Tous dans le même bateau

Les effets des changements climatiques se manifestent de plus en plus concrètement dans le monde du travail. Le mouvement syndical revendique depuis plusieurs années une « transition énergétique juste » pour les travailleuses et les travailleurs. Au cœur de ce principe, le devoir de nous assurer qu’aucun travailleur ne soit laissé à lui-même lorsque nous en serons à restructurer, collectivement, nos modes de production.

Mal de mer
Cela fait plus de 43 ans que Guylaine D’Astous travaille à l’usine Fruits de mer de l’Est du Québec, située à Matane. Elle est aujourd’hui secrétaire de son syndicat, et c’est sa sœur cadette, Micheline, elle-même à l’emploi de l’usine depuis 40 ans, qui en est la présidente. Les deux sœurs D’Astous ne sont pas les seules membres de leur famille à s’être dévoués pour l’entreprise. Il y a aussi eu Hermance (la mère), Fernand (le père), Magella (le frère), Colombe (la sœur), et Jean-Pierre (le beau-frère). À son apogée, l’usine comptait plusieurs familles parmi ses travailleuses et travailleurs, mais lorsqu’on observe le vieillissement de sa main-d’œuvre, il est évident que cette ère est maintenant révolue.

Guylaine et Micheline D’Astous

L’âge moyen des travailleurs de l’usine frôle les 55 ans et la grande majorité des 88 membres du syndicat ont plus de quarante ans d’ancienneté. Ce n’est pas un secret que le secteur de la pêche vit actuellement une crise importante qui entraîne des difficultés importantes pour les travailleurs. Avec le réchauffement des eaux, la crevette nordique se fait de plus en plus rare, et les employé-es sont contraints à ne travailler que 16 heures par semaine, une baisse de près de 75 % par rapport à 2012.

« Les jeunes sont obligés de quitter la région. On se ramasse avec une ville de petits vieux. Moins il y a de jeunes, moins il y a de monde pour garder l’usine en vie », explique Guylaine D’Astous. « Si notre travail continue de se précariser, les gens n’auront plus d’ouvrage, enchaîne sa sœur Micheline. Le gouvernement doit songer à de la formation pour nous guider vers d’autres secteurs, en croissance. »

En eau inconnue
Dave Cotton, capitaine et propriétaire du navire l’Intrépide, se décrit comme un homme « souriant et dérangeant » qui a la pêche et la mer tatouées sur le cœur. Mais malgré sa nature optimiste, il s’inquiète pour l’avenir du secteur de la pêche.

Dave Cotton

« Nous vivons un cycle particulièrement difficile pour la santé de notre crevette. La crevette nordique est très à l’aise dans l’eau froide, et nous connaissons actuellement un record de température en grande profondeur. Même de petites variations d’un tiers de degré sont extrêmement néfastes pour nos ressources halieutiques, déplore le capitaine. Nous pouvons malheureusement nous attendre à de très mauvaises années pour encore quatre à six ans, au moins. La pêche est un métier compliqué. Ça t’emmène loin de ta famille pour plusieurs semaines. Physiquement, c’est exigeant. On dort très peu. Si nous ne bougeons pas pour améliorer les choses, nous allons perdre de la bonne main-d’œuvre. Si trop de bons pêcheurs décrochent, qu’est-ce qui nous restera ? »

Chaleur étouffante
La Gaspésie a été la région la plus chaude au Québec à l’été 2018. En effet, il n’y a jamais fait aussi chaud depuis quarante ans. Bien que cette chaleur n’ait pas découragé les touristes de visiter la péninsule historique, le mouvement syndical a matière à examiner les effets des conditions météorologiques extrêmes sur la santé des travailleuses et des travailleurs.

Anita Blais

« Je n’ai jamais connu de chaleur comme ça. Cet été, c’était trop, » se désole Anita Blais, responsable de l’entretien du Géoparc de Percé et une des doyennes du site de l’UNESCO. « Une journée, il faisait tellement chaud que j’en ai eu mal au cœur, je suis devenue étourdie, et j’ai culbuté. Je me suis relevée rapidement parce que je ne voulais pas que les clients me voient dans cet état. Ce n’est pas juste le corps qui prend un coup, c’est le moral aussi. Il faut comprendre que travailler une journée à l’extérieur pendant une canicule, c’est comme travailler une semaine au complet. Ça t’assomme. J’arrive chez moi, je suis brûlée. »

Vent de changement

Bien que l’avenir puisse être préoccupant pour un grand nombre de Gaspésiennes et Gaspésiens, l’arrivée du secteur éolien amène quant à lui un nouvel espoir pour la région.

Cédric de Larichaudy

Lorsque Cédric de Larichaudy, mécanicien et président du Syndicat des travailleuses et travailleurs de LM Wind Power, a commencé à l’usine en 2013, ils étaient quelque 150 travailleurs. Aujourd’hui, ils sont plus de 500 à y travailler, dont plusieurs anciens travailleurs du secteur de la pêche. « L’usine est tellement en recrutement que si quelqu’un dépose son CV aujourd’hui, il a des chances de commencer la semaine prochaine, explique M. de Larichaudy. L’énergie renouvelable, c’est l’avenir. Qui ne veut pas faire partie de la solution à la crise écologique ? »

L’avenir des travailleurs
Bien consciente que le Québec n’est pas à l’abri des bouleversements provoqués par les changements climatiques, la CSN a organisé en mai dernier, de concert avec la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) et divers groupes environnementaux, un sommet sur la question de la transition énergétique juste. Près de 300 personnes provenant des milieux d’affaires, de la société civile, des organisations syndicales et environnementales, et des communautés autochtones, se sont rassemblées à Montréal pour demander au gouvernement du Québec d’adopter dès maintenant des mesures de transition écologique.

En tout, on estime à près de 700 000 travailleuses et travailleurs qui verront leur entreprise et leur travail se transformer au cours des prochaines années, notamment dans les secteurs du transport, de l’énergie, du bâtiment et de l’alimentation.

« Même en période électorale, les partis politiques ont joué à l’autruche quant à la nécessité d’une transition énergétique juste, dénonce Pierre Patry, trésorier de la CSN et responsable politique des questions environnementales et du développement durable. L’heure est grave. Comment arriverons-nous à nous doter d’un plan légitime si le gouvernement manque à l’appel ? »


En route vers les élections

À quelques mois de l’élection québécoise, le message était clair : les partis politique devront considérer les revendications de la classe ouvrière.

Les militantes et militants ont profité de l’occasion pour dénoncer le sous-financement chronique des services publics et des programmes sociaux, les mesures d’austérité et les multiples réformes responsables des surcharges de travail et des mauvaises conditions de travail qui leur sont associées. Ils ont également réclamé que le futur gouvernement se positionne pour une société plus juste et équitable en instaurant un salaire minimum à 15 $ l’heure. En matière de conciliation travail-famille-études, on lui demande de reconnaître que le travail, la famille et les études comportent leurs lots d’exigences et de responsabilités et que des gestes concrets sont nécessaires pour résoudre les nombreux problèmes qui leur sont reliés.

La mise en place de moyens concrets visant à éradiquer l’évitement fiscal des plus riches et des grandes entreprises faisait aussi partie des revendications, tout comme la nécessité d’un virage vers une économie plus verte, fondée sur des énergies renouvelables et un modèle de développement durable, qui favorise une transition juste et qui inclut des mesures d’adaptation au marché du travail pour les travailleuses et travailleurs.

Le message porté par les participantes et participants lors de la manifestation s’inscrivait directement en lien avec le 65e Congrès de la CSN de juin 2017, qui rappelons-le, a tracé la ligne de nos interventions pour les trois années suivantes. L’élection provinciale d’octo­bre 2018 s’était alors avérée incon­tournable en raison de l’importance qu’elle revêt pour tout le Québec.

Le congrès avait ainsi invité les syndicats à réunir leurs membres pour débattre de l’une des propositions contenues dans le manifeste Voir loin, viser juste. L’objectif étant de bâtir une plateforme régionale qui servirait de base aux conseils centraux pour interpeller les candidats et candidates des partis politiques de leur région.

Le Point syndical a choisi de marcher aux côtés d’une travailleuse et d’un travailleur pour qu’ils expriment leurs attentes envers le futur gouvernement. Ils devront être entendus.


J’ai marché avec Érika
Travailleuse du secteur privé

Érika Plante-Jean travaille comme cheffe d’équipe pour le restaurant Aux vivres à Montréal. La jeune femme, qui est aussi présidente de son syndicat, poursuit des études en histoire de l’art.

Dans le cadre de son travail, Érika doit coordonner trois caissières, s’occuper des commandes des clients, gagner la fidélité de la clientèle et même, la faire croître. La demande augmente lorsque l’été se pointe le bout du nez ; la jeune étudiante doit alors faire preuve d’une grande créativité pour gérer les ressources sur le terrain. Comme le taux de roulement de personnel s’emballe, elle est souvent dans l’obligation de mettre les bouchées doubles, voire triples, pour assurer un bon service client. Son statut d’étudiante l’empêche de travailler à temps plein et lui donne du fil à retordre pour joindre les deux bouts. « Le gouvernement a beau augmenter le salaire minimum à 12 $ l’heure, c’est encore nettement insuffisant pour permettre aux gens de vivre, s’exclame-t-elle. Quand on est aux études, c’est pire parce qu’on ne peut pas faire beaucoup d’heures de travail. »

Érika voudrait qu’un prochain gouvernement révise la question des prêts et bourses étudiants. « Je suis limitée dans mon nombre d’heures de travail : si j’en fais trop, on coupe dans le montant de mes bourses. C’est profondément injuste. » Pour cette raison, elle a toujours milité en faveur d’une gratuité scolaire. « J’aimerais pouvoir me consacrer entièrement à mes études et ne pas être obligée de travailler en même temps », souligne celle qui pense prochainement à fonder une famille. « Je ne comprends pas comment il est possible d’avoir un enfant dans une situation comme la mienne. La seule raison qui me permet de croire que je pourrais boucler mes fins de mois, c’est que mon conjoint travaille à temps plein. »

En tant que présidente de son syndicat, Érika est réaliste : les employé-es d’Aux vivres sont encore loin de la coupe aux lèvres pour obtenir le salaire minimum à 15 $ l’heure ou encore 10 jours de congés rémunérés pour responsabilités familiales. « Les employeurs ne sont pas particulièrement généreux. On doit donc absolument passer par les lois et continuer à se faire entendre chaque fois que les occasions se présentent ». C’est d’ailleurs ce qu’elle fait aujourd’hui, alors que la plupart de ses collègues sont retenus au travail puisqu’ils suivent des cours pendant la semaine. « Quand il faut ajouter le militantisme à la question de la conciliation travail-­famille-études, les choses se compliquent pour de bon », conclut-elle en riant.


J’ai marché avec Vianney
Travailleur du secteur public

Vianney Boivin est employé de soutien au cégep de Matane depuis 19 ans. Il est technicien en travaux pratiques en agriculture, mais occupe un emploi de manœuvre depuis 2013, année de l’abolition de la formation en agriculture au cégep où il travaille.

Lorsque je l’ai rencontré, en plein milieu de la manifestation, il était heureux d’être là. Et cela, malgré le fait qu’il s’était levé à 3 h du matin pour partir de chez lui, tout près de Matane, et se rendre à Rimouski afin de monter dans l’autobus du Conseil central du Bas-Saint-Laurent qui prenait la route vers Montréal pour l’occasion.

Je lui ai demandé pourquoi c’était important selon lui d’être là. « Le travail est au centre de nos vies. Et pourtant, les moments où l’on se rassemble pour souligner l’apport des travailleuses et des travailleurs à la société québécoise sont extrêmement rares. C’est un événement important qui brise l’isolement dans lequel nous nous retrouvons de plus en plus, dans nos secteurs d’emploi respectifs. »

Au milieu du bruit de la manifestation, c’était parfois difficile de s’entendre parler, mais Vianney en avait beaucoup à dire sur la détérioration des conditions de travail dans le secteur public. « Les cégeps subissent depuis plus de 20 ans des compressions. On a eu une première vague dans les années 1990 et une deuxième avec l’austérité libérale des dernières années. Sur le terrain, ça se ressent grandement, particulièrement en région. Des abolitions de postes chez nous entraînent automatiquement de la surcharge et le service aux étudiants est immédiatement affecté. »

Pour Vianney, il est clair que l’État doit prioriser l’éducation et reconnaître tous les emplois qui s’y rattachent. « Je suis préoccupé par la marchandisation de l’éducation. Juste dans le langage, on voit que les choses ont changé. On ne parle plus d’étudiants, mais plutôt de « clientèle ». Aussi, on tend de plus en plus vers la sous-traitance, principalement pour les tâches de soutien, sous prétexte qu’elle coûte moins cher. Pourtant, la perte d’expertise dans le réseau entraîne des coûts encore plus importants. »

Avec les élections qui arrivent à grands pas, Vianney a une suggestion fort intéressante pour celles et ceux qui prendront le pouvoir. « Le prochain gouvernement devrait travailler avec les employeurs, au public comme au privé, afin d’encourager la syndicalisation, ou du moins le rassemblement des travailleuses et travailleurs en groupes organisés. Ce serait bénéfique pour le fonctionnement de la société. Dans tous les secteurs d’emploi, les salarié-es peuvent être des moteurs de changement, pour autant qu’ils soient parties prenantes des dé­ci­sions. »