement.

Depuis 2008, année du lock-out au Journal de Montréal et du début de la récession, toutes les entreprises médiatiques ont entrepris des restructurations majeures qui ont entraîné des milliers de pertes d’emploi, contribué à la dégradation des conditions de travail, et accentué les phénomènes de la concentration et de la convergence. Ces transformations ainsi que les sacrifices des employé-es ne suffisent plus, et nos craintes de voir disparaître des piliers de l’information, en plus de tous les médias locaux et communautaires déjà fermés, sont bien fondées.

Un rendez-vous à ne pas manquer

La Fédération nationale des communications–CSN représente la très grande majorité des salarié-es syndiqués de nos médias. À ce titre, de concert avec la CSN, le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) ainsi que le Conseil de presse du Québec (CPQ), elle organise un grand colloque sur l’avenir de l’information et des médias le 3 mai prochain, date de la Journée internationale pour la liberté de la presse.

Le but de cet événement est de créer un forum où discuter des défis à court, moyen et long termes et de dégager des pistes de solutions rassembleuses. Y sont conviés l’ensemble des syndicats, les artisans, les patrons, les étudiants et les amoureux des médias. Nous souhaitons également que des représentants des différents paliers de gouvernement soient présents afin d’entendre les préoccupations et les besoins des gens du milieu.

L’information doit devenir ce qu’elle aurait toujours dû être : un bien public qui répond à une nécessité démocratique. On doit lui donner les moyens d’exercer son rôle de surveillance, d’éducation et de chien de garde de l’intérêt public.

Le colloque se tiendra le 3 mai 2016, à l’Hôtel Le Concorde, à Québec.

Survivre aux feux de l’austérité

Malgré un sursis octroyé à minuit moins une, leur accordant un an de plus dans les immeubles de la CSDM, l’avenir des CEP demeure incertain face aux pyromanes de la démocratie et à une austérité qui perdure.

En place depuis 45 ans, les CEP viennent à la défense des populations les plus démunies en leur offrant des ateliers d’éducation populaire ainsi qu’un point de convergence accueillant. L’InterCEP regroupe plus de 7500 membres et dessert les quartiers Hochelaga-Maisonneuve, Saint-Henri–Petite-Bourgogne, Pointe-Saint-Charles, Montréal-Nord, Plateau-Mont-Royal et Centre-Sud. Ils offrent, entre autres, des services d’alphabétisation, des activités d’intégration pour les immigrants, des formations d’intégration au marché du travail, des services de distribution alimentaire et des programmes de défense des droits des locataires.

Le CSCS : né des cendres du « Week-end rouge »

Le Comité social Centre-Sud (CSCS), un des six centres d’éducation populaire, est au service du quartier depuis plus de 40 ans. Fondé en 1971 par un « groupe de [femmes] désirant développer leur dynamisme, s’exprimer et prendre en charge la gestion d’un centre communautaire1 », c’est en octobre 1974 lors du « Week-end rouge » que le comité a pris un essor considérable.

À l’époque, les pompiers de la ville de Montréal avaient eu recours à un débrayage à la suite du congédiement de centaines de leurs camarades, de la fermeture de casernes et du refus du maire Jean Drapeau de négocier de bonne foi sur des enjeux de rattrapage salarial et de santé et sécurité au travail. Plusieurs incendies ont éclaté à travers la ville, mais avec 14 feux sur son territoire, c’est le Centre-Sud qui a écopé le pire du sinistre. Les femmes du CSCS se sont alors mobilisées pour venir en aide aux familles touchées en leur offrant un abri, des vêtements, de la literie, des repas chauds.

Un avenir sur des charbons ardents

Au printemps 2015, en échange du report de la cession de leurs baux, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur exige des CEP des plans d’affaires pour prouver qu’ils sont « rentables financièrement ». Ce geste sonne l’alarme pour Marie-Claude Giroux, présidente du Syndicat des travailleuses et des travailleurs du Comité social Centre-Sud (FEESP-CSN), qui s’inquiète du désengagement de l’État envers les CEP et de ce que cela sous-entend pour le bien-être des membres et des travailleuses et des travailleurs du comité social.

Aux prises avec un quatrième ministre de l’Éducation depuis le début de la crise, la présidente du syndicat condamne « la grande valse hésitation » qui caractérise leur dossier depuis quelque temps. Le dépôt des plans d’affaires ayant déjà été reporté trois fois, les CEP se retrouvent de nouveau dans le néant et à risque d’expulsion.

« Le comité social, c’est un milieu de vie pour des centaines de personnes en situation de pauvreté. Il y a des gens qui utilisent nos services quotidiennement, qui mangent ici, et qui ont peu de contact social à l’extérieur de nos murs. Fermer nos portes, c’est anéantir un filet social fondamental », prévient Marie-Claude Giroux.

Les CEP s’efforcent depuis des décennies de diminuer les effets qu’ont les politiques néolibérales sur des milliers de citoyennes et de citoyens. Les perdre dans la fumée de l’austérité mettrait ni plus ni moins en péril des populations déjà sinistrées par les ravages du gouvernement de Philippe Couillard.

Négocier l’avenir de sa région

Fondé en septembre 1972, le SEBLP–CSN a vu passer de nombreux contrats sur le plancher de son usine. Avant de changer complètement sa production au début des années 1970, les ouvriers de cette usine fabriquaient les motoneiges Moto-Ski depuis 1962. Après cette conversion, leur tout premier contrat leur permettra de concevoir les 423 premières voitures du métro de Montréal.

Dans une entrevue réalisée par Carl Thériault du journal Le Soleil, le 21 août 2009, Laurent Beaudoin, président du conseil d’administration de Bombardier, soulignait l’important apport des travailleurs et des travailleuses à la conversion de sa production : « Si notre usine constitue aujourd’hui un centre d’excellence en fabrication de matériel roulant en acier inoxydable, et un élément essentiel du réseau manufacturier nord-américain de Bombardier Transport, c’est grâce à nos employés, à leur ardeur au travail, à leur détermination à réussir et à leur extraordinaire capacité d’adaptation. C’était une diversification pour Bombardier qui a été significative dans une industrie qui était totalement différente de celle des produits récréatifs 1 ».

En 35 ans, plus de 5700 voitures de métro et de train auront été conçues à La Pocatière. Dans les bonnes années, environ 1000 travailleuses et travailleurs œuvraient à l’usine de Bombardier à La Pocatière, des salarié-es spécialisés dans divers métiers ayant développé une expertise mondialement reconnue. Au plus fort de sa production, cette usine entraînait des retombées économiques d’environ 250 millions de dollars et la participation d’une cinquantaine de fournisseurs québécois à sa production. Malheureusement, au fil des ans, les délocalisations d’emplois vers le Mexique et la sous-traitance de plusieurs phases de la production viennent réduire considérablement le niveau de ses activités.

Depuis février 2016, une première rame du métro Azur est en circulation à Montréal
Depuis février 2016, une première rame du métro Azur est en circulation à Montréal (photo : Michel Giroux).

Au mois de février 2016, ils étaient environ 150 à compléter la fabrication des nouvelles voitures Azur du métro de Montréal, un contrat qui doit se terminer en 2018, mais qui pourrait être prolongé si la seconde phase de fabrication leur est confiée.

Des contrats en attente

Mario Guignard, président du SEBLP-CSN (photo : Louise Leblanc).
Mario Guignard, président du SEBLP-CSN (photo : Louise Leblanc).

« Actuellement, le centre de décision de la division transport de Bombardier semble s’être déplacé de l’Allemagne vers les bureaux situés à Saint-Bruno-de-Montarville, un mouvement que nous ne pouvons que saluer », de préciser Mario Guignard, président du SEBLP–CSN. À la mi-février 2016, Bombardier transport a remporté un appel d’offres de la ville d’Edmonton et, au moment d’écrire ces lignes, deux usines de l’entreprise demeurent dans la course afin d’obtenir le contrat, soit celles de Thunder Bay et de La Pocatière.

« Nous savons qu’à Thunder Bay, l’usine fonctionne à plein régime et, qu’actuellement, nous avons toute la capacité pour accueillir cette nouvelle production. Et puisqu’il s’agit d’un train en acier inoxydable et que l’employeur nous a reconnus officiellement à titre de centre d’excellence de ce matériau, nous avons bon espoir de l’obtenir », de poursuivre monsieur Guignard. Cette reconnaissance a même été intégrée à leur convention collective par la signature d’une lettre d’entente entre les parties.

Résumons le projet d’Edmonton en quel­ques chiffres : 391 millions de dollars pour 26 voitures. Chaque voiture est composée de sept modules en acier inoxydable. Ce train léger sur rail, qui pourrait être entièrement fabriqué à La Pocatière, permettrait le retour au travail d’environ 150 travailleurs. En plus des 26 mois qui seraient nécessaires à la fabrication, un contrat d’entretien de 30 ans est assorti à l’entente. Les travailleurs attendaient une décision de la direction de Bombardier transport à la fin du mois de mars 2016.

Un second contrat en attente proviendrait de l’Agence métropolitaine de transport (AMT). Le président du syndicat explique que « le projet manque de précisions pour le moment. Mais selon ce que nous en savons, il s’agirait d’un projet de fabrication de 24 voitures et de 60 autres voitures en option, de wagons à niveaux multiples. Or, nous ne savons pas encore si les wagons seront construits en aluminium ou en acier inoxydable. Il faut se souvenir que les 160 premières voitures de l’AMT ont été entièrement produites à notre usine, en acier inoxydable, à partir de 2009 ».

Finalement, le troisième contrat envisagé, qui n’a pas encore été attribué, proviendrait de la ville de Philadelphie. Il s’agirait d’un contrat de 50 voitures et la faiblesse du dollar canadien favorise clairement l’octroi à une firme canadienne.

« Pour les Pocatois et les Pocatoises, ainsi que pour toutes les communautés voisines, l’octroi de nouveaux contrats à notre usine est primordial. Même si l’économie de notre région est diversifiée, les salarié-es de Bombardier touchent de bons salaires, ce qui contribue à la vitalité économique de notre région. En ce sens, nous avons multiplié les rencontres avec les élu-es et les décideurs qui soutiennent l’excellence du travail que nous réalisons chaque jour. Et nous savons que nous avons l’appui indéfectible de la Fédération de l’industrie manufacturière–CSN et de la CSN pour y arriver », de conclure Mario Guignard.

Un autre projet de loi à craindre

À peine arrivé dans ses nouvelles fonctions, le ministre des Affaires municipales, Martin Coiteux, acquiesçait publiquement aux demandes de l’Union des municipalités liées au pacte fiscal, sans même consulter les travailleuses et les travailleurs municipaux. « Cela démontre que les dés sont pipés d’avance et que le processus de consultation sera bidon », lâche sans détour le président de la Fédération des employées et employés du secteur public (FEESP-CSN), Denis Marcoux.

En septembre dernier, le gouvernement du Québec concluait une entente avec les municipalités : 300 millions de dollars de financement en moins annuellement en échange de pouvoirs accrus. Mais que seront ces nouveaux pouvoirs ? Droit de lock-out ? Décret ? Nul ne le sait encore. Le projet de loi pourrait être déposé ce printemps et les dispositions viseraient à revoir le processus de négociation collective.

« Chose certaine, c’est une attaque vicieuse envers notre droit fondamental de négocier nos conditions de travail. Ce projet de loi serait potentiellement anticonstitutionnel, tout comme la loi 15 visant la restructuration des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur muni­cipal. D’ailleurs, nous contestons présentement la loi 15 devant les tribunaux. De la part de ce gouvernement, il s’agirait d’un deuxième affront majeur en peu de temps », poursuit Denis Marcoux.

La loi 15 a été adoptée il y a plus d’un an et elle empoisonne les relations de travail au quotidien. Moins de 5 % des dossiers en litige ont été réglés.

En tournée au Québec

Depuis décembre dernier, avec l’aide des conseils centraux de la CSN, le comité exécutif du secteur municipal et celui du secteur transport de la FEESP-CSN, ainsi que des élus de la fédération, sillonnent les régions du Québec. Ayant pour thème « Le droit fondamental de négocier », la tournée à laquelle participait Denis Savard, président du secteur municipal à la FEESP-CSN, avait pour but de sensibiliser les quelque 11 000 membres du secteur et la population à cet enjeu de taille. Sainte-Anne-des-Monts, Rimouski, Saguenay, Maniwaki, Mont-Laurier, Drummondville, Valleyfield, Portneuf, Granby, Chapais, Port-Cartier… aucune région n’a été négligée.

« Les gens étaient très réceptifs et évidemment très préoccupés. Ils ne comprennent pas pourquoi le gouvernement s’acharne autant sur leur sort. Dans la grande majorité des municipalités, les conventions collectives sont signées dans un climat harmonieux. Mais avec moins d’argent, que feront les municipalités ? Oui, les conditions de travail des employé-es sont menacées, mais les services aux citoyens aussi ! »

S’il est vrai qu’il existe parfois des relations moins harmonieuses, il n’en demeure pas moins que les négociations doivent se faire entre les parties concernées. Actuellement, il y a des démarches de renouvellement de contrat de travail et le projet de loi qui est dans l’air change complètement la dynamique et le rapport de force.

« Le ministre des Affaires municipales dit vouloir renforcer la démocratie municipale et s’assurer que les droits et les obligations de chacun soient respectés, mais du même coup, il confirme que les villes pourront désormais décréter les conditions de travail des employé-es en cas d’échec de la négociation. Où est donc cette démocratie et ce respect, s’il faut l’intervention d’un tiers pour remettre en cause ce qui a déjà été convenu entre deux parties, soit les élu-es municipaux et les syndicats ? De plus, les élus municipaux qui appuient les demandes de l’UMQ minent eux-mêmes leur propre crédibilité en voulant renier ce qui a été négocié en toute bonne foi et dans l’harmonie », affirme Yvon Godin, vice-président à la FEESP-CSN, qui a aussi parcouru les quatre coins du Québec.

Ça passe le test ?

Deux experts consultés par Perspectives doutent de la constitutionnalité de ce pacte fiscal, à commencer par le professeur en relations industrielles de l’Université de Montréal, Patrice Jalette, notamment spécialisé dans la restructuration des services publics municipaux. « Ça ne tient pas debout ! »

Patrice Jalette estime que ce pacte fiscal part d’une fausse prémisse de l’UMQ, celle d’un déséquilibre dans le rapport de force entre les municipalités et les employé-es. « Oui, les employés ont un droit de grève, mais c’est un droit de grève limité. Une journée de pluie verglaçante, les cols bleus vont être obligés de déblayer les artères et de répandre des abrasifs, même s’ils sont en grève. Est-ce une raison pour accorder un droit de lock-out aux municipalités ? Quel message envoie-t-on à la population si l’employeur peut décréter un lock-out alors que la ville offre des services essentiels ? »

Le professeur en relations industrielles de l’Université Laval, Alain Barré, qui avoue ne « pas être d’un naturel à gauche », croit, lui, que le gouvernement « fonce droit dans un mur ». « Je prédis que le gouvernement va être débouté devant toutes les instances judiciaires. C’est complètement incompatible avec le jugement de la Cour suprême du Canada Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, rendu au début de l’année. Ce jugement garantit le droit de grève, même pour celles et ceux qui offrent des services essentiels. Donc, permettre aux municipalités de décréter des conditions de travail, cela équivaut à éventuellement retirer le droit de grève et ça n’existe pas ailleurs au Canada. »

Sans la prôner, la seule avenue que voit Patrice Jalette pour le gouvernement est de revoir les critères qui doivent être respectés dans les cas d’arbitrage. « Lorsqu’il y a un arbitre, il doit respecter certains critères établis par le gouvernement. Par exemple, faire des comparaisons avec d’autres villes semblables uniquement. »

Même si Patrice Jalette est convaincu que ce projet de loi ne passera pas le test des tribunaux, il croit que le gouvernement cherche à gagner du temps, comme il le fait actuellement avec sa loi 15 sur les régimes de retraite. « Supposons que le gouvernement soit débouté dans sept ou huit ans devant la Cour suprême, tout va avoir été restructuré d’ici là et ça va être difficile de revenir en arrière. C’est comme essayer de “remettre la pâte à dent dans le tube”. Pour les municipalités, cela peut aussi être un cadeau de Grec. Que feront-elles si elles doivent rembourser les régimes de retraite dans quelques années ? »

Les deux experts rappellent que seul le gouvernement peut actuellement décréter des conditions de travail, ce qui a déjà été vu dans le passé. Selon le Code du travail du Québec :

111.0.17 Sur recommandation du ministre, le gouvernement peut, par décret, s’il est d’avis que dans un service public une grève pourra avoir pour effet de mettre en danger la santé ou la sécurité publique, ordonner à un employeur et à une association accréditée de ce service public de maintenir des services essentiels en cas de grève.

111.0.26 Le lock-out est interdit dans un service public visé dans un décret pris en vertu de l’article 111.0.17.

La Fédération des employées et employés du secteur public s’affaire à une deuxième phase d’action et de mobilisation, car elle sait que les enjeux sont cruciaux. En plus de solliciter des rencontres avec des élu-es, elle compte aussi obtenir l’appui des différents conseils centraux de la CSN, puisque ce projet de loi pourrait entraîner des répercussions dans d’autres domaines de travail. Si le gouvernement persiste dans cette voie, la FEESP-CSN compte bien mobiliser ses milliers de travailleuses et de travailleurs dans toutes les régions du Québec.

Un succès qui repose sur les travailleurs

Le 16 septembre dernier, lors d’une rencontre à laquelle tous les membres du personnel de La Presse étaient conviés, le président et éditeur du quotidien, Guy Crevier, annonçait la fin de l’édition papier en semaine à compter du 1er janvier 2016, l’édition imprimée ne demeurant que le samedi.

La semaine suivante, la direction con­crétise ce fait en abolissant 158 postes touchant autant d’employé-es. L’Intersyndicale de La Presse dénonce alors ces coupes qui sont supérieures aux affecta­tions à l’édition papier du journal, avant même que n’arrive sa nouvelle plate­forme numérique. Le regroupement des cinq unités syndicales présentes à La Presse s’inquiète notamment de la capacité de leurs membres à produire toujours plus avec moins.

Pour la haute direction de Gesca, il s’agissait d’une autre étape de l’importante réorganisation entreprise en 2009 au cours de laquelle des actifs majeurs ont été transférés à des filiales de Power Corporation du Canada alors que d’autres ont été cédés à des intérêts extérieurs. Gesca se félicitera plus d’une fois du succès de sa nouvelle plateforme qualifiée désormais de « viable » en dévoilant plusieurs données confirmant sa popularité sans toutefois préciser qui en ont été les maîtres d’œuvre : les travailleuses et les travailleurs syndiqués de La Presse.

Une contribution majeure

Dès 2010, les membres des syndicats de La Presse agiront en partenaires importants dans le virage numérique entrepris. En cinq ans, de nombreuses concessions seront consenties par tous les employé-es afin de permettre à La Presse d’investir 40 millions de dollars dans le projet de plateforme numérique de La Presse+. L’expertise des syndiqué-es jouera un rôle primordial dans le développement intégral de celle-ci.

Pour que la direction puisse réaliser son projet, plusieurs concessions majeures seront également accordées à l’employeur dès 2009. En tout, quelque 10 millions de dollars seront directement prélevés à même les conditions de travail : gel salarial, augmentation des heures travaillées, réduction des heures supplémentaires, augmentation de la semaine de travail de quatre à cinq jours, concessions sur le régime de retraite ainsi que sur les assurances. Bref, les salarié-es auront été largement mis à contribution pour la réalisation du projet.

Même si ce fait ne sera pas largement diffusé sur la place publique, aux dires d’André Desmarais, président délégué du conseil d’administration, si La Presse a survécu, c’est grâce au rôle qu’ont joué les syndicats. Pour leur part, les élu-es syndicaux préféreront en attribuer le mérite à celles et ceux qui paient encore le prix de cette importante restructuration, les membres.

La Presse+ ou La Presse– ?

Depuis le lancement de La Presse+ le 18 avril 2013, la majorité des travailleuses et des travailleurs de La Presse naviguaient déjà entre les deux versions du quotidien. En plus de produire 40 % de nouveaux contenus exclusifs à sa plateforme numérique, ce qui leur imposait une charge de travail supplémentaire, les salarié-es répondaient aux besoins de l’édition papier. En outre, La Presse+ est publiée une journée de plus chaque semaine, soit le dimanche, donc 364 jours par année (le 1er janvier étant un jour férié chômé) et la production des contenus informationnels et publicitaires demande plus de travail que l’édition papier.

Or, l’abolition des 158 postes ne tient pas compte de cette surcharge imposée ni du fait que la direction ait choisi de conserver son édition papier du samedi en 2016. Concrètement, la direction se sert du prétexte du virage technologique pour réduire considérablement le nombre de ses salarié-es et leur demander encore une fois de faire plus avec moins.

Qualifiant ces coupes d’irréalistes pour continuer de répondre à une information de qualité et diversifiée, l’Intersyndicale de La Presse doit désormais composer avec un changement d’attitude de la part de la direction. En effet, avant l’annonce des coupes, celle-ci prenait le temps de consulter les élu-es syndicaux avant d’appliquer de nouvelles décisions dans leur milieu de travail, ce qui n’est plus le cas.

La Presse doit ouvrir ses livres

Alors que les conventions collectives de La Presse sont échues depuis le 31 décembre 2015, les syndicats croient fermement qu’un dialogue menant à un nouveau contrat de travail doit d’abord reposer sur la transparence financière de l’entreprise. Les travailleuses et les travailleurs sont pleinement responsables du succès de La Presse+ et il serait temps que la haute direction le reconnaisse dans des gestes concrets.

Voilà pourquoi, au fil des ans, les syndicats ont demandé à plusieurs reprises à La Presse d’ouvrir ses livres comptables en toute transparence. Malheureusement, malgré tous les efforts déployés, les finances de La Presse sont toujours aussi opaques. La direction a systématiquement refusé toute collaboration à ses principaux partenaires dans cette aventure : les employé-es de La Presse.


L’Intersyndicale de La Presse représente quelque 600 employé-es syndiqués. Ce regroupement est formé de quatre syndicats affiliés à la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et d’un syndicat affilié à la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) :

    • Syndicat des travailleurs de l’information de La Presse (CSN)
    • Syndicats des employés de bureau de journaux (CSN)
    • Syndicat de l’industrie du journal du Québec (distribution – CSN)
    • Syndicat des travailleurs et travailleuses du centre de l’informatique de La Presse (CSN)
    • Syndicat des employés professionnels et de bureau (publicité–FTQ)

 

Du carburant dans le réservoir

« Si les techniciennes en administration n’étaient pas là, c’est tout le système de la santé et des services sociaux qui serait paralysé », lance sans complexe Barbara Poirier, technicienne en administration au secteur de l’approvisionnement au CISSS de Chaudière-Appalaches.

«J’aime mon travail. C’est varié, même si ça consiste principalement en un objectif : trouver le meilleur produit, au meilleur coût. Concrètement, j’achète le matériel dont les personnes soignantes ont besoin pour faire leur travail », explique- t-elle. Bien qu’elle ne soit pas en contact direct avec le patient, Barbara voit aisément le lien entre son travail, les patients et les usagers. « C’est simple, si je ne suis pas là, il n’y a pas de seringues. S’il n’y a pas de seringues, il n’y a pas de prises de sang ni d’administration de médicament. Bref, on ne soigne pas. » Elle compare le réseau de la santé et des services sociaux à une grosse voiture de course : le personnel de bureau, les techniciens et les professionnels de l’administration représentent les stands de ravitaillement. « Sans carburant, rien n’avance », note Barbara.

Barbara Poirier est technicienne en administration depuis une décennie. Au fil des années, sa fierté d’appartenir à cette catégorie d’emploi s’est confirmée. Ce désir de partager cette fierté l’a menée, il y a cinq ans, à devenir présidente de son syndicat. « Je veux que mes membres se rendent compte à quel point elles sont essentielles. La proximité avec les patrons les plaçant souvent dans une position inconfortable, il faut un syndicat fort, bien structuré et qui fait partie de la solution. Quand j’ai commencé au syndicat, les gens étaient gênés de faire appel à nous. Aujourd’hui, c’est tout le contraire. »

Prendre les choses en main

C’est aussi cette fierté qui a mené Barbara Poirier à mettre sur pied un projet audacieux qui allait permettre à « ses filles », comme elle les appelle, d’améliorer leur sort.

« Pour passer de la classe 3 à la classe 2 ou de la classe 2 à la classe 1, il faut passer des tests. Une partie de ces examens sert à évaluer la maîtrise du français et c’est cela qui empêchait des filles de bien réussir leurs tests. » Après avoir contesté ces résultats à plusieurs reprises, en expliquant lors des CRT que cette lacune en français n’empêchait pas les employé-es de bien faire leur travail, Barbara Poirier a eu l’idée de mettre sur pied une formation. « Il fallait trouver une solution, car les plus anciennes n’étaient pas capables d’améliorer leurs conditions de travail. Seules les plus jeunes réussissaient à obtenir de meilleurs classements. L’ancienneté ne comptait plus. J’ai dit à l’employeur “je vais les former et toi tu vas faire repasser les examens à celles qui le souhaitent”. Il a dit oui. »

C’est ainsi qu’à l’automne 2014, à raison de deux midis par semaine, de soirs et de fins de semaine, plus de 80 personnes ont suivi la formation pendant neuf semaines. Toutes ces soirées consacrées à la mise sur pied de la formation, à la correction des nombreux exercices par Barbara Poirier et ses collègues, mais surtout tous les efforts déployés par les employé-es qui ont suivi la formation, ont porté leurs fruits. « Sur les 80 personnes qui ont suivi la formation, 95 % d’entre elles ont réussi », explique-t-elle en ajoutant qu’une nouvelle formation est en préparation. « Il y a encore du travail à faire ! »

Pour ce projet, Barbara Poirier s’est vue décerner l’une des prestigieuses bourses Fernand-Jolicoeur, soulignant ses fructueux efforts pour améliorer le sort de « ses filles ».

Les bourses Fernand-Jolicoeur de la CSN promeuvent et encouragent les efforts investis par les syndicats et les membres dans diverses activités de formation continue.

Bravo à Barbara Poirier et son équipe !

Un métier au centre de tout

Géraldine Dumé est infirmière auxiliaire depuis 10 ans à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. D’abord membre de l’équipe volante, où elle a exercé dans tous les départements de l’hôpital, puis à l’urgence. Depuis quatre ans, elle travaille exclusivement en chirurgie-orthopédie.

Le métier d’infirmière et d’infirmier auxiliaire est d’abord et avant tout un métier technique, qui se pratique inévitablement en équipe. « On travaille en étroite collaboration avec les infirmières et les infirmiers. Puisque nous sommes beaucoup plus souvent en contact direct avec les patients, nous sommes celles qui doivent être à l’affût du moindre changement. Avec les préposé-es aux bénéficiaires, nous sommes les mieux placées pour remarquer des détails importants », explique Géraldine. « Nous faisons aussi beaucoup d’opérations techniques. Que ce soit les pansements, les premières levées après une opération ou la manipulation des machines de réadaptation, tout ça est de notre ressort », précise-t-elle. Les infirmières auxiliaires administrent aussi tous les types de médicaments, sauf ceux qui sont donnés par voie intraveineuse. « On installe le matériel pour les intraveineuses, on fait les injections sous-cutanées, on effectue les prises de sang, on prend la pression ».

Le rôle des infirmières auxiliaires dans le réseau

Toujours actives, les infirmières auxiliaires sont au cœur de l’action. Entre les patients et les infirmières, elles jouent un rôle pivot majeur. Sans elles, tout le travail tournerait au ralenti. Pourtant, il y a quelques années, la direction de l’Hôpital du Sacré-Cœur a jugé qu’elles ralentissaient les soins. « Il y a environ cinq ans, la direction a tassé les “inf-aux” de l’urgence. On disait que parce que nous ne pouvions pas prendre d’ordre verbal des médecins et qu’on ne pouvait pas annoter le dossier d’un patient, il fallait nous remplacer par des infirmières qui, elles, pouvaient effectuer ces tâches. Ce qui fait qu’aujourd’hui nous ne sommes plus présentes sur le plancher de l’urgence. Tout le travail est maintenant effectué par des infirmières, ce qui a occasionné toute une réorganisation du travail. C’est bien triste que la reconnaissance de notre profession doive demeurer une lutte de tous les instants », déplore Géraldine.

Relation avec le patient

Quand on est infirmière auxiliaire en chirurgie-orthopédie, le temps passé avec le patient est très court, maximum trois ou quatre jours. « On a peu de temps pour tisser des liens profonds. Ça dépend toujours du tempérament des personnes. Certaines sont attachantes et, rapidement, on développe de l’affection pour elles. D’autres fois, ça reste de l’ordre professionnel uniquement. Mais peu importe si la personne est attachante ou pas, j’aime toujours mes patients. J’adore surtout communiquer, échanger avec eux. J’aime voir des résultats encourageants, j’aime les voir prendre du mieux », explique l’infirmière auxiliaire.

Expertise acquise

Avec 10 ans d’expérience, Géraldine Dumé peut affirmer aujourd’hui qu’elle a confiance en elle. C’est d’ailleurs le premier conseil qu’elle donne aux nouvelles et aux nouveaux. « Je leur dis souvent, ayez confiance en vous. N’ayez pas peur de poser vos questions, n’ayez pas peur d’avoir l’air ridicule ». La mise à jour des compétences est aussi primordiale selon Géraldine. « Il faut suivre les formations disponibles, même si elles ne sont pas obligatoires. Aujourd’hui, si j’ai confiance en moi, c’est aussi beaucoup parce que j’ai fait partie de l’équipe volante. Ça m’a permis de toucher à tous les départements de l’hôpital et d’acquérir une expertise que je n’aurais pas eue autrement. Je suggère aux nouvelles “inf-aux” de travailler sur l’équipe volante. Et savoir qu’on est capable de toucher à tout, ça, c’est bon pour la confiance en soi ! »

La machine humaine a ses limites

L’intensification du travail et la précarité de l’emploi s’accentuent dans nos milieux de travail, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, parfois au point de mettre en danger la santé et la sécurité des employé-es.

Le colloque Bilan et perspectives, tenu en novembre dernier sur le thème « La machine humaine a ses limites », a permis à quelque 350 militantes et militants de la CSN de mesurer les conséquences néfastes de l’accélération du travail et de partager leurs bons coups pour protéger leurs collègues de cette course à la productivité. Ainsi, une pléiade de conférenciers a guidé les discussions et aidé à dégager des pistes de solution.

Plus que jamais, les syndicats doivent agir

« Il faut s’impliquer, il faut mettre de la pression sur les employeurs, il faut créer des comités et négocier des clauses de convention collective », déclare Frédéric Gervais. Le président du Syndicat des travailleurs des Épiciers Unis Métro-Richelieu (FC-CSN) parle par expérience. Un système d’organisation du travail basé sur une étude de temps et mouvements a été imposé à l’entrepôt flambant neuf de Laval. Le syndicat a dû mettre son pied à terre pour faire valoir l’intérêt des membres auprès du géant de l’alimentation, afin d’atténuer les effets de la nouvelle technologie instaurée pour accroître la productivité.

Nicole Vézina, professeure au Département des sciences de l’activité physique de l’UQAM, confirme l’importance d’agir pour les syndicats. « Les représentants syndicaux sont les mieux placés pour repérer les cas d’intensification du travail, les décrire, les mettre en évidence et les apporter aux tables des comités paritaires. » De son côté, le Syndicat national des travailleurs des pâtes et papiers d’Alma (FIM-CSN) connaissait une relation harmonieuse avec l’employeur en matière de santé et sécurité du travail, avant que Produits forestiers Résolu ne mette un frein à la collaboration syndicale patronale en 2010. « Avant, les gens étaient contents de travailler dans l’usine. Aujourd’hui, ils attendent leur retraite », observe le président du syndicat, Jean-Pierre Lebel, déçu de la tournure des événements dans son milieu de travail. « Mais je suis venu dire que, même si on a tout perdu à cet égard, ça vaut la peine d’établir un partenariat. »

Conséquences sur la santé et la sécurité du travail

L’inertie devant des situations excessives d’intensification du travail peut s’avérer dévastatrice. Par exemple, l’effet des horaires atypiques et allongés vient s’ajouter aux difficultés de la conciliation famille-travail dans certains milieux. « On parle de troubles du sommeil et de l’alimentation, d’effets sur le cancer du sein et sur le diabète », affirme Mélanie Lefrançois, doctorante au programme interdisciplinaire en santé et société de l’UQAM. L’inertie devant des situations excessives d’intensification du travail peut s’avérer dévastatrice. Par exemple, l’effet des horaires atypiques et allongés vient s’ajouter aux difficultés de la conciliation famille-travail dans certains milieux. « On parle de troubles du sommeil et de l’alimentation, d’effets sur le cancer du sein et sur le diabète », affirme Mélanie Lefrançois, doctorante au programme interdisciplinaire en santé et société de l’UQAM.

Les incitations pour augmenter la cadence proviennent de partout. Le gouvernement impose l’austérité à ses employé-es, obligés de faire toujours plus avec moins. Dans le secteur privé, la mondialisation et la financiarisation de l’économie génèrent de fortes pressions sur les entreprises pour réduire les coûts et accroître le rendement. Ce sont des économies à très court terme qui engendrent des coûts humains importants à plus long terme.

Déjà, chaque année au Québec, il y a des dizaines de milliers de personnes accidentées et malades en raison du travail. Plus de 130 personnes en meurent. L’intensification du travail pourrait augmenter ce bilan. « On perd notre vie à la gagner. Ça n’a pas de bon sens, pas plus que de se rendre malade à travailler. Nous avons le devoir d’agir », conclut Jean Lacharité, vice-président de la CSN.

Une tarification illégitime

En septembre 2015, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, avait déposé une série d’amendements au projet de loi 20 adopté en novembre dernier. Ces modifications visent à légaliser la tarification de certains services de santé, mieux connue sous le nom de frais accessoires.

Bien que cette pratique — qui contrevient à la Loi canadienne sur la santé visant à garantir la gratuité des services et des soins — ait cours depuis de nombreuses années, le gouvernement libéral vient de la légaliser officiellement. Il ouvre ainsi la voie à une privatisation de plus en plus assumée du système de santé et des services sociaux.

Inquiet de l’expansion de ces frais, le comité de lutte en santé de la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles a entrepris de documenter le sujet il y a quel­ques années. En février 2015, la cli­ni­que lance un registre visant à recueillir les témoignages des patients soumis à cette tarification. En novembre, elle sonne l’alarme en dévoilant un rapport qui dénonce une pratique qui constitue « un obstacle à l’accessibilité aux soins et aux services de santé  ».

Même si ses données sont limitées, le registre a tout de même permis de traiter 527 déclarations. Les soins ou services facturés concernent majoritairement les frais administratifs (34 %) et les médicaments ou agents anesthésiques (39 %). En moyenne, les frais facturés par les médecins généralistes s’élèvent à 63 $ et à 91 $ par les médecins spécialistes. Au total, 92 % des frais sont perçus dans des cliniques dites « privées » qui, pourtant, offrent des actes médicaux couverts par la RAMQ.

La peur du médecin…

Le registre permet de dresser un autre constat inquiétant, la peur du médecin ou la peur de le perdre. Ainsi, le tiers des personnes interrogées exige l’anonymat complet et plus de 80 % d’entre elles refusent que leur identité soit dévoilée. Pour les auteurs du rapport, « les peurs sous-jacentes à la déclaration de leur identité ne sont pas étrangères à la relation de pouvoir qui existe entre un médecin et son patient ».

Pour la clinique, « le développement de la pratique de la facturation [des soins médicaux] au sein de notre régime de santé public entraîne une barrière à l’accès aux soins pour la population ». Elle rappelle que les actes médicaux posés hors établissement sont majorés afin de permettre aux médecins de couvrir leurs frais administratifs. Cette surfacturation fait en sorte que cette pratique devient de plus en plus lucrative, créant ainsi une nouvelle pression sur le reste du réseau. Puisqu’il est plus payant de pratiquer en clinique privée, les médecins désertent le réseau public et les listes d’attente s’allongent.

Des recommandations partagées

La CSN s’est jointe à la Clinique communautaire de Pointe-Saint-Charles dans une large coalition réunissant des syndicats, le Regroupement de médecins pour un régime public, des avocats et d’autres groupes sociaux avec l’objectif de contrer la volonté du ministre Barrette de normaliser et légaliser les frais accessoires. Pour atteindre cet objectif, la clinique dresse une liste de recommandations dont l’abolition des frais facturés aux patients et le paiement par le ministère de la Santé et des Services sociaux des 50 millions de dollars qu’ils représentent. La clinique demande aussi au gouvernement fédéral d’intervenir directement afin de faire respecter la Loi canadienne sur la santé.

Pour Jean Lacharité, vice-président de la CSN, « il s’agit d’une initiative citoyenne remarquable qui permet de prendre toute l’ampleur de ce phénomène et des conséquences néfastes sur l’accessibilité aux soins. J’ai été personnellement frappé par le climat de peur qui peut régner dans la relation patient-médecin, alors que cela devrait être tout le contraire ».

Une histoire d’attentes et d’espoirs

Malgré leurs attaques soutenues, les conservateurs de Stephen Harper n’ont pas réussi à démanteler la Société Radio-Canada, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. Pour les artisans du diffuseur public, le règne Harper est synonyme de cauchemar. Les compressions répétées ont conduit à des mises à pied massives, à la disparition d’émissions phares, à la réduction des services et à des pertes importantes d’auditoire.

L’arrivée du nouveau gouvernement Trudeau laisse présager des « voies ensoleillées ». Les engagements des libéraux au cours de la dernière campagne fédérale redonnent de l’espoir, mais la partie n’est pas encore gagnée. Pour assurer son avenir et remplir sa mission, Radio-Canada a besoin d’un meilleur financement et d’une nouvelle gouvernance.

Depuis le 19 octobre et la mise au rancart des conservateurs, les auditeurs et artisans de Radio-Canada respirent un peu mieux. L’élection des libéraux a insufflé un certain vent de fraîcheur. Le pire semble avoir été évité. « Ça ne pourra pas être pire que ce qu’on a connu. Je pense qu’on vient de tourner une page désolante de l’histoire de cette grande institution qu’est Radio-Canada », affirme Alain Saulnier, ex-responsable de l’information de Radio-Canada. Auteur du livre Ici était Radio-Canada, monsieur Saulnier enseigne le journalisme à l’Université de Montréal. « Ce qui s’est produit au cours des dernières années, c’est une tentative de démembrer et d’étouffer Radio-Canada et je pense que s’il en avait eu la possibilité, le gouvernement Harper aurait même pu fermer complètement cette boîte-là. Il ne l’a pas fait, mais de façon très sournoise, il a cherché à étouffer cette institution. »

Jacques Létourneau, président de la CSN, est du même avis : « Le départ des conservateurs est probablement la meilleure des nouvelles. Ils avaient décidé d’en découdre et d’en finir avec Radio-Canada. Leur objectif était d’affaiblir le diffuseur public et de le faire disparaître, parce qu’ils n’étaient pas capables de le contrôler idéologiquement. Même si on enregistrait des surplus budgétaires à Ottawa, on frappait sur Radio-Canada parce qu’on voulait fermer le diffuseur public. »

Des années difficiles

Les années du gouvernement Harper ont laissé de profondes cicatrices à Radio-Canada. L’agonie des services français s’est traduite par la perte de 657 emplois en 2014, de plus de 600 en 2012 et de près de 800 en 2009, selon les données compilées par le Syndicat des communications de Radio-Canada (SCRC-CSN). Les crédits parlementaires alloués à Radio-Canada/CBC n’atteignent aujourd’hui que 60 % de la valeur de 1990.

Sans oublier le plan de redressement Un espace pour tous lancé en juin 2014. D’ici 2020, des compressions supplémentaires de 100 millions de dollars provoqueront la perte de 1500 emplois. Isabelle Montpetit, présidente sortante du SCRC-CSN, qui regroupe 3200 membres au Québec et à Moncton, constate que « Radio-Canada a décidé d’abandonner une grande partie de la production à l’interne, tout ce qui concerne la télévision générale, les téléséries, les émissions de variétés, l’enregistrement des concerts classiques. On vend aussi les équipements et les infrastructures, incluant les studios. On abandonne les citoyens en région en réduisant de moitié la durée des bulletins télévisés de 18 h. »

Renverser la vapeur

L’arrivée du gouvernement Trudeau pourrait cependant changer la donne, puisque le Parti libéral a promis de soutenir le diffuseur public, en prenant des engagements fermes avant et pendant la campagne électorale (voir encadré « Les engagements des libéraux »). Pierre Maisonneuve, porte-parole du mouvement « Tous amis de Radio-Canada », milite depuis plusieurs mois pour la survie de Radio-Canada. « Le Parti libéral du Canada a pris des engagements précis à l’endroit de Radio-Canada. Les libéraux ont pris fait et cause en faveur de Radio-Canada, en particulier Stéphane Dion. On a vu l’actuel ministre des Affaires étrangères dans des manifestations citoyennes en faveur de Radio-Canada. Donc, il y a des signes encourageants. » Il souligne que la nouvelle ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, a appuyé publiquement la campagne menée par « Tous amis de Radio-Canada » et a participé à la marche de solidarité qui s’est rendue à Ottawa à l’automne 2015. M. Maisonneuve ajoute que « le nouveau premier ministre souhaite aussi un diffuseur public fort » et que lors de leur rencontre avec Justin Trudeau, il leur avait clairement dit que « le Canada qu’il faut construire a besoin que la Société Radio-Canada soit forte et indépendante. »

Indépendance, le mot qui revient sur toutes les lèvres. Car au-delà du financement de Radio-Canada, ce qui préoccupe plusieurs, c’est sa gouvernance. Les membres de l’actuel conseil d’administration ont été nommés par le gouvernement Harper. Il faut revoir ce mode de nomination, soutient Alain Saulnier : « J’ai toujours espoir qu’on pourra renverser la vapeur. On a là un gouvernement qui a été élu en promettant de redonner une vision à Radio-Canada. Les libéraux ont aussi pris des engagements sur le mode de gouvernance. On s’attend à ce que la règle de nomination des administratrices et des administrateurs soit revue et corrigée, car ce qui m’inquiète c’est que l’actuelle direction de Radio-Canada n’a, à mon point de vue, aucune crédibilité et aucune légitimité. On a l’impression que le nouveau gouvernement fédéral pourrait très bien dire à Radio-Canada : débarrassez-vous de votre PDG et vous obtiendrez les millions promis. Je pense que ce n’est qu’une question de temps avant que les pressions soient suffisamment fortes pour que le PDG, Hubert Lacroix, soit mis à la porte. Moi, je n’ai plus aucune confiance en lui, je n’ai plus aucune confiance dans l’actuel conseil d’administration. Il faudra apporter des correctifs et des changements à la gestion et à la haute direction de Radio-Canada pour qu’on puisse réparer ce qui a été brisé. »

Pour Isabelle Montpetit, présidente sortante du SCRC, dont les membres ont maintes fois réclamé la démission du PDG de Radio-Canada, l’arrivée des libéraux ouvre une nouvelle perspective et ravive les espoirs : « C’est intéressant pour nous, mais on va s’assurer de maintenir la pression pour que les promesses électorales soient réalisées rapidement en matière de gouvernance. Le mandat donné à la nouvelle ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, c’est de réinvestir dans Radio-Canada et de résoudre les problèmes de gouvernance. »

Daniel Giroux, secrétaire général du Centre d’études sur les médias, réclame lui aussi des changements. « Il faut revoir le processus de nomination des membres du CA pour s’assurer de revenir à une époque où l’administration de Radio-Canada était totalement indépendante du pouvoir politique, ce qui n’était pas le cas sous le régime de Stephen Harper. Avec le précédent gouvernement, on a vu que c’est très dangereux quand trop de membres de la direction de Radio-Canada ont des antécédents politiques, et tous de même nature. » Il ajoute que « si Radio-Canada retrouve davantage de moyens et une indépendance réelle, elle sera plus en mesure de jouer son rôle dans les sociétés québécoise et canadienne ».

Pierre Maisonneuve y voit là une condition essentielle pour assurer l’avenir de Radio-Canada. « Il faut absolument revoir le processus de gouvernance, la nomination du PDG et des administrateurs de Radio-Canada. Il faut garantir leur indépendance et leur compétence. Si rien n’est fait de ce côté-là, je demeure perplexe pour l’avenir de Radio-Canada. »

Pour le président de la CSN, Jacques Létourneau, si les libéraux tiennent leurs promesses, c’est une bonne nouvelle. Pour ce qui est du financement, « c’est sûr qu’il y a un coup de barre à donner. Le financement public de Radio-Canada est un des plus faibles en Occident lorsqu’on observe ce que les États investissent dans des diffuseurs comparables à Radio-Canada. Des milliers d’emplois ont disparu à Radio-Canada, c’est un non-sens pour un diffuseur public. M. Trudeau s’est engagé en campagne électorale, c’est sûr qu’on va le talonner pour que la job soit faite ».

En ce qui concerne la gestion de Radio-Canada, le président de la CSN ajoute « qu’en matière de gouvernance, c’est clair que les conservateurs avaient une volonté de contrôler Radio-Canada de l’intérieur en plaçant des gens au conseil d’administration, on va donc souhaiter une gouvernance plus indépendante. L’État finance, mais en même temps, il faut une séparation claire sur le plan politique pour protéger la mission de Radio-Canada ».

Une mission à préserver

« C’est la mission même de Radio-Canada, comme diffuseur public, qui doit être préservée et gardée en mémoire », ajoute le ministre québécois responsable de la Francophonie canadienne, Jean-Marc Fournier, qui plaide depuis 2014 pour la survie de Radio-Canada. Avec son homologue Madeleine Meilleur, procureure générale et ministre déléguée aux Affaires francophones de l’Ontario, ils ont commandé un rapport d’expert intitulé Le financement de Radio-Canada : état de la situation et pistes de solution, qui propose une série de mesures permettant au radiodiffuseur public de remplir pleinement son mandat auprès des communautés francophones et acadienne. Le ministre Fournier soutient que « le nouveau gouvernement fédéral devrait bien lire les articles pertinents de la Loi sur la radiodiffusion, les afficher au mur pour se rappeler constamment l’importance de ce média national qui doit refléter la diversité de la francophonie de ce pays. Le diffuseur public doit réfléchir à la façon dont il assure sa mission. Radio-Canada dit qu’il est important de revoir les plateformes, de revoir la plomberie pour s’adapter aux nouvelles conditions, ça me semble normal, mais ce n’est certainement pas en vidant le produit qui circule dans la plomberie. Le contenu doit y être et c’est ce à quoi on s’attend avec les réinvestissements qui vont y être consentis. » Autre élément important, selon Daniel Giroux du Centre d’étude sur les médias, c’est la préservation de l’offre francophone pour les francophones hors Québec.

Au-delà de tous ces facteurs, Alain Saulnier estime que le nouveau gouvernement Trudeau devra aussi « revoir entièrement la Loi sur la radiodiffusion. Cette loi-là date d’une époque où Internet n’existait même pas. Il y a là énormément de travail. Il faut aussi revoir le modèle de financement des médias qui est en train de s’effondrer actuellement. La publicité ne peut plus faire vivre les médias. Tous les médias, publics ou privés, vont devoir affronter ce défi ».

Un appui public incontestable

Les Canadiennes et les Canadiens sont attachés à leur diffuseur public, la tournée menée par « Tous amis de Radio-Canada » à travers tout le Québec l’a bien démontré, rappelle Pierre Maisonneuve. « Dans toutes les rencontres menées en région, les gens ont manifesté leur affection pour Radio-Canada et leur besoin de ce diffuseur public. Les gens aiment leur diffuseur public et ça ne se dément pas. J’ai bien senti la pénétration de Radio-Canada dans les régions. »

Même les parlementaires québécois ont éprouvé le besoin de se porter à la défense de Radio-Canada en adoptant, en novembre 2014, une motion unanime d’appui au diffuseur public. Manon Massé, députée de Québec Solidaire dans la circonscription de Sainte-Marie–Saint-Jacques, est l’instigatrice de cette motion d’appui. « Radio-Canada joue un rôle important et je voulais que mes collègues de l’Assemblée nationale disent aux gens qui y travaillent qu’ils ne sont pas seuls dans cette lutte. Qu’ils disent aussi au gouvernement fédéral que nous avons besoin d’un diffuseur public fort pour être bien informés des grands enjeux de notre société. Et enfin, que le gouvernement fédéral se devait d’offrir à Radio-Canada les moyens nécessaires pour respecter ses obligations en vertu des lois fédérales. »

« Sur le plan de la culture et du fait français, conclut Jacques Létourneau, si ça n’avait pas été de Radio-Canada, je ne sais pas si on aurait encore accès à une culture francophone de qualité, en théâtre, en musique ou en littérature. C’est évident que Radio-Canada a joué un rôle fondamental dans l’histoire du Québec et du peuple québécois. Comme organisation syndicale, on va s’assurer de faire des représentations auprès de personnes du gouvernement canadien qui ont des responsabilités financières, mais également auprès du ministère du Patrimoine canadien, et même du bureau du premier ministre. C’est clair que Radio-Canada va faire partie de nos priorités. »


Un départ prometteur

Réunis à Shawinigan les 26 et 27 novembre dernier, près de 30 syndicats du sous-secteur de l’hôtellerie de la Fédération du commerce–CSN ont adopté leur plateforme de revendications communes en vue de la prochaine négociation coordonnée. Le protocole de fonctionnement ainsi que le fonds d’appui en vue de ce neuvième cycle de négociation coordonnée ont également été entérinés par la centaine de représentantes et de représentants syndicaux présents.

Au cours des semaines qui ont suivi, chaque syndicat a consulté ses membres en assemblée générale pour qu’ils décident de prendre part ou non à la négociation coordonnée du sous-secteur de l’hôtellerie de la FC-CSN qui aura lieu en 2016. Cette démarche volontaire et démocratique constitue la base même de cette stratégie de négociation.

Le fonds d’appui : un outil solidaire

Toujours lors de cette rencontre du sous-secteur de l’hôtellerie, les représentants syndicaux ont adopté à l’unanimité une résolution afin de se doter d’un fonds d’appui pour soutenir les syndicats qui pourraient être en conflit.

La cotisation à ce fonds a été fixée à 2 $ par personne par semaine. Dans le but de signifier aux employeurs que le sous-secteur de l’hôtellerie est déterminé à réaliser des gains, cette contribution au fonds d’appui débutera à compter du 1er mars 2016 et cessera lorsque le dernier syndicat participant à la négociation aura réglé et renouvelé sa convention collective.

En adhérant à la négociation coordonnée, les syndicats décident donc aussi d’appuyer financièrement celles et ceux qui auraient à subir un conflit de travail pour en arriver à un règlement.

Le protocole de coordination

La réussite d’une négociation coordonnée repose sur un protocole de fonctionnement qui permet aux syndicats participants de structurer leur stratégie de négociation et de mobilisation pour la durée de l’exercice.

En adoptant et en signant le protocole de négociation coordonnée, chaque syndicat s’engage envers tous les autres à :

  • Déposer et négocier les demandes communes de la plateforme de négociation ;
  • Coordonner ses négociations et ses stratégies avec les autres syndicats ;Faire approuver par les autres syndicats des contrepropositions inférieures aux demandes communes avant de les déposer à sa table de négociation ;
  •  Participer au fonds d’appui.

La négociation coordonnée : une stratégie gagnante

Le sous-secteur de l’hôtellerie préconise la stratégie de la coordination de leur négociation depuis 1986. Celle-ci fut d’abord mise en œuvre dans la région de Québec, puis à Montréal l’année suivante. Au fil du temps, des milliers de travailleuses et de travailleurs de l’hôtellerie ont fini par obtenir de meilleures conditions de travail en revendiquant leur juste part de la richesse générée par l’industrie hôtelière du Québec. Le thème de cette année « Ensemble, nous sommes l’hôtellerie » — où l’on peut entrevoir un second message qui révèle qu’« Ensemble, nous sommes hot » —, souligne toute la puissance de cette manière innovante de concevoir la négociation. Une nouvelle négociation à suivre !

Les revendications de la négociation coordonnée de l’hôtellerie 2016

1) Obtenir davantage de reconnaissance pour les années de service

Afin de faire reconnaître leurs années de service, les travailleuses et les travailleurs du sous-secteur de l’hôtellerie demandent une amélioration de l’indemnité de vacances reçue annuellement par l’ajout de 0,5 % du salaire gagné par semaine de vacances. Puisque le nombre de semaines de vacances augmente avec les années de service, cette hausse leur offrirait une reconnaissance de la loyauté dont ils font preuve chaque jour envers leurs employeurs.

2) Obtenir une meilleure protection des emplois et de meilleures compensations

Les salarié-es de l’hôtellerie revendiquent l’introduction d’une disposition dans leurs conventions collectives visant à empêcher les abolitions fictives de postes ou les fusions des classifications que plusieurs d’entre eux ont malheureusement vécues ces dernières années.

Ils réclament également l’introduction ou l’amélioration d’une indemnité de départ qui serait versée en compensation lorsqu’un employeur met fin à des emplois dans les situations suivantes : changements technologiques, abolitions réelles de classifications, fermeture de département ou de l’hôtel, ou encore changement de vocation de l’établissement. Dans tous ces cas, une compensation de 2000 $ par année de service serait versée, sans plafond, à tous les salarié-es touchés directement ou indirectement par ces décisions et qui perdent leur emploi.

3) Consentir une convention collective de quatre ans, mais pas sans contrepartie

Les deux dernières négociations coordonnées ayant toutes deux abouti à des contrats de quatre ans, les membres sont conscients du désir des employeurs de renouveler les conventions collectives pour une période équivalente.

Cependant, cette durée ne sera acceptée qu’en contrepartie d’une augmentation plus importante des salaires lors de cette quatrième année.

4) Profiter de la croissance prévue dans l’hôtellerie

Dans son Plan de développement de l’industrie touristique 2012-2020, Tourisme Québec précise que d’ici 2020, l’industrie touristique québécoise s’est fixé pour objectif d’augmenter ses recettes à 18,9 milliards de dollars, soit une croissance annuelle moyenne de 5 %. Cette croissance ne tient pas compte du fait que la diminution du nombre d’unités disponibles pour la clientèle exerce une pression à la hausse sur les taux d’occupation, ce qui entraîne une augmentation des revenus pour les employeurs.

Puisque les travailleuses et les travailleurs de l’hôtellerie sont à la source de cette croissance des recettes, il est tout à fait légitime qu’ils reçoivent leur juste part du gâteau. Voilà pourquoi ils revendiquent les augmentations salariales suivantes : 2016 4 % 2017 4 % 2018 4 % 2019 5 %


À la Fédération du commerce–CSN, l’hôtellerie fait partie du secteur 4 – Tourisme qui est composé de 93 syndicats affiliés provenant de plusieurs régions du Québec et qui compte près de 7700 membres. Celui-ci est divisé en trois sous-secteurs : l’hôtellerie, les loisirs et la restauration.

L’espoir, renouvelable

Avec le rejet officiel du projet oléoduc Keystone XL, l’arrêt de l’expansion des sables bitumineux en Alberta, la renonciation de TransCanada à construire un port pétrolier au Québec, et le changement de ton observé lors des négociations sur le climat à Paris, il est difficile de nier qu’un vent nouveau souffle sur la lutte contre les changements climatiques. Assistons-nous au début d’une révolution verte ?

La défaite cuisante des conservateurs de Stephen Harper le 19 octobre dernier constitue une bonne raison de se réjouir. Bien que le gouvernement de Justin Trudeau soit loin de s’engager à la décarbonisation de l’économie canadienne, il n’en demeure pas moins que la rupture avec la vision terrifiante hyperpétrolière de Stephen Harper est un pas important pour le mouvement environnemental et l’ensemble de la société civile.

Malgré cela, pour plusieurs environnementalistes, il ne fallait surtout pas ralentir le rythme et manquer l’occasion de talonner le nouveau gouvernement libéral. C’est dans cette optique que l’organisation environnementaliste 350 Canada a organisé, début novembre, une occupation des lieux de quatre jours face au 24 Sussex pour accueillir Justin Trudeau et exiger des mesures ambitieuses en matière de climat.

« Justin Trudeau se dit le premier ministre du peuple. Nous sommes ici pour nous assurer qu’il respecte ses engagements électoraux », explique Leah Gazen, professeure à l’Université de Winnipeg, militante autochtone et participante au comité d’accueil pour le climat de 350 Canada. « La majorité des attaques contre l’environnement surviennent sur des terres traditionnelles autochtones. Que ce soit le développement hydroélectrique sur le territoire de la nation crie de la Baie-James ou l’exploitation des mines de diamant chez les Attawapiskat, le Canada a une longue tradition de racisme environnemental et d’extraction de ressources en dépit de la souveraineté autochtone et de nos droits. Justin Trudeau s’est engagé à développer une relation nation à nation avec les peuples autochtones. Si nous lui disons que nous ne voulons pas d’oléoduc sur nos terres, il doit se rallier à nos décisions. »

100 % propre, 100 % possible

Plus de 80 groupes autochtones, religieux, étudiants, environnementaux et syndicaux — dont la CSN — ont formé une coalition historique et mobilisé plus de 25 000 citoyennes et citoyens le 29 novembre dernier sur la Colline du Parlement. Cette manifestation s’est déroulée dans le cadre de la Journée mondiale d’action pour le climat, à la veille de l’ouverture de la 21e Conférence des parties (COP21) sur le climat à Paris.

Le message de la coalition est clair : une économie 100 % propre d’ici 2050 n’est pas seulement nécessaire, mais 100 % possible.

Il est largement reconnu que les sociétés doivent s’engager à se convertir aux énergies renouvelables au cours des prochaines décennies si elles veulent avoir la moindre chance d’atténuer les ravages que causeront les changements climatiques. Plusieurs pays ont déjà entamé le processus : le Danemark s’est engagé à s’affranchir du pétrole d’ici 2050, l’Angleterre a annoncé la fermeture de ses centrales au charbon d’ici 10 ans et l’Islande tire déjà la majeure partie de son énergie de sources renouvelables.

Problèmes mondiaux, solidarité planétaire

C’est sur la Colline du Parlement que les manifestantes et les manifestants ont lancé un cri du cœur au gouvernement libéral. Et ils n’étaient pas les seuls à exiger une attaque frontale de leurs dirigeantes et dirigeants contre les changements climatiques. Au total, 2173 événements se sont tenus dans plus de 150 pays pour signaler l’importance d’une entente contraignante et universelle à Paris. De la Mongolie au Swaziland, des centaines de milliers de personnes venant de six continents ont uni leurs voix afin de revendiquer une justice climatique.

En Nouvelle-Zélande, 20 rassemblements ont eu lieu à travers le pays, et une manifestation a rassemblé plus de 15 000 personnes à Auckland. « C’est la première fois que les syndicats se sont réellement impliqués dans une manifestation mixte pour l’environnement », précise Gary Cranston, porte-parole de Unite Union pour les questions de changements climatiques et responsable syndical auprès des travailleuses et des travailleurs des cinémas et des restaurants-minute. « Il y a eu de nombreuses pertes d’emplois dans le secteur des combustibles fossiles en Nouvelle-Zélande. Nous n’avons plus le choix de parler des changements climatiques et de la nécessité d’une transition juste pour les travailleuses et les travailleurs. Car ce ne sont pas uniquement les mineurs qui subiront les effets négatifs du chaos climatique, ce sont aussi, par exemple, les travailleurs mal payés de la restauration rapide qui ne possèdent pas plusieurs résidences ni les fonds nécessaires pour fuir un désastre écologique. »

« Les pays en développement n’ont pas la capacité financière d’atténuer de manière substantielle les effets des changements climatiques », rappelle Mme Wijayaningdyah. « Les pays développés, comme le Canada, doivent s’engager à accorder du financement pour que les pays en développement puissent abandonner les carburants à forte teneur en carbone. Les sommes consenties au Fonds mondial pour le climat devront être investies pour offrir de la formation aux travailleurs dans les industries visées et assurer une protection sociale pour celles et ceux qui seront affectés par des catastrophes climatiques. »

Après Paris, le travail

Bien que l’accord adopté lors des négociations tenues à Paris sur les changements climatiques ne fasse pas l’unanimité, le fait demeure que le 12 décembre 2015 marquera l’histoire de la lutte contre les changements climatiques.

Les 196 parties se sont entendues pour limiter le réchauffement planétaire à un maximum de 2 °C au-dessus des températures préindustrielles, tout en visant 1,5 °C pour notamment éviter le chaos absolu pour les nations insulaires. Pour leur part, les pays industriels se sont engagés à verser un minimum de 100 milliards de dollars annuellement aux pays en développement pour les aider à faire face aux ravages climatiques et pour les soutenir dans les transformations énergétiques qu’ils comptent réaliser.

Malgré ces avancées, sur le plan syndical, la Confédération syndicale internationale (CSI) juge que l’accord de Paris ne constitue qu’une partie de la solution. Les syndicalistes dénoncent notamment l’absence de révision de chacune des cibles nationales avant l’entrée en vigueur de l’accord en 2020 et le fait que la transition juste pour les travailleuses et les travailleurs ait été reléguée au préambule non contraignant du texte.

Pour Pierre Patry, trésorier de la CSN et responsable politique des questions environnementales et du développement durable, un optimisme prudent s’impose en ce qui a trait aux engagements des parties à Paris. « La ratification d’un accord universel par l’ensemble des pays membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) est assurément un pas dans la bonne direction, observe M. Patry. Mais, ce n’est pas un accord très contraignant. Certes, il offre des perspectives encourageantes, mais si nous souhaitons limiter l’augmentation de la température à l’échelle de la terre, les groupes syndicaux, progressistes et environnementalistes devront exercer une vigilance de tous les instants pour que tous agissent dans le sens des objectifs de l’accord. La lutte pour la justice climatique ne s’arrête pas après la mobilisation du 29 novembre ni après les pourparlers de Paris, elle se poursuit au quotidien, dans nos foyers, dans nos milieux de travail et surtout dans nos rues. »

Une question toujours d’actualité

Depuis plus de trente ans déjà, la CSN a été de toutes les luttes pour mettre de l’avant des revendications et des propositions novatrices tant au regard de l’adoption que de l’application de la Loi sur l’équité salariale. L’année 2015 marque un nouveau jalon dans l’application de cette loi.

C’est en effet au plus tard le 31 décem­bre prochain que la majorité des employeurs devront avoir réalisé un deuxième exercice d’évaluation du maintien de l’équité salariale. Pour ce faire, ils doivent identifier les changements survenus dans l’entreprise et vérifier si des écarts salariaux discriminatoires se sont recréés. Si oui, ils devront les corriger.

La Loi sur l’équité salariale devait permettre l’élimination des écarts salariaux discriminatoires à l’égard des personnes qui occupent un emploi à prédominance féminine. Au-delà des discours, cette loi avait comme objectif fondamental de concrétiser la revendication du salaire égal pour un travail de valeur équivalente.

Près de 20 ans après son adoption, les femmes du Québec ne reçoivent toujours pas une rémunération égale à celle des hommes. Au Québec, l’écart salarial horaire moyen entre les hommes et les femmes a quelque peu diminué. Cependant, lorsqu’on compare l’écart de rémunération hebdomadaire, il demeure toujours très important même s’il est passé de 25 % à 20,85 % entre 2004 et 20141. La question de l’équité salariale garde donc toujours sa pertinence !

Une démarche à sens unique

L’équité salariale indiquait que parmi les entreprises ayant rempli leur déclaration annuelle obligatoire en 2014, 83 % disent avoir réalisé l’équité et 87 % disent avoir réalisé l’évaluation du maintien une première fois en 2010. Cependant, près de 40 % d’entre elles n’ont pas rempli leur déclaration obligatoire. Les petites entreprises de 10 à 49 salarié-es sont celles qui accusent le plus grand retard.

Dans le cas de l’évaluation du maintien de l’équité salariale, l’employeur a la possibilité de procéder seul ou de réaliser l’exercice avec le syndicat. Malheureusement, depuis 2010, de nombreux employeurs ont évalué le maintien sans la contribution des syndicats. Lorsque c’est le cas, les affichages sont souvent laconiques et parfois incomplets. Les salarié-es et leurs syndicats ont souvent du mal à valider si l’exercice réalisé est conforme à la loi.

Il est donc important pour l’ensemble des syndicats de la CSN de garder l’œil ouvert, de solliciter les employeurs relativement à leur intention de procéder seuls ou non à l’opération de maintien de 2015 et de prendre connaissance des affichages au cours des prochains mois afin de valider leur conformité à la loi en fonction de la réalité de l’entreprise. Si les délais ne sont pas respectés, ou encore si l’exercice n’est pas conforme aux exigences de la loi, une plainte pourra être déposée à la Commission de l’équité salariale à la suite de l’affichage des résultats.

La discrimination systémique est la plus insidieuse de toutes les formes de discrimination, car elle est souvent invisible et intentionnelle. Elle est difficile à identifier car elle est enracinée dans la culture des organisations et dans les systèmes de rémunération. Elle réside dans nos préjugés, notre culture, les stéréotypes et notre manière d’appréhender la réalité. Pour l’éradiquer, une démarche rigoureuse et systématique doit donc être mise en place.

Un coup de pouce aux patrons

Comme une pierre de plus dans l’édification de son programme de démantèlement de l’État, le gouvernement a adopté, en juin dernier, un projet de loi qui marque la disparition de la Commission de l’équité salariale, de la Commission des normes du travail et de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

Voulant démontrer à tous ses « capacités de gestionnaire », le gouvernement a, dans la précipitation et avec un manque d’analyse flagrant, improvisé une fusion d’organismes en arguant l’efficacité et l’efficience. Cette fusion n’est pas anodine. Comme un contaminant, elle ne tuera pas, mais elle affaiblira le corps visé, en l’occurrence, celui des droits. Pour l’essentiel, ces organismes ont tous des responsabilités quant à l’application de lois qui confèrent des droits importants aux travailleuses et aux travailleurs. Le droit à la reconnaissance de la valeur du travail des femmes, celui à un travail décent par l’imposition de normes minimales et celui de travailler dans un environnement où les risques pour la santé et la sécurité sont, dans la mesure du possible, éliminés, constituent des valeurs partagées par l’ensemble de la société. Ainsi, dans un souci allégué de « rationalisation et de rigueur », le gouvernement s’en prend, encore une fois, plus particulièrement aux femmes ainsi qu’aux travailleuses et aux travailleurs non syndiqués.

Le gouvernement a aussi profité de l’occa­sion pour changer significativement les règles du jeu concernant l’encadrement légal des recours en matière de santé et de sécurité du travail : l’abolition des assesseurs et la création d’un tribunal administratif du travail sont deux exemples de changements qui nous inquiètent, notamment au regard d’un meilleur accès à la justice et du maintien des expertises.

Sauver la mise

Entre les premières intentions du gouvernement et l’adoption de la loi, il faut reconnaître que nos actions n’ont pas été vaines et que nous sommes parvenus, avec l’aide de l’opposition officielle, à améliorer singulièrement la proposition gouvernementale. Ainsi, nous avons obtenu le maintien du paritarisme comme élément fondateur de la nouvelle commission et la création d’une vice- présidence dédiée aux questions relatives à l’équité salariale, qui sera nommée après consultation des organisations syndicales et des associations d’employeurs. Le gouvernement a aussi consenti à garder intact le processus décisionnel lors du traitement des plaintes en matière d’équité salariale, tout comme il a reconnu la nécessité de confier à une autre vice-présidence la responsabilité des normes du travail. En ayant obtenu des modifications dans la gouvernance de l’organisme et l’implantation de deux comités afin d’assurer le suivi des activités et de participer à l’élaboration des orientations en matière d’équité salariale, d’une part, et de normes minimales du travail, d’autre part, nous nous sommes assurés d’une réelle capacité d’intervention sur ces enjeux.

Investir les lieux, faire reconnaître nos droits

Difficile de ne pas voir dans cette réforme une main tendue vers les employeurs et une façon de réduire le rôle de l’État. Ainsi, le respect de droits aussi fondamentaux que ceux qui sont sous la responsabilité du nouvel organisme ne pourra être assuré sans une vigilance de tous les instants. Notre présence au sein du conseil d’administration et des comités de partenaires doit être vue comme une occasion d’amener le gouvernement et les employeurs à mieux se comporter. Le gouvernement peut bien agir sur les structures, il devrait savoir que cela n’altérera en rien notre volonté de défendre bec et ongles les acquis historiques des travailleuses et des travailleurs et d’endiguer tout recul des droits des personnes non syndiquées.

Sauver des vies, dans l’ombre

Yasmine Leclerc est technologiste médicale. La diplômée du collège de Rosemont travaille au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine à Montréal depuis maintenant quatre ans. 

Ils sont près de 250 technologistes médicaux à travailler dans les nombreux laboratoires du prestigieux CHU Sainte-Justine. Yasmine, elle, se promène entre les laboratoires de microbiologie, de virologie, de banque de sang et d’hémostase. Elle analyse les prélèvements faits auprès des jeunes patientes et patients de l’hôpital, soit les adolescents, les enfants, les bébés et les prématurés. Les analyses menées serviront à identifier le problème de santé, donc le traitement à administrer. Les résultats doivent être précis. Pas de place à l’erreur, car des vies en dépendent. « Parfois, les résultats de nos analyses doivent être transmis très rapidement. C’est le cas pour les patients de l’urgence ou en salle d’opération. Mais malgré la gravité de la situation, on se doit de rester en contrôle et de maîtriser parfaitement les opérations techniques », explique la jeune femme. Les technologistes médicaux doivent être minutieux et en pleine possession de leurs moyens. Ils doivent aussi être polyvalents, car ils sont appelés à travailler dans des dizaines de laboratoires différents. « Il faut avoir une maîtrise parfaite de l’ensemble des tâches que nous avons à accomplir. Il faut aussi être flexible, car nos horaires sont atypiques. À Sainte-Justine, les laboratoires roulent 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Il faut pouvoir s’adapter », explique Yasmine.

Défis pour la profession

En ces temps d’austérité, le système de santé québécois se fragilise de plus en plus. La profession de technologiste médical n’est certes pas à l’abri des coupes budgétaires. « Notre métier est particulièrement affecté, explique la technologiste. Les formations sont de moins en moins disponibles. Les étudiants qui sont sur le point d’être diplômés n’arrivent plus à se trouver des stages. Les hôpitaux manquent de personnel pour les encadrer. La relève se fait rare et pourtant nous savons que beaucoup de technologistes partiront à la retraite sous peu. » Sans compter la sécurité d’emploi qui est quasi inexistante. Les hôpitaux ouvrent très peu de postes de technologiste médical et les listes de rappel sont longues. Les jeunes diplômés doivent se contenter d’horaires irréguliers. « Les coupes dans les laboratoires entraînent aussi un allongement des délais d’analyse », note Yasmine Leclerc.

Optilab

Le projet Optilab, dernier lapin en lice à être sorti du chapeau de Gaétan Barrette, inquiète sérieusement Yasmine Leclerc. Le plan consiste à centraliser les laboratoires existants en créant des mégalaboratoires dans lesquels on procédera aux analyses des autres hôpitaux. Dans la grande région de Montréal, par exemple, les analyses seront concentrées au CHUM et au CUSM. L’Hôpital Sainte-Justine pourrait voir ces activités réduites de 48 %.

« En centralisant les analyses dans quel­ques mégalaboratoires, on augmente de beaucoup le transport des échantillons. Du même coup, les risques de perdre ou d’endommager les échantillons montent en flèche, explique Yasmine Leclerc. Et c’est sans compter les déplacements de technologistes vers d’autres établissements ou les pertes d’emplois qui les frapperont de plein fouet », dénonce-t-elle.

Yasmine est tout de même heureuse au travail. Même si le plus souvent elle manipule des machines et est rivée à son microscope, elle sait qu’elle fait une différence. « Même si je ne suis pas en contact direct avec les patients, j’y trouve mon compte amplement. Quand une analyse urgente entre au labo, c’est toute l’équipe qui met son savoir en œuvre pour sauver le petit être humain, qui, quelque part à un étage de l’hôpital, a besoin de nous. »

Une profession empreinte d’humanité

« En 22 ans de carrière, je peux vous dire que j’en ai vu de toutes les sortes. J’ai recueilli des confidences, reçu des sourires et vu bien des larmes couler. Mais, malgré les difficultés, je sais que je fais du bien aux gens. Et ça, c’est ma véritable paye. »

Hélène Boivin est préposée aux bénéficiaires (PAB) dans un hôpital des Basses-Laurentides. Son métier, elle le pratique depuis 1993, d’abord en CHSLD, puis en centre hospitalier. « C’est un métier extrêmement exigeant. Ce n’est pas pour rien que beaucoup de jeunes abandonnent. Ça demande un sens aigu de l’organisation et beaucoup de débrouillardise. »

Trouver l’équilibre

Après des années de pratique, Hélène Boivin a réussi à trouver un équilibre au travail. Entre la cadence imposée par les employeurs et l’importance de prendre le temps de prodiguer de bons soins, les PAB angoissent souvent. « Au début, on stresse énormément. On se demande comment on arrivera à accomplir les tâches qu’on nous demande sans rien oublier. On doit souvent faire face aux imprévus, comme stabiliser un bénéficiaire en crise ou en convaincre un autre de prendre son bain, alors qu’on n’avait pas prévu ce temps à notre horaire. Il faut constamment se justifier auprès de nos supérieurs si l’on n’a pas réussi à tout faire ce qu’on nous demande », explique la préposée. Mais à force de se répéter qu’elle n’est pas un robot et qu’elle ne gère pas des objets, mais bel et bien des êtres humains, Hélène Boivin a finalement appris à prendre son temps. « Quand on est “régulière” dans un département, c’est plus facile. Les liens de confiance se créent, on connaît mieux nos patients, on sait qu’il faut déposer le verre d’eau à droite plutôt qu’à gauche. L’importance de ces détails s’acquiert lentement, mais sûrement. »

S’affranchir

Pour Hélène Boivin, le travail d’équipe est primordial. D’abord avec les autres PAB, mais aussi avec les membres de l’équipe de soins, soit les infirmières auxiliaires et les infirmières. Trois rôles distincts, trois rôles essentiels. « Les PAB se décrivent souvent comme les yeux et les oreilles de l’infirmière. Je trouve que c’est réducteur. Moi je pense que nous sommes nos propres yeux et nos propres oreilles, lance sur un ton convaincu Hélène Boivin. Je crois que c’est à nous de changer la perception que nous avons de nous-mêmes. Le jour où nous serons pleinement conscients de l’importance de notre travail, les préjugés vont disparaître. Les infirmières ont pris des années à faire comprendre qu’elles n’étaient pas au service des médecins. Les préposé-es ne sont pas au service des infirmières. Ils sont au service des usagers. C’est une façon beaucoup plus valorisante de voir son travail. Et j’encourage les PAB, particulièrement les jeunes, à évoluer en ce sens. »

D’humain à humain

Être préposé-e aux bénéficiaires, c’est bien sûr donner des soins. Mais c’est aussi être en relation intime avec un être humain. Écouter, sécuriser, approcher, discuter, orienter, observer ne sont que quelques-unes des tâches qui incombent aux PAB. « Avec le temps, j’ai réussi à me faire une carapace. À toujours garder une certaine distance entre mes patients et moi. C’est essentiel pour moi, mais aussi pour eux. Si je fondais en larmes à la moindre difficulté, ça découragerait mes patients. Je me dois de leur transmettre une assurance. Ils ont besoin d’être sécurisés, de se sentir en confiance », note-t-elle.

Avec du recul, lorsqu’Hélène pèse le pour et le contre, elle arrive à la conclusion que le métier de PAB est un très beau métier. Que les liens véritables qu’elle tisse avec ses patients et les moments d’intenses émotions que la profession lui fait vivre amenuisent les inconvénients. « On devient les enfants de nos patients. On les voit presque plus souvent qu’eux. Quand quelqu’un qui est à la fin de sa vie te confie un secret qu’il n’a jamais partagé avec personne, tu sais que tu fais bien ton travail. Faire le bien me remplit de fierté. »

Histoire d’une mobilisation ardue

La Loi sur l’assurance-emploi célèbre sa 75e année d’existence en 2015. Cette loi a été calquée sur celle de la Grande-Bretagne et adoptée en 1940 par le gouvernement de Mackenzie King sur fond de crise économique. Une première canadienne qui résulte du pouvoir de l’action populaire et prouve la véracité du dicton « l’union fait la force ».

Durant la Grande dépression, le travail saisonnier est la cause d’un chômage endémique. Entre 1929 et 1933, le nombre de sans-emplois bondit de 105 000 à plus de 645 000. Dans la région de Montréal, on compte plus de 60 000 personnes sans travail. À cette époque, aucun programme fédéral centralisé ne compense les pertes d’emplois. Le modèle des Poor Laws britanniques (allocations pour les pauvres) façonne les politiques d’assistance publique au Canada. Au Québec, l’Église et les organismes qui gravitent autour d’elle se chargent de venir en aide aux indigents. « L’Église s’occupait de toutes les formes de pauvreté, excepté celle causée par le chômage », souligne l’historien et auteur Benoît Marsan.

Les gouvernements mettent alors en place le Secours direct, un programme temporaire visant, en principe, à fournir logement et nourriture à la population dans le besoin. Dans les faits, l’accès à cette assistance était largement réservé aux pères de famille, perçus comme des pourvoyeurs responsables de subvenir aux besoins des leurs.

Camps de travail et travaux forcés

En 1932, le gouvernement conservateur de R.B. Bennet crée des camps de travail à travers le pays. « On cherchait à éviter les soulèvements que risquaient de provoquer les chômeurs itinérants en les éloignant des villes, explique Jean Ayotte du Comité chômage de l’Est. S’ils refusaient de s’y rendre, l’aide leur était refusée. »

Plus de 20 000 chômeurs au Canada se retrouvent dans ces camps où ils sont mal logés, mal nourris, en plus d’être soumis à une discipline militaire et de ne retirer qu’un salaire dérisoire de 20 cents par jour. En 1933, un chômeur est tué par un policier lors d’une éviction de logement à Montréal. Le 4 avril 1935, plusieurs grèves se déclarent dans les camps de la Colombie-Britannique, appuyées par des dizaines d’organisations politiques et syndicales. Peu après, les actions s’intensifient ; à Vancouver, des confrontations éclatent entre les forces de l’ordre et les grévistes appuyés par la population. L’exaspération des travailleurs est à son comble.

Pour accentuer leurs revendications, les grévistes entreprennent une longue marche vers la capitale fédérale. Afin d’en accélérer le rythme, des manifestants s’accrochent à des trains qui se dirigent vers Ottawa. Le 14 juin 1935, plus de 1500 marcheurs arrivent à Régina ; d’autres contingents les suivront. Quelques jours plus tard, l’Ontario et le Québec entrent dans la ronde des grèves : à la base de Valcartier en construction, 1900 chômeurs refusent de travailler. Le 1er juillet 1935, les autorités fédérales et la GRC interviennent à Régina et déclarent illégale cette traversée pancanadienne en vertu du Code criminel. L’initiative fortement répressive provoque une émeute où l’on dénombre plusieurs personnes arrêtées, blessées et même la mort d’un manifestant.

Peu de temps après, des marcheurs se préparent à prendre la route de Montréal vers Ottawa. L’administration municipale du maire Camilien Houde compte bien tuer dans l’œuf cette manifestation et déploie quelque 800 policiers qui resteront en service pendant tout l’été ; la ville interdit également les rassemblements de plus de trois personnes et ne tolère aucun regroupement dans les parcs. À Valleyfield, 200 personnes sont arrêtées. « Peu de gens ont réussi à se rendre à Ottawa, fait remarquer Benoît Marsan, en raison de la zone de sécurité organisée autour de Montréal qui les empêchait d’en sortir. »

L’inaction des gouvernements

Entre 1936 et 1939, la crise économique continue de sévir et la mobilisation se poursuit. Pour enrayer la grogne populaire, patrons et gouvernements mettent sur pied des programmes de travaux publics : le Jardin botanique et autres parcs, des bases militaires comme celle de Valcartier et des infrastructures routières sont le résultat du labeur des chômeurs forcés de travailler dans des conditions exécrables. « Au final, ces travaux rapportaient encore moins que le Secours direct », souligne Jean Ayotte.

En cherchant à interrompre la mobilisation par la répression, le gouvernement a provoqué la révolte chez les chômeurs. Ce faisant, il a encouragé dans presque tous les camps du pays la création d’un réseau d’activistes sensibles à des idées plus radicales. À Montréal, des militants de divers horizons politiques se sont unis dans les conseils de quartier et les comités de chômeurs pour protester contre leur situation misérable par une série d’actions directes (occupations, grèves, confrontations, éducation populaire). Celles-ci s’inspiraient notamment du programme du Parti communiste du Canada et de la CCF, ancêtre de l’actuel NPD, tous deux acteurs de la lutte des sans-emplois à l’échelle du pays.

En 1940, après plusieurs années de pression, les demandes des chômeurs et du mouvement ouvrier sont entendues et le régime fédéral d’assurance-chômage est finalement créé.

Une lutte sans merci

« L’adoption de politiques sociales comme celle de l’assurance-chômage pouvait stimuler la demande de biens. L’aile gauche du Parti libéral a fait pression sur son parti pour qu’il intervienne dans ce sens », relate l’historien Jacques Rouillard.

Le régime se fait donc de plus en plus en plus généreux jusqu’en 1970. Il se métamorphose ensuite en régime d’assurance-emploi et prend un virage radical. Dès lors, la mission de stimuler l’emploi surpasse celle de payer des prestations décentes aux chômeuses et chômeurs. En 1990, l’État se retire du financement du régime qui incombera désormais aux employeurs et aux salarié-es. Il l’utilisera sans gêne pour financer ses programmes de formation de la main-d’œuvre. « L’argent de la caisse doit servir à payer des prestations, pas à financer de la formation au service des seuls intérêts du patronat, dénonce Jean Ayotte. Et c’est sans compter les 57 milliards détournés par les libéraux pour assainir les finances publiques. »

On assiste ensuite en 1994 à de sérieuses baisses de prestations et au resserrement de l’admissibilité au régime. La réforme de 2012, elle, contraint notamment les chômeuses et les chômeurs à accepter des emplois moins bien payés dans un rayon allant jusqu’à cent kilomètres de leur domicile.

Même si les dernières manifestations contre la réforme Harper sont restées lettre morte, elles permettent de garder une note d’espoir sur le sort des chômeuses et des chômeurs. Car une leçon doit être tirée des mobilisations des années 30 et de la grande marche vers Ottawa : la persistance dans la lutte porte ses fruits, même si ceux-ci peuvent être longs à cueillir.

LE RÔLE DE LA CSN

En 1928, la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC), ancêtre de la CSN, vote des résolutions pour la création d’une assurance contre le chômage et introduit expressément une telle demande dans un mémoire. Par la suite, la CTCC, devenue la CSN en 1960, continue à revendiquer régulièrement l’amélioration du régime. Plus tard, au tournant des années 70, la CSN et le Conseil central de Montréal haussent le ton face aux attaques que commence à subir le régime d’assurance-chômage. Michel Chartrand se bat pour un syndicat de chômeurs et appuie la création de groupes de défense des sans-travail. La CSN a aussi fortement milité contre les restrictions et compressions de la réforme de 1994 et a multiplié les actions de protestation au sein de la Coalition contre le saccage de l’assurance-emploi lors de la réforme de 2012. En 2007, la Cour suprême avait accepté d’entendre sa cause contre le fédéral au sujet du détournement des fonds de la caisse pour réduire le déficit.

Le pari de Paris

Les ravages du chaos climatique se font déjà sentir à travers le monde. Plus que jamais, les pays membres des Nations unies doivent s’entendre sur un accord universel et contraignant sur le climat pour atténuer les effets dévastateurs des changements climatiques. L’enjeu est de taille.

C’est sur le thème « Il n’y a pas d’emploi sur une planète morte » que la CSN ainsi que d’autres syndicats affiliés à la Confédération syndicale internationale (CSI) se sont réunis en septembre dernier à Paris en préparation de la prochaine Conférence des parties (COP) des Nations unies qui s’y tiendra en décembre. Le message du mouvement syndical ne pourrait être plus clair : nous n’avons plus de temps à perdre face aux changements climatiques. En œuvre depuis 1992, la 21e séance de négociation de la COP est de loin la plus importante de son histoire.

Avec l’abandon du protocole de Kyoto et l’absence marquante de dialogue depuis la COP15 de 2009 à Copenhague, les gouvernements ne se laissent aucune marge de manœuvre pour atteindre l’objectif de limiter le réchauffement à 2°C par rapport au standard préindustriel.

À l’évidence, nous sommes bien loin de la conclusion d’un accord. Lors de la dernière séance de négociation, qui s’est tenue à Lima en 2014, les parties se sont entendues sur un seul paragraphe de la convention-cadre.

« Les États jouent un jeu très dangereux », constate Anabella Rosemberg, coordonnatrice de la CSI et responsable de la présence du mouvement syndical dans le cadre des négociations climatiques. « Le constat n’est pas brillant. Les négociations internationales connaissent un moment assez difficile. Certains pays, dont le Canada, bloquent systématiquement tout progrès. Ils tirent les autres États vers un seuil si bas que le processus ne peut plus fonctionner. »

Pour Pierre Patry, trésorier de la CSN et responsable du dossier environnement, il est primordial que le gouvernement fédéral assume un rôle de leader dans la lutte aux changements climatiques.

« C’est inadmissible que le Canada nuise aux négociations internationales. Sous le règne de Stephen Harper, le Canada a reçu le prix “Fossile de l’année” pendant cinq années consécutives pour s’être démarqué comme le pays le plus perturbateur lors des négociations, déplore M. Patry. Nous devons adhérer à l’établissement de cibles ambitieuses de réduction de gaz à effet de serre (GES). Le développement durable ne peut pas s’appuyer sur l’exploitation d’une ressource aussi dommageable que celle des sables bitumineux. Le nouveau gouvernement doit comprendre que le temps est compté et agir en conséquence. »

Scientifiques à bout de souffle

« Les parties doivent absolument conclure une entente, et au plus vite », insiste la Dre Isabella Valicogna, professeure en science du système terrestre à l’Université de Californie à Irvine et scientifique au laboratoire de recherche sur la propulsion de la NASA. « En tant que scientifique, j’observe la dévastation climatique quotidiennement, le manque d’action est stupéfiant. Nous avons enclenché des changements qui dureront plus de 100 ans. On peut les ralentir, les atténuer, mais pas sans un accord universel et contraignant. »

Mme Valicogna étudie les cycles de l’eau de l’Arctique en lien avec les changements climatiques. « Les couches de glace fondent beaucoup plus rapidement que prévu », prévient-elle. « Même l’objectif de limiter la hausse de la température à 2°C engendrera des conséquences monumentales. En observant le passé, nous savons que des conditions semblables ont existé il y a 100 000 ans. À l’époque, une hausse de 1°C à 1,5°C a suscité une montée de 5 à 6 mètres du niveau de la mer. Nous ne devrions plus nous demander si les mêmes conséquences se répèteront, mais plutôt la vitesse à laquelle elles se produiront. »

Peuples appauvris : proies du climat

Les changements climatiques risquent de déchaîner des crises importantes sur la planète et ce sont les pays et les communautés les moins nantis qui subiront le pire des dommages.

« Le réchauffement climatique met davan­tage en danger les pays pauvres », explique Isabella Valicogna. « Les régions côtières seront méconnaissables après la montée du niveau de la mer. Seulement au Nigéria, plus de 20 millions de personnes résident près de la mer. Une crise climatique, c’est aussi une crise de migration, une crise humanitaire », déplore la scientifique.

La sécurité des peuples à risque est un enjeu incontournable pour la CSI. « Il faut protéger les communautés et les travailleurs vulnérables. Nous voyons déjà que les sécheresses et les inondations affectent davantage les pays les plus pauvres, soutient Mme Rosemberg. Le combat du mouvement syndical, c’est d’obtenir une protection sociale pour ces populations. Un revenu familial garanti, l’assurance-chômage et un système de santé publique sont fondamentaux pour leur permettre d’affronter un avenir qui sera dur, très dur. »

Convergence des luttes

Pour la CSI, un succès à Paris ne sera pas tributaire du seul résultat des négociations, mais également de la capacité du mouvement syndical de mobiliser les travailleuses et les travailleurs à participer aux activités qui se dérouleront lors de la Journée mondiale d’action le 29 novembre. La CSN invite d’ailleurs ses membres à prendre part à l’action qui se tiendra à Ottawa.

« Il faut unir les causes. Le chaos clima­tique ne doit pas être une option, affirme Mme Rosemberg. Nous devons sensibiliser les travailleurs aux enjeux environnementaux en leur démontrant les liens qui existent entre le climat, la justice, les emplois et la solidarité. La lutte ne peut plus être limitée à l’environnement, l’emploi ou l’éducation. Les groupes sociaux doivent développer une vision du monde qui exclut du pouvoir les forces qui encouragent notre dépendance aux hydrocarbures. »

Quoique le bilan climatique soit assez démoralisant, Isabella Valicogna y voit aussi un aspect positif, soit l’occasion de relever d’importants défis collectivement. « Oui, les bouleversements climatiques provoqueront beaucoup de détresse, mais cela nous fournira aussi de nouvelles occasions de luttes, avance-t-elle. De nouveaux emplois seront créés. La nouvelle génération veut travailler à développer des solutions, de nouvelles sources d’énergie renouvelable et des technologies capables de les transformer et de les stocker. »

Pour sa part, la CSN juge que la transition vers une économie verte se fait en partie à travers le syndicalisme. « Le développement durable, c’est la conjugaison entre le développement économique, les droits sociaux et le respect de l’environnement, explique Pierre Patry. Malheureusement, on oublie souvent le volet “droits sociaux” du développement durable. Bien qu’il soit important de nous assurer que les entreprises soient moins polluantes, nous devons aussi veiller à ce que les droits des travailleuses et des travailleurs soient préservés, tant pour les nouveaux emplois dits clean-tech que pour les emplois traditionnels. La meilleure façon de le faire, c’est en se syndiquant. »

Revendications syndicales

Chose certaine, la CSN, la CSI et leurs alliés comptent bien se faire entendre lors des négociations à Paris en décembre.

D’abord, le mouvement syndical pressera les parties de passer à l’action avant 2020. Puis, il exigera une feuille de route claire quant à l’engagement des pays industrialisés à verser 100 milliards de dollars de soutien par année aux pays en développement, pour finalement réclamer que les travailleuses et les travailleurs soient accompagnés dans la transformation de l’économie.

« Nous devons pouvoir organiser le changement vers une économie verte de façon à ce que les travailleurs y trouvent leur compte. Nous voulons participer activement à la transformation de nos systèmes de productivité et de nos modes énergétiques. Les travailleurs vont construire une économie à faible émission de carbone, et personne ne sera laissé de côté », conclut Mme Rosemberg.