Une éclatante victoire

Le plus long conflit de travail de l’histoire du Québec, voire du Canada, s’est terminé le 7 mai dernier par une remarquable victoire pour quelque 400 travailleuses et travailleurs qui, grâce à l’appui du mouvement CSN, ont fait reculer leur employeur et fait respecter leurs droits.

Au cours de cette journée historique, les 350 syndiqué-es présents à l’assemblée générale ont voté à 92 % pour l’entente de principe intervenue avec Olymel de Saint-Simon, une usine de découpe de porc située en Montérégie. L’entreprise milliardaire, propriété de la Coop fédérée, a été tenue responsable par les tribunaux d’avoir congédié illégalement 407 salarié-es, en avril 2007. Cette entente, qui totalise 9,4 millions de dollars, n’effacera pourtant jamais les séquelles laissées dans le cœur de ces femmes et de ces hommes en raison d’un profond ressentiment à l’égard de cette entreprise qui a fait perdurer le conflit pendant près de dix années.

Pour Jacques Létourneau, président de la CSN : « Un conflit comme celui d’Olymel est la plus belle démonstration qu’il ne faut jamais lâcher. Les travailleurs ont tenu effectivement la minute de plus. Cette combativité est d’ailleurs un principe fondamental à la CSN. Les gens d’Olymel l’ont prouvé : c’est collectivement que nous sommes plus forts. En se tenant solidairement ensemble, avec l’appui de toutes les composantes de la CSN, ces travailleurs ont été capables de faire reculer cette multinationale québécoise. »

Un règlement en trois volets

L’entente comporte d’abord le versement de 8,2 millions de dollars aux travailleuses et travailleurs pour compenser la perte de revenus engendrée par leur mise à pied prématurée six mois avant la fin de la convention collective, prévue en octobre 2007. Malgré une décision arbitrale émise en 2006 lui ordonnant de maintenir ses activités, Olymel avait outrepassé ses droits.

Outre six mois de salaire, l’entente inclut les intérêts accumulés depuis les mises à pied forcées, conformément à une autre sentence arbitrale statuant que la fermeture de l’usine était illégale. Une décision confirmée par la Cour supérieure et, par la suite, par la Cour d’appel du Québec qui a refusé d’entendre la demande de révision d’Olymel. C’est d’ailleurs à la suite de ces échecs cuisants que l’entreprise s’est décidée à négocier un règlement avec le Syndicat des travailleurs d’Olympia, la Fédération du commerce et la CSN.

Par ailleurs, cette entente a permis de mettre fin au lock-out décrété par Olymel en octobre 2007 pour une vingtaine de travailleurs qui avaient été maintenus en poste après la fermeture illégale. Conséquemment, les parties ont signé une nouvelle convention collective qui permettra à une vingtaine de travailleurs de reprendre le travail à l’automne 2017, dans ce qui deviendra dans les prochains mois un mégacentre de distribution d’Olymel. La nouvelle convention sera en vigueur jusqu’en 2024.

Enfin, un dernier litige vieux de 2003 portant sur le paiement d’heures supplémentaires a aussi été résolu. Les travailleuses et travailleurs avaient alors contesté par voie de grief une pratique de l’employeur consistant à contourner une clause sur les heures supplémentaires par la création d’un quart de travail fictif. Cette portion de l’entente comprend un règlement de 1,2 million de dollars à être versés à environ 600 travailleurs à l’emploi d’Olymel à cette époque.

Michel Daigle, ex-travailleur d’Olymel embauché en 1975 et président du Syndicat des travailleurs d’Olympia de Saint-Simon (CSN), ne cache pas sa satisfaction à l’égard de l’entente : « On a vraiment le sentiment du devoir accompli, dit-il. Cette entente est comme un baume appliqué sur l’affront qu’Olymel nous a fait de ne pas avoir respecté la convention collective et d’avoir imposé un si long lock-out. Grâce à la CSN, on a réussi à obtenir ce règlement-là. La seule chose que je n’oublierai pas, par contre, c’est le fait que ç’a duré trop longtemps. Et je pense surtout aux membres qui n’ont pas pu bénéficier de ce règlement de leur vivant. » Quelque 25 travailleurs sont en effet décédés au cours du conflit, avant la conclusion de cette entente. Ce sont leurs ayants droit qui en bénéficieront.

La voix pleine d’émotion, Pierre Lepage, à l’emploi d’Olymel depuis 1985, résume pour sa part l’état d’esprit qui régnait lors de l’assemblée extraordinaire : « Ça fait dix ans que l’usine est fermée. Il y a encore 300 à 400 personnes ici aujourd’hui. On s’est tous battus pour la même affaire. On a gagné parce qu’on s’est tenus debout. Aujourd’hui, ceux qui sont ici, ce sont ceux qui ont fait face à une multinationale avec un chiffre d’affaires de quatre à sept milliards de dollars. On peut être fiers, on est encore debout !

Quelques gains syndicaux réalisés par la CSN
      • 2017 — 407 syndiqué-es CSN congédiés illégalement par Olymel, à Saint-Simon, de même que 25 travailleurs mis en lock-out dix ans plus tôt obtiennent 9,4 millions de dollars en compensations financières.
      • 2014 — 130 travailleuses et travailleurs injustement congédiés par le CRDITED de Montréal ont pu, pour la plupart, réintégrer leur emploi, en plus d’obtenir une compensation totalisant près de quatre millions de dollars.
      • 2013 — Après de nombreuses démarches, les ex-travailleurs de Celanese de Drummondville ont recouvré une somme de près de 8 millions de dollars que l’employeur avait détournés de leur caisse de retraite lors de la fermeture de l’usine en 2000.
      • 2009 — 65 travailleuses et travailleurs du magasin Zellers d’Alma, fermé illégalement en 1995, ont vu leurs droits rétablis après une lutte de près de 15 ans. Une entente comportant d’importantes compensations financières a finalement été conclue hors cour.
      • 1999 — Après une longue saga judiciaire, la CSN a obtenu la réintégration de près de 150 travailleurs de Métro-Richelieu congédiés illégalement des années auparavant, en plus d’obtenir des compensations totalisant plus de 25 millions de dollars.

Parcours d’un conflit

Ce n’est pas d’hier que le bois d’œuvre génère tensions et émotions entre le Canada et son voisin du Sud. Pour mieux comprendre cette guerre commerciale à finir, Perspectives CSN a interviewé Carl Grenier, chargé de cours à l’Université Laval et vice-président exécutif du Conseil du libre-échange pour le bois d’œuvre de 1999 à 2006.


Quelle est l’origine de la crise du bois d’œuvre entre les deux pays ?

Au tournant des années 1980, les prix du bois flambent aux États-Unis. La récession de 1982 accule plusieurs producteurs américains à la faillite alors que nos producteurs continuent d’y vendre leurs produits. Une plainte pour subventionnement (concurrence déloyale) à travers les droits de coupes perçus par les provinces est déposée contre le Canada le 7 octobre 1982 par la Coalition for Fair Lumber Imports (CFLI) devant l’International Trade Administration (ITA), une division du Département du commerce. Le 31 mai 1983, l’ITA rend sa décision : l’industrie canadienne n’est pas subventionnée. C’est le Lumber I.

Insatisfaite, la CFLI dépose une requête semblable en mai 1986 et obtient gain de cause devant l’ITA. Pour éviter des droits compensatoires de 15 % et le risque d’empoisonner les négociations du libre-échange, le Canada accepte d’imposer lui-même une taxe à l’exportation de 15 % qui obtient l’assentiment des États-Unis. Le Lumber II, d’une durée indéterminée, est conclu en décembre 1986.

Comment nos producteurs encaissent-ils le coup ?
Pour diminuer cette taxe, la Colombie-Britannique augmente ses droits de coupe d’un seul coup de 600 millions de dollars et le Québec relève graduellement les siens, si bien qu’après cinq ans, le Québec paye 3,4 % de taxes et la Colombie-Britannique en est exemptée.

Au début de 1991, sous les pressions de la Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral veut mettre fin à l’accord de 1986. La réaction américaine est virulente. Sans attendre le dépôt d’une plainte, le Département du commerce s’appuie sur une clause de la loi américaine habituellement réservée aux pays en développement pour imposer 15 % de taxes au bois d’œuvre canadien. Il ouvre sur-le-champ une nouvelle enquête en subventionnement. Le Canada riposte en se servant d’un mécanisme de règlement des différends prévu au chapitre 19 du traité de l’ALÉNA et a gain de cause. Bill Clinton retire cette taxe et autorise le remboursement intégral des 900 millions de dollars de dépôts canadiens, tout en exigeant la tenue de consultations pour trouver une solution au conflit. Or, les consultations tournent en négociations et le 28 mai 1996, le Lumber III, avec quotas de limites d’entrée du bois canadien aux États-Unis, est signé pour cinq ans.

À l’échéance de cet accord en avril 2001, une nouvelle plainte est déposée par la CFLI. Lorsque le Canada remporte la cause devant l’ALÉNA en juillet 2005, c’est George W. Bush qui en refuse le verdict.

Quelle est la réaction du Canada face à ce nouveau refus des États-Unis de reconnaître la décision des tribunaux ?
Le premier ministre Paul Martin, alors en fin de mandat, a des mots très durs envers le président Bush et se rend à New York, devant l’Economic Club, pour dénoncer l’attitude américaine. Il avait promis des garanties de prêts de 800 millions à l’industrie. Or, les libéraux perdent le pouvoir et Stephen Harper signe avec les États-Unis un accord encore plus restrictif en septembre 2006, pour une période de neuf ans. C’est le Lumber IV. Le Canada doit laisser sur la table un milliard de dollars en droits déjà payés, une véritable rançon. On imagine bien la suite : lorsque l’entente se termine en octobre 2015, la CFLI revient à la charge avec le dépôt d’une plainte de même type en novembre 2016. Nous en vivons actuellement les conséquences.

Quel est le fondement de la plainte de 2016 ?

En plus de subventionnement allégué par le biais des droits de coupes, on reproche aux producteurs canadiens de vendre leur bois aux États-Unis en-dessous du coût de production. En d’autres mots, de faire du dumping. Le Département du commerce a d’ailleurs annoncé en juin une taxe antidumping
de près de 7 % sur le bois d’œuvre canadien, laquelle s’ajoute au droit compensatoire de 20 % qui lui est imposé depuis avril.

L’industrie canadienne a-t-elle raison d’être sur un pied d’alerte ?

Oui, nos exportations pourraient passer de 33 % à 22 % du marché américain du bois d’œuvre. Une telle baisse serait un désastre. Des dizaines d’usines fermeraient et des dizaines de milliers de travailleurs perdraient leur emploi. Déjà, l’accord 2006-2015 avait produit une perte de 20 000 emplois au Québec et d’environ 65 000 au Canada. Cette situation affecterait durement l’économie du Saguenay–Lac-Saint-Jean, de la Haute-Mauricie, de l’Abitibi-Témiscamingue, de la Côte-Nord et de la Gaspésie.

Comment réorganiser l’industrie pour qu’elle se renouvelle ?
Au Québec, le bois d’œuvre est un coproduit de l’industrie du papier. La crise que vivent les médias écrits actuellement a entraîné la fermeture de plusieurs papetières. Le papier surcalandré pour les magazines ou les encarts occupe encore une place intéressante, mais seulement dans un marché de niche. Par ailleurs, des ressources importantes sont consacrées à la recherche et au développement, notamment pour mettre au point des produits biotechnologiques ; les retombées commerciales de ce virage ne sont toutefois pas pour demain. Dans l’immédiat, il faut promouvoir l’utilisation des produits de troisième transformation, comme les bois d’ingénierie. À Québec, on est en train de construire pour la première fois un immeuble à condos de 12 étages à partir de ce bois. On peut aussi réactualiser les produits de troisième transformation plus anciens, en construisant par exemple davantage de maisons usinées. Cela dit, nous ne consommons qu’environ 20 % de notre bois d’œuvre. Il faudrait utiliser notre bois sur une plus large échelle au pays et développer de nouveaux marchés d’exportation pour éviter de dépendre autant des États-Unis.

Quelles cartes le Canada peut-il jouer dans ce contexte ?
Il est hasardeux de faire des prévisions pour l’instant. Robert Lighthizer, le représentant au Commerce américain, a placé le dossier du bois d’œuvre au sommet de sa liste des priorités en prônant la ligne dure envers le Canada. Il tient à régler la crise avant la renégociation de l’ALÉNA, qui doit être lancée à la mi-août. Si les deux questions doivent se chevaucher, on risque d’y perdre beaucoup. On connaît la volonté belliqueuse du gouvernement Trump sur l’ALÉNA et son intention de se débarrasser du chapitre 19 qui régit les conflits liés aux exportations.

Le Canada doit évoquer les besoins des Américains pour le bois canadien. Les États-Unis ne sont plus autosuffisants depuis plus d’un siècle. En période de croissance économique, la demande américaine augmente. L’imposition d’une taxe ou d’un quota fera diminuer les exportations et créera une rareté ainsi qu’une hausse du prix de la ressource. Les consommateurs américains seront pénalisés, sans compter la perte d’emplois aux États-Unis. Ce sont des arguments dont la ministre Freeland devra se servir. D’ailleurs, elle doit consulter les provinces et l’industrie canadienne sur les positions à défendre durant la négociation. Cela dit, la Colombie-Britannique qui compte pour 60 % du bois d’œuvre canadien exporté aux États-Unis donne souvent le ton dans ces négociations.

Quel est le rôle de la CSN dans cette crise ?

La CSN siège avec des représentants des trois paliers de gouvernement, de l’industrie et des travailleurs forestiers à la Table de concertation pour le bois d’œuvre. L’union des forces a permis d’adopter un plan pour soutenir notre industrie forestière et nos 60 000 travailleurs. Les acteurs à la table doivent continuer à se coordonner pour que le gouvernement fédéral intègre leurs revendications communes dans sa négociation imminente avec les États-Unis.

Rappelons que le Québec s’est doté depuis 2013 d’un régime forestier innovateur en vendant 25 % du bois provenant des forêts publiques à l’encan et en appliquant au 75 % du bois restant les prix obtenus durant ces encans. À la CSN, nous continuerons à nous battre pour que la spécificité du régime forestier du Québec soit reconnue. – Jacques Létourneau, président de la CSN

L’environnement au secours des emplois

Quand Tembec inc. a fait faillite en septembre 2008, fermant ainsi les portes de ses sept usines canadiennes, l’avenir semblait sombre pour le Témiscamingue et les quelque 200 travailleuses et travailleurs de la région qui se retrouvaient soudainement au chômage.

C’est la ténacité hors du commun de Vincent Cousineau, président du STT de Temfor (FIM–CSN), qui a non seulement redonné vie à l’usine de Ville-Marie, mais a offert un vent d’espoir à sa région tant aimée. Pour lui et ses camarades de l’usine Temfor, il n’était pas question de plier l’échine devant la mort annoncée de leur usine ni de voir disparaître des emplois de qualité dans leur région. Le syndicat a amorcé un processus pour racheter l’usine dès le moment de la déclaration de faillite. C’est à la suite de ces démarches que l’usine est devenue une coopérative de travailleurs actionnaires (CTA), et a rouvert ses portes en 2010. M. Cousineau a travaillé d’arrache-pied, sans salaire pendant près de deux ans, pour solliciter l’appui d’investisseurs locaux et pour se doter d’un plan qui permettrait à l’usine de faire des économies suffisamment importantes pour recouvrer une bonne santé financière.

Les économies qui sont venues appuyer la relance de l’usine ont pris forme à travers des mesures environnementales, prouvant une fois de plus que ce qui est bon pour la terre peut aussi être bon pour les finances d’une entreprise. Ici, l’accompagnement de Mireille Pelletier, conseillère en environnement au Service des relations du travail de la CSN, a permis au syndicat de cibler certaines mesures et de chiffrer les économies qui en découleraient.

Parmi les mesures mises en œuvre par l’usine de poutres lamellées, notons la vente de sciure, l’achat d’une chaudière à biomasse pour récupérer les écorces, et l’utilisation d’une colle moins toxique lui donnant le droit de se servir de certains résidus comme biomasse. Ces décisions se traduisent non seulement par une réduction importante de leurs coûts de production, mais aussi par des revenus supplémentaires de près d’un million de dollars par année.

Le cœur du Témiscamingue

« Quand l’usine a rouvert ses portes, c’était la joie totale », relate Lucille Lessard, vice-présidente du STT de Temfor et épouse de Vincent Cousineau. « J’y travaille depuis vingt-huit ans, Vincent, lui, depuis 1982. Nos deux enfants sont passés par ici aussi, et notre fille y est toujours avec nous. Au fond, cette usine, c’est notre troisième bébé. Les années suivant sa fermeture ont été excessivement dures. Vincent n’avait plus de salaire ni de chômage et on avait peur de perdre notre maison. Mais il a travaillé très fort pour faire valoir sa vision et donner une nouvelle chance à Temfor. C’est pas mal grâce à lui si l’usine marche aujourd’hui. »

Pour le couple, il était inconcevable de ne rien faire face à la fermeture de l’usine. La vitalité de leur région en dépendait. « Personne ne serait ici sans l’usine, nous confie M. Cousineau. La garder ouverte, c’était notre devoir et c’était un cadeau à la prochaine génération. Si tu viens visiter la région, tu ne voudras plus partir, tu vas vouloir rester avec nous autres. C’est la raison pour laquelle nous devons conserver notre héritage témiscamien. On veut garder les jobs ici et nous allons tout faire pour les protéger. »

Sept ans après sa réouverture, l’usine est en excellente santé financière. Les membres du STT Temfor sont très reconnaissants du travail et de la persévérance de leur président. Et après 35 ans de mariage et une période particulièrement difficile, que pense Mme Lessard du travail syndical de son époux ? « Vincent, c’est un homme extraordinaire. Un aidant naturel, là pour tout le monde, n’importe quand. Je peux vous dire que je suis bien fière de l’avoir marié. »

Un premier rendez-vous fédérateur

Réunir quelque 500 personnes passionnées d’éducation et inquiètes des dérives actuelles en enseignement supérieur pour marquer un temps d’arrêt et réfléchir à l’avenir : voilà l’objectif atteint lors du lancement des États généraux de l’enseignement supérieur (ÉGES) tenus à l’Université Laval à Québec en mai dernier.

S’il a été aisé de rassembler autant de participants — bien davantage que dans les plans originaux des organisateurs — c’est signe que les artisans du réseau, ceux qui le construisent au quotidien, de même que celles et ceux qui le fréquentent, désirent s’exprimer sur sa pérennité et dénoncer les maux qui le rongent un peu plus chaque année : la marchandisation, l’austérité ambiante et la privatisation du mode de gestion.

Une table ronde, de grandes conférences thématiques et des ateliers participatifs ont favorisé les échanges pendant trois jours. Le collectif des vingt-cinq a regroupé des organisations professionnelles, étudiantes et syndicales dont la Fédération des professionnèles (FP–CSN), la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP–CSN) et la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ–CSN), initiatrice des ÉGES. Elles s’étaient donné le mandat de trouver une vision commune et de se fédérer, malgré les différences de point de vue sur certains enjeux, afin d’exiger que le gouvernement du Québec remette le cap sur l’essence même de la mission de l’enseignement supérieur. Pari réussi.

Cesser la marchandisation de l’éducation

Participants et panélistes ont déploré unanimement la volonté manifeste de réduire les institutions du savoir à des pépinières de travailleuses et travailleurs préparés uniquement à répondre aux besoins du marché de l’emploi. « Le réseau subit des pressions dues à une logique marchande. Les entreprises réclament qu’il y ait une adéquation entre leurs besoins à court terme en entreprise et les formations offertes. Mais la mission de l’enseignement supérieur est bien plus ambitieuse que ça », rappelle Véronique De Sève, vice-présidente de la CSN. S’il est nécessaire de gagner sa vie grâce, notamment à l’obtention d’un diplôme postsecondaire, les cégeps et les universités doivent toutefois viser à former des citoyennes et des citoyens à part entière, critiques, informés, capables de vision. En cela, le collectif admet sans détour que la marchandisation de l’éducation, une tendance lourde, est un travers à combattre ensemble, solidairement.

Pour ce faire, il faut la volonté politique d’assurer une plus grande accessibilité pour toutes et tous à l’enseignement supérieur, et partout sur le territoire québécois, un enseignement de qualité inscrit dans la tradition humaniste du rapport Parent. « L’éducation, c’est d’abord et avant tout un droit humain. Ce n’est pas une marchandise, les étudiantes et étudiants ne sont pas une clientèle. C’est un service public et c’est comme ça qu’il doit s’incarner dans la société. Il faut sortir d’une vision managériale, clientéliste ou utilitariste. Actuellement, on constate une course à la “clientèle” des étudiants internationaux, par exemple, parce qu’ils sont source de revenus. Sommes-nous devenus une business ou sommes-nous toujours, en 2017, des institutions au service de la population du Québec, comme le voulaient celles et ceux qui ont bâti le réseau ? », questionne Caroline Senneville — à l’époque présidente de la FNEEQ–CSN, aujourd’hui vice-présidente de la CSN —, en exergue des trois grandes conférences thématiques portant sur la mission du réseau, l’accessibilité et le financement public.

Austérité ambiante

Depuis plus de deux décennies, le financement du gouvernement québécois ne suit plus les coûts du système. Des compressions de plus d’un milliard de dollars dans le réseau universitaire et de 155 millions dans les cégeps compromettent leur capacité à contribuer pleinement au développement économique, social et culturel du Québec. L’austérité, omniprésente, créée de toutes pièces par les politiciens au pouvoir, réduit lamentablement les services que l’État doit rendre à sa population et atrophie le financement adéquat des réseaux collégial et universitaire. Et quoi qu’en dise le gouvernement du Québec, les crédits supplémentaires annoncés dans le budget 2017-2018 sont loin de rétablir la situation. Plus cynique encore, le rehaussement du financement général des établissements d’enseignement supérieur annoncé dans le dernier Plan économique du Québec « n’engage » le gouvernement libéral que s’il est réélu en 2018 !

Les conséquences se répercutent partout : situation de précarité pour les individus et les établissements, dévoiement des missions, dégradation des conditions d’enseignement, de recherche et d’études, ainsi qu’une montée d’un centralisme autoritaire dans l’administration des établissements, ce qui a immanquablement transformé les orientations des institutions.

Privatisation du mode de gestion

Le contexte d’austérité a favorisé le développement de tensions dans les établissements. Les nouvelles pratiques de gouvernance soutiennent la montée d’une gestion autoritaire qui se traduit par une judiciarisation croissante des conflits et des rapports entre les acteurs et le recul de la collégialité et de la liberté académique. La liberté de parole et la représentation de la communauté universitaire dans les instances sont en péril. La censure contamine nos institutions. On tente même d’évincer des conseils d’administration les voix dérangeantes, celles qui questionnent et celles qui critiquent.

Celles et ceux qui sont préoccupés par l’avenir de l’éducation au Québec n’ont pas le choix : ils doivent réunir leurs forces pour exiger des changements majeurs dans la manière de financer, d’administrer et de développer l’enseignement supérieur. C’est là le premier consensus des États généraux de l’enseignement supérieur. Le second : la création d’un espace politique autonome, horizontal et non partisan, à l’image de ce premier rendez-vous des ÉGES qui a favorisé la libre expression. « Ces consensus reposent, notamment, sur la solidarité entre toutes et tous et sur la reconnaissance pleine et entière du travail des divers groupes de personnel et de la précarité professionnelle, émotive et matérielle, tant chez les étudiantes et étudiants que chez les travailleuses et travailleurs », souligne Johanne Cadieux, présidente du Secteur soutien cégep de la FEESP–CSN.

Un plan d’action et un second rendez-vous déjà en chantier

Pour les participantes et participants, le temps n’est plus aux constats, mais bien aux propositions et à l’action. Ce premier rendez-vous des ÉGES a été marqué par la dénonciation du malaise qui mine l’enseignement supérieur. En ce sens, le mandat donné au collectif des 25 partenaires est sans équivoque. Il faut consolider les forces et échafauder un plan détaillé de lutte. Un comité de mobilisation et d’information pourrait être rapidement créé pour favoriser la participation des différents groupes dans la conception et la création d’outils de mobilisation et de réflexion collective. Les étudiants, les professeurs, les chargés de cours, les étudiants salariés, les tuteurs, le personnel de soutien et les professionnels convergeront tous vers un même objectif : faire de l’éducation une véritable priorité nationale.

Il y a urgence d’agir et des gestes concrets seront posés dans les prochains mois. « La campagne électorale provinciale de 2018 est le moment idéal pour placer nos demandes et faire valoir les éléments fondamentaux qui vont constituer nos revendications communes. Surtout, on ne veut pas se battre seulement contre quelque chose, mais plutôt se battre POUR quelque chose : POUR l’enseignement supérieur », précise Louise Briand, vice-présidente du secteur universitaire à la FP–CSN.

D’ailleurs, un second rendez-vous se prépare pour porter l’enjeu de l’enseignement supérieur au cœur du débat public.

Un engagement pour changer une vie

La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents met l’accent sur la réparation, à la différence de la loi en vigueur pour les adultes qui opte pour une perspective plus punitive. Pour les jeunes contrevenants, la loi privilégie deux voies de réparation : la réparation auprès des personnes concernées par le délit, ou bien, lorsque cela n’est pas possible, celle auprès de la communauté.

La CSN évalue actuellement la possibilité de développer un partenariat avec l’Association des organismes de justice alternative du Québec (ASSOJAQ). Une entrevue a été réalisée pour Perspectives CSN par Céline Fantini auprès de Daniel Beaupré, qui est membre de l’Association des concierges des écoles du district de Montréal (ACEDM) depuis 20 ans. Il accompagne depuis près de 19 ans des jeunes contrevenants dans le cadre des travaux qu’ils doivent réaliser afin de réparer les torts qu’ils ont causés à la suite d’un comportement délictueux. Il collabore avec l’organisme de justice alternative Trajet, membre de l’ASSOJAQ.

Pouvez-vous nous parler de votre engagement syndical ?

— Le plus souvent possible, je vais aux rencontres syndicales, je trouve qu’ils font du très bon travail dans le sens où ils mettent beaucoup de temps et d’énergie. Mon engagement syndical répond à un besoin d’appartenance : avec le syndicat, nous nous rendons compte que nous ne sommes pas seuls. C’est vraiment comme une famille du travail. C’est une fierté de savoir que l’on est soutenu par des gens qui travaillent fort pour améliorer nos conditions de travail et de vie.

Faites-vous un lien entre votre engagement syndical et votre engagement auprès des jeunes contrevenants ?
— Ces jeunes-là sont les adultes, les travailleurs et les dirigeants de demain. Je considère que ce sont peut-être de futurs confrères qui feront partie de notre syndicat un jour, alors je trouve que c’est naturel de m’impliquer auprès d’eux. Si on leur donne une base, ils seront capables de mieux faire leur travail et de mieux s’intégrer dans la communauté.

Pouvez-vous nous dire qui sont les adolescents que vous accompagnez ?

— Ce sont souvent des jeunes très intéressants, mais juste mal intégrés. Ils sont inquiets, ils n’ont pas confiance en eux et ne savent pas comment foncer dans la vie. Ils ont besoin d’un coup de main pour s’intégrer, car souvent, ils ne savent pas comment faire. Cela peut être juste de leur donner une chance de voir le monde d’un autre œil, de leur transmettre de l’espoir et de leur montrer comment prendre leurs responsabilités.

Après toutes ces années, qu’est-ce qui maintient intacte votre flamme ?

— Même si je ne revois pas toujours ces adolescents-là par la suite, je sais que par ma manière de travailler et à travers nos discussions, je les ai aidés. On sait que l’on a fait du bien, mais on ne sait pas à quel niveau. Comme quelqu’un qui fait un don anonyme. Quand un jeune me dit « tu sais Daniel, pendant le temps qu’on était ensemble, ce que tu m’as dit, j’ai trouvé ça vraiment bon, ça donne un but à ma vie, et là, j’ai décidé de retourner aux études ! » Comment ne pas trouver ça fantastique ? Tant mieux si j’ai pu aider ces jeunes à (ré)intégrer la route, cela peut juste faire un monde meilleur.

Recommanderiez-vous l’expérience à d’autres ?

— Tout à fait ! Je trouve que c’est une belle expérience personnelle. Il est possible d’aider quelqu’un dans le cadre de son travail, et ça demande peu de temps. On ne mesure pas toujours l’impact positif qu’on peut avoir sur ces adolescents, mais quand on est ouvert à eux et que l’on prend le temps de les écouter, ça compte vraiment.


Céline Fantini est chargée de projet pour l’ASSOJAQ

Une forme d’exploitation « Made in Québec »

Comme chaque année, ce sont plusieurs milliers de travailleurs migrants saisonniers qui arrivent avec le printemps dans les zones rurales du Québec.

Venant principalement du Mexique et du Guatemala, ces travailleuses et travailleurs viennent combler la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur agricole. Du moins, ce sont là les prétentions des gouvernements du Canada et du Québec. La réalité, quant à elle, indique plutôt que ce sont les conditions de travail difficiles qui font que les Québécoises et Québécois ne répondent pas à l’appel des employeurs agricoles.

Au cours des dix dernières années, le nombre d’étrangers qui ont obtenu des permis de travail temporaire, soit par le volet agricole du Programme des travailleurs étrangers temporaires peu spécialisés (PTÉT-PS) ou le Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS), a presque doublé. Les chiffres de 2016 font état de près de 10 000 travailleurs du Mexique et du Guatemala embauchés par les producteurs agricoles québécois. Avec la croissance importante de cette main-d’œuvre, on aurait pu s’attendre à ce que des mesures soient mises en place pour améliorer la qualité de vie de ces ouvriers, ce qui n’est pas le cas.

Du rêve à la dure réalité

Journées de travail de 12 heures et plus, salai­res dérisoires, exposition à des produits toxiques, logements exigus et parfois insalubres : le quotidien des travailleurs migrants dans le domaine de l’agriculture est souvent bien loin de ce que les agences de placement leur promettent lorsqu’elles les recrutent dans leur pays d’origine.

Selon Noé Arteaga, intervenant au Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI), la situation est très préoccupante. « Malheureusement, on ne constate pas d’amélioration des conditions de travail. Ce qu’on voit, c’est surtout une plus grande médiatisation des enjeux qui touchent les travailleurs agricoles saisonniers. Nous avons quand même espoir que cette publicisation amène plus de gens à se préoccuper du sort de ces travailleurs et que cela entraîne de réelles avancées sur le terrain. »

Et la syndicalisation ?

Contrairement à plusieurs autres provinces, le Québec ne dispose pas d’une législation qui encadre la protection des droits des travailleurs migrants. De plus, pour les ouvriers agricoles saisonniers du Québec, la lutte pour le droit à la syndicalisation ressemble à un véritable chemin de croix.

En 2010, après 10 ans de lutte, l’ancienne Commission des relations du travail (CRT), aujourd’hui le Tribunal administratif du travail (TAT), ouvrait enfin la porte à la syndicalisation des milliers de travailleurs étrangers embauchés par des producteurs agricoles québécois. La CRT accordait alors le droit de se syndiquer à six travailleurs mexicains employés par la ferme L’Écuyer & Locas de Mirabel, dans les Laurentides. La décision déclarait inconstitutionnel un article du Code du travail qui empêchait l’accréditation des travailleurs d’une ferme lorsque celle-ci n’employait pas ordinairement et continuellement au moins trois personnes. La CRT concluait que l’article en question était contraire aux articles des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés garantissant la liberté d’association.

Un jugement rendu par la Cour supérieure en mars 2013 venait confirmer cette décision, permettant ainsi la syndicalisation de tous les travailleurs agricoles, peu importe la taille de l’entreprise qui les embauche et le caractère temporaire ou permanent de leur travail.

Malheureusement, les réjouissances furent de courte durée puisqu’en juin 2014, Sam Hamad, alors ministre du Travail, présentait le projet de loi 8, qui venait limiter à nouveau le droit des travailleurs saisonniers agricoles de se syndiquer. Cette loi, adoptée en octobre de la même année, ramène la notion d’un minimum de trois salarié-es permanents pour permettre la syndicalisation des employé-es d’une entreprise. Pour les travailleurs dont la situation d’emploi ne répond pas à cette exigence, la loi 8 propose la possibilité de former des « associations ». Cesdites associations n’ont évidemment pas le droit de grève et ne sont pas reconnues par le Code du travail, ce qui les prive d’un quelconque rapport de force.

Tracer la voie vers l’autonomisation

Pendant que les cours de justice et les politiciens se renvoient la balle, les ouvriers agricoles voient leurs droits bafoués, année après année. « Pour les travailleurs migrants temporaires, un des plus grands défis, c’est l’accès à l’information. Comment peuvent-ils jouir de leurs droits sans l’information adéquate et sans les ressources pour les défendre », se questionne M. Arteaga.

Dès leur arrivée, ces travailleurs qui ne parlent qu’espagnol sont amenés en région et se retrouvent isolés, avec comme seuls interlocuteurs l’employeur et un représentant de l’organisation FERME (Fondation des Entreprises en Recrutement de Main-d’œuvre agricole Étrangère). Cette organisation toute-puissante, qui est essentiellement une agence de placement représentant plus de 350 producteurs agricoles, fournit très peu, ou pas du tout, de documentation aux nouveaux arrivants. Selon M. Arteaga, FERME fait définitivement partie du problème. « Cette organisation ferme les yeux sur la discrimination systémique subie par les travailleurs. Sa mission est claire : défendre les intérêts des producteurs. Au CTI, nous croyons qu’une formation donnée aux ouvriers étrangers dès leur arrivée, par des organisations de défense des droits, pourrait améliorer grandement le sort de cette main-d’œuvre agricole. Une chose est sûre, pour qu’un vrai changement s’opère, ça prendra une mobilisation large pour soutenir ces travailleurs vulnérables. » La CSN, qui soutient le CTI depuis plusieurs années en donnant un appui pour le développement de projets axés sur l’action collective, sera de cette mobilisation.


L'histoire de Noé
Photo : Michel Giroux

Noé Arteaga arrive au Québec en avril 2008 en tant que travailleur étranger temporaire. Recruté dans son pays natal, le Guatemala, par une agence canadienne de placement d’ouvriers agricoles, il devient employé du producteur de tomates Savoura et commence à travailler dans les serres de l’entreprise à Saint-Étienne-des-Grès, tout près de Shawinigan.

Au mois de juillet, un de ses collègues chargé de l’épandage de pesticides, tombe gravement malade. À la suite du refus de l’employeur d’amener le travailleur à l’hôpital, M. Arteaga organise un arrêt de travail auquel participe la majorité des employés des serres. Il interpelle aussi son superviseur au sujet des horaires qui forcent les ouvriers à travailler jusqu’au milieu de la nuit, en pleine noirceur, puisque l’entreprise a choisi de ne pas éclairer les serres pour sauver des coûts d’électricité.

Quelques jours plus tard, au début du mois d’août, M. Arteaga reçoit un avis de congédiement. Un représentant du Consulat du Guatemala l’appelle et lui dit de faire sa valise, sans lui donner aucune autre information sur les raisons de son départ imminent. Le lendemain, il est amené à l’aéroport et mis sur le premier avion pour le Guatemala.

En 2009, Noé Arteaga revient au Québec et entame une poursuite contre Savoura pour congédiement illégal. Le 11 décembre 2014, après cinq ans de procédures judiciaires, Me Francine Lamy, du Tribunal d’arbitrage de la CRT, statue que le congédiement de M. Arteaga était injustifié. Dans sa décision, Me Lamy affirme « que le plaignant a été victime de discrimination interdite dans ses conditions de travail et dans le contexte de son renvoi, car fondée sur son origine ethnique et nationale et sa langue, en contravention avec la Charte des droits et libertés de la personne ».

Pour M. Arteaga, c’est une victoire importante, même s’il n’a touché aucune compensation financière en raison de la faillite de Savoura, en mars 2015. Mais, ajoute-t-il, ce n’est que le début de la lutte : « Pour un cas comme le mien, avec un dénouement heureux, il y a des centaines de vies brisées. Des migrants pour lesquels leur séjour au Canada est un réel cauchemar qui se vit en silence. Nous devons mettre fin à cette forme sournoise d’exploitation et nous assurer que les droits de ces travailleurs sont respectés, sans discrimination. »

Débattre d’un plan d’action

Alors que la CSN s’apprête à tenir son 65e Congrès, une petite révolution est en cours dans l’organisation de cet événement triennal, puisqu’on a mis de côté l’approche traditionnelle et classique où la direction de la CSN soumet des propositions qui seront par la suite débattues au congrès. Coup d’œil sur cette transformation qui sera mise à l’épreuve du 5 au 9 juin prochain, au Palais des congrès de Montréal.

À la blague, le président Jacques Létourneau soutient qu’il pourrait déposer des projets de loi et réécrire trois budgets sans problème. « On a tout voté à la CSN », lance-t-il avec un grand sourire. N’empêche, c’est avec beaucoup de sérieux et de volonté qu’il souhaite apporter au prochain congrès un vent de renouveau. « On veut éviter un débat de virgules et de positions parfaites. On veut un débat sur un plan d’action concret. »

Pour ce faire, la direction s’y est pris six mois plus tôt qu’à l’habitude. Donc, depuis l’automne dernier, la CSN a proposé cinq grandes orientations à ses syndicats membres : sécuriser le revenu tout au long de la vie, développer l’économie et créer des emplois de qualité, lutter contre les changements climatiques, consolider les services publics et renforcer la démocratie. Les syndicats de la CSN ont été invités à se prononcer sur divers sujets en répondant à un questionnaire ; 25 % d’entre eux ont répondu à l’appel. Un taux de participation très satisfaisant, selon Jacques Létourneau, étant donné qu’il s’agit d’une première et que cette consultation a coïncidé avec le vote d’allégeance syndicale dans le secteur de la santé et des services sociaux.

Ainsi, 97 % des répondants souhaitent une réforme majeure de la Loi sur les normes du travail, en commençant par le salaire minimum, les congés pour responsabilités familiales et les congés de maladie. Quelque 97 % d’entre eux soutiennent également le droit à la formation continue et au perfectionnement tout au long de la vie. Parmi les recommandations ayant obtenu un taux un peu plus faible de réponse, on trouve l’octroi d’une aide financière publique adéquate et la mise en place de mesures réglementaires pour assurer la production d’une information de qualité et diversifiée au Québec (86 %), et l’élaboration d’un plan d’action crédible visant l’élimination de notre dépendance aux hydrocarbures dans une perspective de transition juste (85 %).

À partir de ces réponses, un manifeste sera rédigé et présenté au comité précongrès et ensuite aux syndicats lors d’une tournée régionale en mai. Les participants n’auront jamais été aussi bien mis au parfum avant le congrès. « Ça ne sera pas tant un congrès d’orientation que de tactiques et de moyens à mettre en branle. Les militantes et militants seront mieux préparés que jamais à débattre, et c’est tant mieux, parce qu’on aime ça, les débats ! », soutient celui qui présidera l’événement pour une deuxième fois. Le congrès laissera donc toute la place nécessaire à l’adoption d’un plan d’action relatif au manifeste.

Une des raisons pour lesquelles le plan d’action est important, c’est que les élections approchent rapidement. En 2018 au provincial et l’année suivante au fédéral. « Alors que le dernier congrès avait été marqué par les conditions de travail des travailleuses et des travailleurs non syndiqués, je crois que l’enjeu majeur de ce congrès sera le danger de l’austérité permanente, de l’américanisation de la société québécoise et de la détérioration du déficit social », prévoit l’économiste et adjointe au comité exécutif, Josée Lamoureux.

« Dans un contexte de corporatisme et d’individualisme, la question politique est plus que jamais importante. Notre pari est de démontrer qu’il y a un lien très étroit entre la politique et la condition générale des travailleurs et des travailleuses. Avec la gang au pouvoir actuellement, le salaire minimum à 15 $ l’heure ne verra pas le jour avant… 2029 ! Si les libéraux sont réélus, ils vont continuer à mettre de la pression constante sur les réseaux publics et les sociétés d’État. Ils n’ont pas bougé d’un iota de leur plan de match initial même s’ils ont quelques milliards en surplus. Ils sont orientés de la même manière », renchérit avec vigueur Jacques Létourneau.
Lors du congrès, qui devrait accueillir plus de 2000 participants, la CSN lancera officiellement son manifeste. « C’est un document qui se veut une déclaration politique et syndicale. Bien sûr, on souhaite que chaque parti se prononce et se commette sur les thèmes du manifeste, mais celui-ci aura une vision au-delà des élections. Ça ne sera pas juste des attaques contre les libéraux », explique Josée Lamoureux.

Ultimement, le président de la CSN espère que les syndicats transposeront quelques priorités du congrès dans leurs propres assemblées générales afin qu’ils s’approprient des actions politiques. « Il faut aller dans les milieux de travail. Il faut parler davantage de politique, pas juste de convention collective. Même si tu as un contrat de travail en béton, comment peut-il résister et survivre si tout l’environnement autour est austère et moribond ? Pas de création d’emplois, pas de développement, pas d’investissement dans les services sociaux et les services publics ? Il faut que les syndicats, dans chaque région, puissent être capables d’interpeller les élus ou les candidats — de tout parti politique — sur des enjeux qui les touchent directement, mais qui interpellent aussi l’ensemble des travailleurs et des travailleuses. »


Consultations précongrès

Sécuriser le revenu tout au long de la vie

L’un des principaux enjeux est la Loi sur les normes du travail qui est entrée en vigueur en 1980 et qui est aujourd’hui mal adaptée aux enjeux du monde du travail d’aujourd’hui. À 10,75 $ l’heure en travaillant à temps plein, un salarié se trouve quand même sous le seuil de faible revenu. Même si la loi s’adresse d’abord aux travailleuses et travailleurs non syndiqués, elle a aussi un impact sur les conditions des travailleurs syndiqués.

Développer l’économie et créer des emplois de qualité

La CSN est toujours en attente d’une politique industrielle cohérente alors que le secteur manufacturier a perdu plus de 160 000 emplois entre 2002 et 2015. Alors que les emplois atypiques prennent de l’ampleur (37 % des emplois en 2015) et que près de 75 % des employé-es dans le secteur privé ne sont pas syndiqués, toute personne doit pouvoir rehausser son niveau de qualification pour élargir ses perspectives d’emploi, soit par l’accès à l’éducation soit par la formation continue.

Lutter contre les changements climatiques

L’abandon des énergies fossiles aura des répercussions sur les emplois existants. Toutefois, le virage vert peut aussi être créateur d’emplois puisqu’il exigera la mise en place de nouvelles technologies et de nouveaux procédés. L’État doit intervenir pour que cette transition soit juste et encourager les entreprises à devenir des précurseurs de la lutte contre les changements climatiques.

Consolider les services publics

À l’heure où les besoins de réinvestissement sont criants dans tous les secteurs, la CSN croit que le Québec doit tourner le dos à l’austérité. Toute baisse d’impôt pour les entreprises et les particuliers, particulièrement les plus riches, doit être écartée. La consolidation des revenus à long terme est aussi nécessaire, notamment en intensifiant la lutte contre l’évasion fiscale et les paradis fiscaux et en ajoutant des paliers d’imposition pour les plus fortunés.

Renforcer la démocratie

Alors que la population est de plus en plus désabusée envers la classe politique et que le taux de participation aux élections demeure faible, la CSN croit que la mise en place d’un mode de scrutin proportionnel mixte permettrait de mieux refléter la volonté de la population. De plus, pour assurer une vitalité démocratique, la population doit avoir accès à une information de qualité et diversifiée. L’État doit donc intervenir dans ce contexte de concentration des médias et de domination des géants technologiques à l’ère numérique.

Un joyau à connaître

Le fonds d’appui aux luttes de la CSN, connu sous le nom de Fonds de défense professionnelle (FDP), a toujours su s’adapter afin de remplir sa mission principale : fournir à ses syndicats affiliés un soutien financier pour pouvoir améliorer les conditions de travail de leurs membres et leur permettre, lorsque nécessaire, de tenir la minute de plus. Regard sur un outil de solidarité unique, et parfois méconnu, adopté par les membres de la CSN il y a déjà 65 ans.

Le Fonds de défense professionnelle est une étiquette, une sorte d’appellation CSN, qui distingue notre centrale de toutes les autres organisations syndicales au Québec. Les membres de la CSN ont créé, au fil des ans, un levier puissant pour mieux traverser les situations difficiles de leur vie syndicale.

Malgré les périodes de turbulence finan­cière qui ont marqué l’évolution de ce fonds, une constante demeure : la volonté des membres de contribuer de façon équitable et solidaire à une caisse dont le modèle est unique dans le monde syndical. En ceci, les syndiqué-es de la CSN jouissent d’un soutien financier concret, d’un outil de solidarité et de résistance qui leur donne tous les moyens pour affronter les coups bas dont ils sont souvent la cible.

Solidaires depuis 1952

Lorsque des conflits de travail éclatent durant les années 40 et 50, la Confédération des travailleurs catholiques du Canada — ancêtre de la CSN —, qui veut appuyer ses membres en grève par le versement d’une prestation de soutien, est souvent contrainte de se renflouer auprès de ses organisations affiliées. Le principe de création du FDP est adopté durant le congrès de 1948, mais il faut attendre 1952 pour que les premières cotisations mensuelles soient prélevées ; celles-ci s’élèvent alors à 10 cents par membre. « Les cotisations étaient loin de couvrir les très nombreux conflits qui éclataient, évoque le trésorier de la CSN, Pierre Patry. Cette situation provoque, au fil des ans, l’endettement progressif du Fonds. » L’équation entre le coût des services fournis et le total des cotisations reçues est fortement débalancée.

Au cours de sa première décennie d’existence, les cotisations au FDP font donc l’objet de nombreux ajustements. Entre 1952 et 1955, elles passent de 10 à 30 cents. En 1957, la formule est à nouveau modifiée pour s’établir, selon le salaire annuel moyen, entre 35 et 85 cents. Malgré ces changements, un constat se dégage en 1958 : le FDP n’arrive toujours pas à répondre aux nombreuses demandes des syndicats en conflit. La CSN se retrouve souvent dans l’obligation d’organiser des campagnes et des collectes de fonds ; elle doit en plus solliciter des dons ou des prêts pour remettre le Fonds à flot. Des opérations de sauvetage comme la campagne du 6 millions en 1981 sont lancées pour aider le fonds à équilibrer ses dépenses. Les bouleversements que connaît la CSN entre 1972 et 1975, et qui provoquent une baisse importante du nombre de membres, ébranlent fortement le mouvement. Dans cette optique, l’idée d’établir une cotisation à pourcentage, qui plane depuis la création du FDP, est adoptée en 1978 et conduit à la stabilisation du Fonds. Cette formule lui permet de constituer une réserve et d’affronter les soubresauts et les périodes chaudes de l’action syndicale.

Le FDP ajuste le tir

À ses débuts, l’objectif du Fonds de défense professionnelle consiste à assurer un bas de laine pour les syndiqué-es en conflit. Au tournant des années 70, la façon dont le Fonds épaule les luttes commence peu à peu à emprunter d’autres formes. À cette époque, Marcel Pepin appelait les syndicats non seulement à militer pour leurs conditions de travail, mais aussi à élargir leur action afin de contrer les injustices systémiques à l’égard des travailleuses et des travailleurs. Cette philosophie du deuxième front conduit la CSN à organiser de vastes campagnes pour contrer les attaques gouvernementales de tous genres. Financées par le FDP, celles-ci visent à assurer la pérennité des services publics et à maintenir les emplois des salarié-es dans ces secteurs. Elles ont également pour motif de protéger l’accès à des services publics de qualité. Refusons l’austérité, Ma place en santé, j’y tiens et Tous amis de Radio-Canada figurent parmi les récentes campagnes du genre.

À partir des années 70, l’importance de lutter sur le deuxième front requiert des ressources du Fonds, car, déjà, les gouvernements laissent le secteur privé s’infiltrer dans l’offre de services publics notamment en santé, dans les services sociaux et en éducation. « Le FDP nous donne les moyens de défendre nos choix sociaux. À titre d’exemple, on peut se demander à quoi serviraient de meilleures conditions salariales s’il fallait débourser des sommes faramineuses pour aller à l’université ou pour se faire soigner lorsque nécessaire », poursuit le trésorier de la CSN.

Photo : Raynald Leblanc

Parallèlement à l’élargissement de la mission du FDP, la façon de négocier des employé-es du secteur public prend elle aussi une autre forme. La réforme du Code du travail vient de leur accorder le droit de grève sous le gouvernement Lesage. La négociation du secteur public, qui s’est centralisée, est dès lors soutenue par le FDP pour la part CSN. Dans la foulée de ces transformations et du premier grand front commun intersyndical de 1972, les actions de mobilisation se multiplient ; le FDP est directement interpellé pour offrir de l’aide aux syndiqué-es en conflit.

Le FDP accompagne la négociation coordonnée

En se regroupant pour négocier, le secteur public a fortement inspiré plusieurs autres syndicats, si bien qu’en 1980, une politique d’avant-garde est adoptée par la CSN pour leur permettre d’organiser une négociation coordonnée. « Avec cette politique, les syndicats évoluant dans un même secteur d’activité peuvent s’unir pour négocier avec les employeurs et revendiquer des demandes communes », enchaîne Pierre Patry. Grâce à l’appui du FDP, de nombreux syndicats ont été et sont aujourd’hui en mesure de créer un véritable rapport de force et d’améliorer leurs conditions de travail, notamment dans les centres d’hébergement privés, dans certaines municipalités en Estrie, dans les centres de la petite enfance, les secteurs de l’alimentation, du préhospitalier et de l’hôtellerie. D’ailleurs, les employé-es du secteur hôtelier se regroupent depuis 30 ans au sein d’une négociation coordonnée rodée au quart de tour. Cette façon de négocier a été très bénéfique pour ce groupe de syndiqué-es, constitué d’un grand nombre de femmes et d’immigrantes. Elles ont obtenu, entre autres, la sixième semaine de vacances, l’ajout d’une journée de maladie, des hausses de salaire importantes et les allocations de retraite. « Dans les années 1980, le salaire de la majorité des préposées aux chambres était environ de 10 cents de plus que le salaire minimum. Aujourd’hui, il n’est pas rare, dans le cadre de la négociation coordonnée, qu’une préposée syndiquée à la CSN gagne plus de 20 $ l’heure », déclare Pierre Patry.

Le FDP, au combat sur deux fronts

Le bien-fondé du Fonds de défense professionnelle n’est plus à démontrer. De nos jours, les attaques se présentent de manière tout aussi virulente, sinon plus qu’autrefois. Le mouvement syndical subit des assauts sans précédent par l’adoption de projets de loi antisyndicaux ou la mise en œuvre de réformes diverses. À cet effet, le ministre Barrette a contribué largement à la démolition du système de santé par sa réforme qui vient grandement complexifier la tâche des syndicats de représenter leurs membres. « Si les gens ne font plus autant la grève, ils n’en continuent pas moins à mener des luttes collectives soutenues par le FDP », explique le trésorier. Le Fonds permet en outre d’organiser la solidarité en s’assurant que les gains obtenus par la lutte des uns ou des autres profitent à l’ensemble. Si le mouvement syndical s’affaiblit, les conditions des travailleuses et travailleurs, syndiqués ou non, en subiront le contrecoup. « On n’est jamais à l’abri d’un coup dur. Avant l’élection du gouvernement libéral de Philippe Couillard, on était loin d’imaginer que le secteur public subirait une fronde aussi grave. Comme le FDP dispose d’une bonne marge de manœuvre, il a pu activer la mobilisation contre les mesures d’austérité, sensibiliser la population et envoyer un sérieux avertissement », affirme Pierre Patry.

Photo : Michel Giroux

Un tel coussin est absolument nécessaire pour permettre aux membres de la CSN de se défendre devant l’adversité. Le FDP, une création de tous les syndicats de la CSN, incarne vraiment la solidarité à la « manière CSN ». Il constitue un instrument indispensable pour se prémunir contre les charges vicieuses et imprévisibles provenant de toutes parts.

Le FDP travaille pour vous

Le FDP est donc une caisse spéciale et unique qui procure plusieurs avantages. Voici un tour d’horizon de ses principales missions.

  • Prestation aux membres durant les conflits.
    La prestation hebdomadaire de 255 $, qui est libre d’impôt, est accessible au huitième jour de grève. « Tout le monde a droit au même montant qui n’est pas un remplacement de rémunération : il s’agit plutôt d’une allocation de secours », précise Pierre Patry.
  • Allocation hebdomadaire aux syndicats.
    Les syndicats peuvent compter eux aussi sur une allocation hebdomadaire variable de la part du FDP. Celle-ci leur permet notamment d’aménager un local de grève et de payer d’autres dépenses courantes reliées au conflit (téléphone, café, transport). Le Fonds accorde aussi du soutien pour les manifestations, les visites dans les instances, les activités de financement, etc. Une aide appréciable pour les syndicats.
  • Le FDP derrière la mobilisation.
    Les syndicats sont très nombreux à se mobiliser pour soutenir leur comité de négociation et à adopter des moyens de pression afin d’exercer leur rapport de force face à l’employeur. Ces actions de mobilisation financées par le FDP, souvent longues, nombreuses et coûteuses, permettent aux membres des syndicats CSN d’améliorer leurs conditions de travail en évitant le recours à la grève.
  • Une assurance pour frais juridiques.
    Le Fonds assume les frais juridiques qu’occasionne l’utilisation de briseurs de grève par l’employeur et ceux qui touchent les suspensions ou les congédiements liés à des activités syndicales. Le FDP peut également apporter son appui lors de la fermeture d’un établissement ou d’une usine. Ces frais peuvent représenter des sommes importantes.
  • Le FDP dans les campagnes.
    En plus de son appui aux grandes campagnes nationales déjà évoquées, le FDP réserve un budget aux fédérations et aux conseils centraux pour mener des campagnes liées à des régions ou à des secteurs d’activité spécifiques. Tout récemment, le Fonds a permis d’empêcher la privatisation des buanderies publiques dans Lanaudière et à Québec.
  • Le FDP et la répartition de la richesse.
    La péréquation distribuée aux fédérations et aux conseils centraux constitue une autre mesure incarnant la solidarité à la CSN. Cet outil permet l’équité dans la qualité des services offerts à tous les syndiqué-es de la CSN, quel que soit leur salaire. À titre d’exemple, les salarié-es du secteur de l’alimentation, membres de la Fédération du commerce (CSN), ont bénéficié d’un tel partage.

En somme, à l’heure où les nombreux dérapages de la droite font craindre le pire pour le mouvement syndical, nous ne saurions nous priver des munitions que nous offre le Fonds de défense professionnelle.

Faits d’armes
Les ex-syndiqué-es CSN de Celanese exultant à l’annonce de leur victoire historique en 2013. | Photo : Michel Giroux

Au fil des ans, la CSN a remporté plusieurs batailles juridiques d’importance grâce au soutien du FDP. En janvier 2014, un tribunal d’arbitrage a condamné Olymel à verser à ses ex-employé-es près de 14 millions de dollars en salaires, avantages sociaux perdus et intérêts. La même année, près de 130 syndiqué-es, injustement congédiés par le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants de développement (CRDITED) de Montréal, ont pu réintégrer leur emploi, avec une compensation frisant les quatre millions de dollars. En 2013, après de nombreuses démarches, les ex-syndiqué-es CSN de Celanese de Drummondville ont recouvré une somme de près de huit millions que l’employeur avait détournés de leur caisse de retraite lors de la fermeture de l’usine en 2000. En 1999, après une longue saga judiciaire, la CSN a obtenu la réintégration de près de 150 travailleurs de Métro-Richelieu, congédiés illégalement des années auparavant, le FDP leur a versé plus de 25 millions.

Le gros lot aux médecins

Au Québec, les médecins sont des privilégiés. Ils jouissent d’un statut unique, qui leur offre beaucoup d’avantages financiers, mais ne leur impose aucune obligation de résultat. Aujourd’hui, leur rémunération atteint des sommets. Ils coûtent à l’État québécois
la somme de 7,3 milliards de dollars annuellement.

Actuellement, nos médecins gagnent environ 12 % de plus que leurs homologues ontariens. Leur revenu moyen atteint 7,6 fois la rémunération moyenne des autres travailleuses et travailleurs québécois. Ce qui ne les empêche pas d’en réclamer encore davantage. Les omnipraticiens, dont la rémunération moyenne est évaluée à 243 000 dollars par année, exigent maintenant de nouvelles hausses salariales. Ils trouvent injuste l’écart qui les sépare des médecins spécialistes, dont le salaire moyen excède 400 000 dollars annuellement. En avons-nous pour notre argent ? La rémunération à l’acte aurait-elle fait son temps ?

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les médecins québécois sont très attachés au système de rémunération à l’acte. Et pour cause. Depuis des décennies, ils se battent bec et ongles pour préserver ce mode de rémunération, qui les a toujours grandement favorisés. Au Québec, où les médecins sont très majoritairement rémunérés à l’acte, ils en tirent plus de 80 % de leur rémunération.

Reconnus comme des travailleurs autonomes, les médecins sont en fait de « faux travailleurs autonomes », explique le chercheur Guillaume Hébert, de l’Institut de recherche et d’information socio-économique (IRIS) : « Au Québec, les médecins ont un statut unique. Ils sont de “faux travailleurs autonomes” extrêmement privilégiés. Contrairement aux autres travailleurs québécois, ils obtiennent toutes sortes d’avantages fiscaux. Ce statut leur permet de s’incorporer en créant une société par actions (SPA). Cette incorporation fait en sorte que les médecins, déjà grassement rémunérés, paient beaucoup moins d’impôts. Ce qui est bien sûr très difficile à justifier. » Surtout si l’on tient compte des hausses de rémunération consenties aux médecins ces dernières années. Plusieurs études récentes démontrent que les médecins ont littéralement empoché le gros lot depuis 2007. Tout a commencé sous la houlette du docteur Gaétan Barrette, ex-président de la Fédération des médecins spécialistes et du docteur Philippe Couillard, ex-ministre de la Santé. Sous prétexte d’accorder à nos médecins la parité avec leurs collègues ontariens, le gouvernement a créé une caste de privilégié-es dont les salaires dépassent maintenant ceux des médecins ontariens. Nos médecins accaparent aujourd’hui près du tiers du budget de la santé. Leur rémunération globale atteint 7,3 milliards de dollars par année. Elle devrait dépasser les 9 milliards en 2020-2021.

Une étude réalisée par le chercheur Guillaume Hébert de l’IRIS, et publiée en juin dernier, montre bien que la rémunération des médecins a littéralement explosé de 2004 à 2014. Le salaire moyen des médecins spécialistes est passé de 237 000 dollars à plus de 400 000 dollars, une hausse de 66 % en dix ans. Le salaire des omnipraticiens a bondi de 54 % pendant la même période, passant de 158 000 dollars à 243 000 dollars. La hausse salariale s’est poursuivie en 2014-2015. À la fin de 2015, 174 médecins ont facturé plus d’un million de dollars à la RAMQ.

Des médecins mieux payés, mais moins disponibles

Une autre étude menée par le chercheur Damien Contandriopoulos, de l’Université de Montréal, démontre que malgré ces hausses de rémunération, le nombre d’actes médicaux posés par les médecins entre 2010 et 2015 n’a pas augmenté, alors que la population québécoise a connu, elle, une croissance de 4 % et que le nombre de personnes âgées n’a cessé de progresser. Le chercheur s’interroge. Y a-t-il eu un rationnement des soins et des chirurgies imposé par le ministère de la Santé ? Pourquoi les médecins travaillent-ils moins qu’auparavant ? Selon le chercheur, il est indéniable que le mode actuel de rémunération des médecins est responsable de plusieurs problèmes de notre système de santé. La rémunération à l’acte n’a jamais été remise en question, pourtant, selon lui, aucune preuve scientifique n’a jamais démontré son efficacité et sa pertinence. Il rappelle que les coûteuses incitations financières consenties aux médecins n’ont pas donné les résultats escomptés.

Une autre étude, menée cette fois par trois chercheurs de l’IRIS, Jennie-Laure Sully, Minh Nguyen et Guillaume Hébert, et rendue publique le 18 janvier dernier, révèle que les fortes hausses salariales accordées aux médecins ont eu pour effet de diminuer le nombre d’actes médicaux et le nombre de jours travaillés. De l’aveu même du ministre Barrette, les médecins québécois travailleraient huit heures de moins par semaine que les médecins ontariens. De plus, la moyenne de patients traités par médecin serait de 1549 en Ontario contre 1081 au Québec.

Comme l’explique Jean-Pierre Ménard, avocat spécialisé en droit médical, « dans les faits, les services offerts aux patients par les médecins ont diminué de 10 % en cinq ans. Au Québec, les médecins ne sont soumis à aucune contrainte de productivité. Les médecins sont libres de travailler quand ils veulent, comme ils veulent et de donner le service à qui ils veulent. Ils choisissent leurs patients et leur cadre de pratique et nous on paie et on n’a rien à dire là-dessus. Nous n’avons jamais eu autant de médecins, le Québec a un des ratios médecins-population les plus élevés au Canada. Pourtant la performance des médecins québécois, en termes d’accès aux soins et de suivi des patients, se classe au dernier rang de la moyenne canadienne ».

En 2015, le Québec comptait 242 médecins pour 100 000 habitants, alors qu’au Canada on en dénombrait en moyenne 233 pour 100 000 personnes. Pourtant, 30 % des Québécoises et Québécois n’ont toujours pas de médecin de famille. Selon les calculs de l’IRIS, si l’on économisait un milliard de dollars par année dans le salaire des médecins, on pourrait embaucher 20 000 préposé-es aux bénéficiaires ou 15 000 infirmières de plus.

La solution : abolir la rémunération à l’acte

L’étude de l’IRIS, menée en collaboration avec la CSN et rendue publique en janvier dernier, suggère des mesures pour réduire le salaire des médecins et améliorer l’accès aux soins. Première mesure suggérée : l’abolition de la rémunération à l’acte. Une pratique, qui, selon le chercheur Guillaume Hébert, « encourage des soins non pertinents, mais rentables pour le médecin. Elle décourage l’interdisciplinarité, nuit au travail d’équipe et va à l’encontre d’une médecine axée sur les soins préventifs ». L’étude recommande le salariat des médecins, une formule qui existe notamment en France, et qui donne de bons résultats, nous dit Guillaume Hébert. « On l’a vécu aussi ici dans les CLSC, mais les médecins l’ont fortement combattue, ce qui fait que peu de médecins sont devenus salariés au Québec. Cette formule donne pourtant de bons résultats. C’est une voie prometteuse pour améliorer l’accès aux soins de santé, contrairement à ce que laissent entendre les médecins qui s’y opposent. Les médecins devraient être considérés comme des employé-es, à l’instar de toutes les autres personnes qui œuvrent dans le système sociosanitaire. »

L’IRIS propose également d’abolir le statut de travailleur autonome des médecins : « Le principe, c’est que les médecins sont des professionnels de la santé comme les autres, ce ne sont pas des figures divines du système de santé. Ce ne sont pas des gens à qui l’on devrait confier un pouvoir extraordinaire ou des gens à qui l’on devrait subordonner les autres professionnels de la santé. C’est un professionnel qui a fait de longues études, mais ça ne lui confère pas nécessairement une toute-puissance. »

L’étude de l’IRIS propose enfin d’accroître le nombre d’actes que peuvent effectuer des professionnel-les de la santé autres que les médecins. Ce qui permettrait d’améliorer l’accès aux soins et de réduire les coûts de la santé.

À la recherche d’une transition juste

Élévation globale du niveau des mers, vagues de chaleur, blanchissement des coraux, réfugiés climatiques, fonte des calottes polaires, gaz à effet de serre, exploitation des hydrocarbures, énergies renouvelables, la société devient de plus en plus sensibilisée aux enjeux liés aux changements climatiques, mais qu’en est-il des solutions ? Qu’adviendra-t-il des travailleurs et travailleuses dans un monde en mutation ? Devrons-nous faire un choix entre l’environnement et l’économie ? La transition écologique peut-elle être « juste » et équitable pour tout le monde ?

L’idée d’une « transition juste » pour les travailleuses et les travailleurs circule depuis près de vingt ans, principalement dans le cadre des négociations climatiques des Nations unies (COP). Mais ce n’est que récemment qu’elle s’est mise à susciter la curiosité des acteurs politiques responsables du développement durable. Pourtant, malgré le récent intérêt porté au principe de transition juste, il ne bénéficie pas de la même popularité à la COP et chez les environnementalistes que dans le public ou chez les travailleuses et travailleurs visés par les mesures qui y sont rattachées.

Regard vers la transition

La transition juste est un cadre d’action développé par le mouvement syndical qui propose l’adoption de mesures visant à sécuriser la qualité de vie des travailleuses et des travailleurs lors du passage vers une économie sobre en carbone. Sachant que plusieurs secteurs d’activité risquent d’être fortement ébranlés par les bouleversements provoqués par les changements climatiques au cours des prochaines décennies, le mouvement syndical revendique une place pour les travailleurs à la table, lorsqu’il sera question de la planification de la restructuration des modes de production et de l’organisation du travail.

Parmi les mesures proposées, on trouve des investissements substantiels dans des technologies et des secteurs peu polluants et générateurs d’emplois, la diversification des économies locales, la bonification des mesures de protection sociale, et la création d’outils de formation et de développement de la main-d’œuvre afin de soutenir le déploiement de nouvelles technologies et d’encadrer les mutations industrielles.

Toujours peu connu

En 1998, le syndicaliste canadien Brian Kohler fut parmi les premiers à faire mention de la transition juste : « On n’a pas de choix à faire entre l’économie et l’environnement. C’est soit les deux, soit ni l’un ni l’autre. »

Bien que le concept de transition juste se soit répandu progressivement à travers la couche militante du mouvement syndical québécois au cours des deux dernières décennies, il ne s’est toujours pas enraciné dans les milieux de travail des secteurs d’activité affectés. C’est la raison pour laquelle le comité exécutif de la CSN a proposé la lutte contre les changements climatiques comme enjeu à débattre au cours de la consultation précongrès.

Pour Pierre Patry, trésorier de la CSN et responsable politique des questions environnementales et du développement durable, la méconnaissance de la notion de transition juste s’explique en partie par l’absence de politiques concrètes ayant des objectifs chiffrés quant aux gains d’emplois et aux balises entourant la formation des travailleurs touchés par ces changements. « Maintenant que la transition juste se trouve enchâssée dans le préambule de l’Accord de Paris, le temps est venu de revendiquer un plan d’action crédible ancré dans ces principes, qui vise l’élimination de notre dépendance aux hydrocarbures », explique le trésorier de la CSN.

Le rôle de l’État

Récemment, Pierre Patry a eu l’occasion de présenter la vision que défend la CSN lors d’une conférence intitulée « Les travailleuses et travailleurs : des acteurs incontournables pour réussir la transition énergétique », qui s’est tenue à la Maison du développement durable à Montréal. « La transition n’est pas une chose pour laquelle on peut être pour ou contre, en faveur ou en défaveur, car elle se passe, qu’on le veuille ou non. Il faut donc se préparer pour ces changements et les anticiper afin d’en tirer des bénéfices, plutôt que de simplement en subir les conséquences. Nous avons la capacité en tant qu’êtres humains d’envisager l’avenir et de s’y préparer. Profitons-en ! »

Le trésorier de la CSN, Pierre Patry, déclarait lors d’une récente conférence que les travailleurs sont des acteurs incontournables pour réussir la transition énergétique et qu’il faut anticiper les changements afin d’en tirer des bénéfices plutôt que d’en subir les conséquences. | Photo : Martin Reisch

Le trésorier de la CSN dénonce également le fait que le gouvernement de Philippe Couillard parle des deux côtés de la bouche lorsqu’il est question de développement durable. « Le gouvernement se dit écologique tout en s’engageant activement dans le démantèlement de l’État, notamment en déstructurant les organisations régionales de concertation et en matière de création d’emplois. Les centres locaux de développement (CLD) et les corporations de développement économique communautaire (CDEC) étaient porteurs d’une vision de création d’emplois et de développement durable. Leur disparition représente une occasion ratée de se doter d’un développement local et régional respectueux de l’environnement ! Quel sera le rôle des villes et des municipalités dans la transition ? Comment cet enjeu sera-t-il pris en compte ? Impossible de le dire pour l’instant, mais l’absence de joueurs de différents milieux dans la réflexion — incluant le milieu syndical, est une perte importante. »

Le travailleur oublié

Pierre Patry remarque aussi que la parole des travailleuses et des travailleurs est souvent négligée lors des débats sur les enjeux écologiques. « La conversation porte souvent sur l’option qui crée le plus d’emplois, et bien que ces facteurs soient intéressants et importants pour la société, nous oublions souvent le rôle du travailleur dans toute cette grande mêlée. Comment se sent-il face à cette transition ? Comment allons-nous l’accompagner et répondre à ses préoccupations ? »

Ces questions sont justement au centre des activités d’Iron & Earth, une organisation composée de travailleurs et travailleuses qui œuvrent ou ont œuvré dans les sables bitumineux, qui souhaite faire de la place aux énergies renouvelables dans l’économie fragile de l’Alberta. Elle offre entre autres de la formation aux travailleurs du secteur pétrolier qui sont sans emploi ou sous-employés pour qu’ils puissent se trouver du travail dans le secteur solaire ou en construction durable.

« Oui, les sables bitumineux ont créé beaucoup d’emplois en Alberta, mais ce ne sont pas les travailleurs qui ont bénéficié des profits avant la crise économique actuelle. Et maintenant, plusieurs d’entre eux sont sans abri ou ont dû vendre leur voiture, ce qui nuit grandement à leur capacité de se trouver un nouvel emploi. Ce que nous vivons présentement à Calgary est de loin la pire chose qui est arrivée à notre ville depuis une génération, déplore Kerry Oxford, soudeuse et membre du Conseil d’administration d’Iron & Earth. Je n’étais pas sur le marché du travail lors du dernier ralentissement économique, les personnes de mon âge ou plus jeunes n’ont donc jamais vécu une situation semblable. La violence conjugale a augmenté de 10 % au cours des dernières années et le taux de suicide est en hausse ; des milliers d’entreprises ferment leurs portes. L’heure est grave. Il est très important que notre gouvernement soutienne les initiatives qui visent à former les travailleurs pour qu’ils puissent travailler dans un nouveau secteur énergétique. C’est la raison pour laquelle Iron & Earth souhaite jouer le rôle de facilitateur afin que toutes les parties prenantes — travailleurs, développeurs, gouvernements — aient leur place à la table. Il faut créer des ponts avant qu’il ne soit trop tard. »

Ménager le portefeuille des employeurs au détriment des futurs retraités

En 2017, la CSN poursuit la lutte pour un revenu décent tout au long de la vie, pour toutes et tous. Cette lutte se mène sur plusieurs fronts : hausse des prestations d’aide sociale, rémunération convenable pour les travailleuses et travailleurs (incluant le salaire minimum à 15 $ l’heure) et rente décente à la retraite pour tous les Québécois et Québécoises.

Ce dernier enjeu se discute actuellement à l’Assemblée nationale dans le cadre des réformes annoncées du Régime de rentes du Québec (RRQ) et du Régime de pensions du Canada (RPC). Le 19 janvier dernier, Francine Lévesque, vice-présidente de la CSN, présentait le mémoire de l’organisation devant la Commission des finances publiques dans le cadre des consultations sur le document intitulé Consolider le régime pour renforcer l’équité intergénérationnelle, proposé par le gouvernement libéral.

D’entrée de jeu, la CSN a tenu à affirmer que le statu quo n’était plus une option. Avec environ 60 % des travailleuses et travailleurs qui n’ont toujours pas la possibilité de participer à un régime complémentaire de retraite, le RRQ constitue pour plusieurs le seul régime leur garantissant une rente. « Cette rente offre aujourd’hui à bon nombre de personnes un revenu de retraite bien en deçà des 70 % de remplacement reconnus comme nécessaires pour vivre décemment. Une bonification du RRQ est donc essentielle », a affirmé Francine Lévesque.

Deux régimes, deux visions

Après avoir analysé les projets de réforme du fédéral et du provincial, la CSN estime que la réforme proposée par le gouvernement Trudeau pour le RPC, bien que trop modeste, est de loin le scénario le plus intéressant. Échelonné sur une quarantaine d’années, le projet du fédéral haussera graduellement les cotisations et les prestations pour toutes et tous, si bien qu’à terme, la rente maximale combinée à celle de la Sécurité de la vieillesse passera de 20 000 $ à 26 800 $.

La proposition du Québec est tout autre. Elle préconise un statu quo pour les revenus sous 27 450 $ (ce qui représente 50 % du maximum des gains admissibles) : aucune hausse de cotisations et aucune hausse de prestations à la retraite. Avec ce scénario, les bas salarié-es ne verraient donc pas d’amélioration de leur situation financière. Les travailleuses et travailleurs de la classe moyenne seraient aussi désavantagés par rapport à leurs homologues canadiens, puisque les cotisations et les prestations supplémentaires ne toucheraient que la part du revenu supérieur à 27 450 $. Leur rente serait inférieure d’au moins 15 % à celle des autres provinces. Pour Francine Lévesque, la situation est simple : « Tous les futurs rentiers du Québec seraient touchés puisqu’ils auront contribué moins que les autres Canadiens au cours de leur carrière. »

La recette néolibérale

Si tout le monde y perd, pourquoi donc mettre de l’avant cette réforme ? Il faut regarder du côté des employeurs pour trouver la réponse. Les grandes gagnantes du scénario du Québec, s’il se réalise, seront les entreprises, puisqu’elles n’auront pas à cotiser sur les premiers 27 450 $ pour l’ensemble de leurs salarié-es. Ce congé de cotisation pourrait même devenir un incitatif pour les employeurs à maintenir de faibles salaires ou des emplois précaires pour se soustraire à la contribution au régime. Avec la réforme du RRQ telle qu’elle est proposée, les employeurs québécois passeraient de ceux qui cotisent le plus au Canada à ceux qui cotisent le moins.

Pour la CSN, le projet libéral sur la table actuellement passe à côté de l’objectif principal, soit de procurer une rente de retraite décente à tous les Québécois et Québécoises. « Les travailleurs d’ici doivent avoir accès aux mêmes bénéfices que ceux des autres provinces, et ce, pour des générations à venir », a conclu Francine Lévesque.

La solution à tous nos problèmes ?

Le principe d’un revenu minimum garanti (RMG) revient à l’avant-scène ces derniers temps. Certes, l’idée que les États puissent garantir un niveau minimal de revenu à tous leurs citoyens ne date pas d’hier — même Napoléon y a fait allusion. Applaudie tant par des économistes néolibéraux que par des militants anti-pauvreté, cette idée représente-t-elle un outil d’émancipation ou un cheval de Troie ? Une bonne idée se convertit-elle nécessairement en bonne politique ?

Il existe déjà au Québec une série de programmes visant à assurer une certaine qualité de vie aux populations démunies et défavorisées, notamment l’aide financière de dernier recours, communément appelée « aide sociale ». Malheureusement, ces programmes ne répondent pas adéquatement à la situation de plus d’un million de Québécoises et Québécois vivant avec un trop faible revenu pour subvenir à leurs besoins de base. Quelqu’un qui reçoit de l’aide sociale et qui n’a pas de contraintes à l’emploi gagne à peine 8000 $ par année, ce qui représente 50 % du montant nécessaire pour couvrir les besoins de base, selon la mesure du panier de consommation. « On est très loin d’un système satisfaisant qui donne un coup de main aux personnes mal prises pour qu’elles soient capables de sortir de la pauvreté », dénonce Virginie Larivière, organisatrice politique et co-porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté. Les sacrifices consentis par les personnes assistées sociales pour arriver à joindre les deux bouts sont nombreux. Et c’est souvent leur santé qui écope. Si l’on compare le quartier le plus riche et le quartier le plus pauvre de Montréal, il y a non seulement un écart de revenu moyen de 77 000 $ par année, mais aussi un écart de onze ans pour l’espérance de vie. C’est assez parlant. »

Sécuriser le revenu

Depuis plusieurs années, la CSN revendique des moyens pour sécuriser le revenu tout au long de la vie. C’est d’ailleurs l’un des cinq thèmes qui ont été abordés lors de la consultation précongrès, et qui fera l’objet de discussions à son 65e Congrès qui se tiendra en juin à Montréal. Elle préconise principalement une réforme majeure de la Loi sur les normes du travail et de ses règlements (salaire minimum, congés, vacances, équité de traitement, licenciement collectif, etc.). Dans ce contexte, l’adoption d’un modèle de RMG, s’il est bien balisé et qu’il ne nuit pas à d’autres programmes ou services sociaux, représenterait-elle une solution pour contrer la pauvreté ?

« Bien que l’idée d’un RMG soit attrayante en principe, il y a plusieurs autres pistes que nous devons explorer en tant que société afin de réduire les inégalités et éliminer la pauvreté, explique Jean Lortie, secrétaire général de la CSN. Près de quatre employé-es sur dix occupent un emploi précaire et sont ainsi moins bien protégés par la Loi sur les normes du travail. Pourquoi ne pas s’attaquer à ses lacunes ? Aux disparités de traitement dans les régimes de retraite ou encore à l’augmentation du salaire minimum, une mesure qui aiderait plus de 210 000 salarié-es, dont une majorité de femmes, à joindre les deux bouts ? »

En eaux inconnues

À part le projet Mincome, mené entre 1974 et 1979 par le gouvernement néodémocrate du Manitoba pour une partie des populations de Winnipeg et de la petite ville rurale de Dauphin, les gouvernements du Québec et du Canada n’ont pas d’exemple concret de RMG en Amérique du Nord duquel ils pourraient s’inspirer.

Malgré cela, le gouvernement québécois s’intéresse actuellement à l’idée. Il a d’ailleurs mandaté un comité de travail composé de trois économistes pour se pencher sur la question. Le rapport et les recommandations du comité devraient être déposés d’ici l’été 2017. Le gouvernement ontarien, quant à lui, est sur le point de lancer un projet pilote dans quelques villes afin d’étudier les tenants et aboutissants de l’adoption de telles mesures à travers la province.

Illustration : Benoît Tardif

« Depuis plusieurs décennies, le RMG revient périodiquement dans les débats sociaux à travers le monde, mais ce qu’on remarque en ce moment, c’est qu’il y a plus de discussions concrètes que par le passé, précise Julien Laflamme, conseiller syndical au Service des relations du travail de la CSN. Ce qui est intéressant, c’est que les débats sont menés non seulement par la gauche, mais aussi par la droite. En France, le candidat socialiste à la présidence propose un RMG dans sa plateforme, mais c’était aussi le cas pour quelques candidats défaits à la présidence du parti de droite. Autant à gauche qu’à droite, il y a des thématiques qui reviennent assez fréquemment. L’une étant l’urgence de se préparer pour l’effritement de la société salariale engendrée par les changements technologiques de ce qu’on appelle la “4e révolution industrielle”. Autrement dit, le système économique ne sera plus en mesure de fournir un salaire à suffisamment de travailleurs et il ne sera plus à même d’être un véhicule de redistribution de la richesse adéquat, donc il faudrait pallier les programmes de l’État pour tout le monde. Cela dit, peut-être que dans 50 ans la question se posera différemment au Québec. Mais en ce moment, entre autres à cause du vieillissement de la population, on n’est pas dans une situation de pénurie d’emplois. Alors pourquoi en parlons-nous ? Est-ce parce que l’on est encore pris avec les politiques d’austérité qui maintiennent, et même accentuent les inégalités ? On ne regarde peut-être pas au bon endroit. »

Fantasme néolibéral ?

Pour Julien Laflamme, nous devons nous questionner sur les raisons pour lesquelles certains joueurs de la droite sociale et économique sont ouverts à la possibilité d’un RMG. « Plusieurs penseurs de la droite souhaitent que le RMG puisse se substituer aux programmes offerts actuellement par l’État. Il ne faut pas oublier que nous avons déjà des transferts qui sont de nature universelle. Ce ne sont pas des transferts en argent, mais plutôt en biens et services. Quand l’État offre une éducation gratuite à ses citoyennes et citoyens, c’est un transfert universel, offert à l’ensemble de la population. C’est le même principe pour le réseau de la santé et des services sociaux. Malheureusement, il y a un courant de droite qui voit une occasion en or de dire “on donne un chèque à tout le monde, puis on n’aura plus besoin des autres programmes”. Bien que ce débat ne soit pas encore au centre de la réflexion sur l’avenir des programmes sociaux québécois, nous pouvons déjà l’entendre dans certains milieux. Nous n’avons qu’à penser aux services de garde éducatifs. Plusieurs personnes prônent l’idée d’envoyer un chèque aux parents plutôt que de leur offrir un accès universel à un CPE. »

Le Centre canadien des politiques alternatives (CCPA) partage certaines des préoccupations de la CSN quant aux effets néfastes que pourrait avoir un éventuel système de RMG. « Ce n’est pas suffisant de simplement émettre un chèque à tout le monde », prévient Trish Hennessy, directrice du bureau ontarien du CCPA. « Les services publics offerts par l’État sont nécessaires et leur perte lors d’une transition vers un modèle de RMG serait catastrophique, surtout pour les personnes à faible revenu ou issues de communautés vulnérables. C’est pourquoi tous les regards seront tournés vers l’Ontario lorsqu’ils annonceront les paramètres de leur projet pilote et plus particulièrement vers la fin du processus quand les recherchistes dévoileront leurs résultats, positifs et négatifs. Plusieurs juridictions risquent de suivre l’exemple de l’Ontario lors du développement de leurs propres programmes. »

De toute évidence, nous parlerons encore beaucoup du revenu minimum garanti, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde occidental. Et, bien qu’il y ait de quoi stimuler l’imaginaire, un mais important s’impose.

En route vers le 65e congrès – sur tous les fronts

« Le 65e Congrès de la CSN sera résolument politique et certainement engageant pour nos militantes et nos militants ! » Pour le président Jacques Létourneau, le congrès qui se tiendra du 5 au 9 juin prochain à Montréal fera preuve d’innovation et tranchera de façon significative avec les précédents.

«Au cours des trente dernières années, nos congrès ont débattu d’un grand nombre de questions et les recommandations qui y ont été adoptées guident, encore aujourd’hui, notre action, explique le président de la CSN. Pour le 65e Congrès, nous proposons une approche différente en ce sens que les délégué-es débattront des moyens à déployer pour faire vivre un manifeste qui nous projettera dans les trois années du prochain mandat, au cours duquel il y aura une élection à Québec, en 2018, et une autre au fédéral, l’année suivante. En ce sens, notre action sera indéniablement plus politique. »

Depuis octobre dernier, les syndicats de la CSN sont directement consultés sur cinq grandes revendications au centre desquelles s’articulent neuf recommandations. Celles-ci conduiront à la rédaction d’un manifeste qui sera présenté au congrès. Toutes les équipes de travail ainsi que les fédérations et les conseils centraux ont été consultés sur la démarche pour leur permettre d’appuyer efficacement les débats dans les syndicats. Ces derniers doivent se prononcer sur ces grandes revendications dans l’instance qu’ils jugent la plus appropriée. Dans le questionnaire qu’ils peuvent remplir en ligne, ils sont invités à soumettre de nouvelles propositions. Une telle façon de faire est une première.

La situation politique et la prochaine élection générale sont propices à susciter des discussions, voire une mobilisation, sur des enjeux importants pour la société québécoise. C’est dans cette perspective et afin de sonder le plus de membres possible que la CSN a entamé cette vaste consultation, souligne le président de la CSN dans le document qui a été présenté aux syndicats. Pour lui, il y a plus que jamais une nécessité à opposer aux politiques d’austérité menées par un gouvernement carrément conservateur à l’Assemblée nationale un projet porteur pour le Québec. De là l’idée du manifeste qui découlera de la tournée menée auprès des syndicats.

Haro contre l’austérité

« Au cours de la dernière année, nous nous som­mes débarrassés de l’un des partis les plus antisyndical et antisocial qui a sévi à Ottawa, rappelle Jacques Létourneau. Cependant, depuis deux ans, tout le Québec subit durement les effets des mesures d’austérité du gouvernement Couillard. Le prochain budget pourrait plomber davantage l’État social québécois et nous faire plonger dans une situation d’austérité permanente si le gouvernement maintient le sous-financement des programmes. Il doit impérativement investir massivement dans les services publics et les programmes sociaux. »

Au printemps, la tournée précongrès permettra aux syndicats de débattre du manifeste qui leur sera soumis. Ce sera aussi l’occasion pour eux de se l’approprier. Jacques Létourneau explique que « les recommandations qui sont actuellement en discussion dans les syndicats se résument à ceci : quelle société voulons-nous, quels moyens devons-nous déployer pour y arriver et pour vivre mieux ? On le voit, la lutte pour l’amélioration des conditions de travail et des conditions de vie est indissociable ».

Le congrès permettra aux délégué-es de débattre d’une stratégie pour soutenir le manifeste. Au cours des trois années qui suivront, la CSN sera en action, aux côtés de ses alliés, pour que les choses changent. « C’est notre responsabilité, en tant que mouvement organisé, d’agir ainsi », conclut le président de la CSN.


Thématique proposées

  • Sécuriser le revenu tout au long de la vie
  • Développer l’économie et créer des emplois de qualité
  • Lutter contre les changements climatiques
  • Consolider les services publics
  • Renforcer la démocratie

Une vie des plus surprenante

Les sages-femmes ne savent jamais de quoi leur journée sera faite. De garde 24 heures sur 24, elles peuvent à tout moment être obligées d’interrompre leurs activités pour répondre à une urgence ou pour accompagner une femme lors d’un accouchement. Les sages-femmes veillent sur leurs clientes à toute heure du jour ou de la nuit, pendant les périodes prénatale et postnatale et, bien sûr, durant les accouchements. Regard sur une profession vieille comme le monde qui continue de fasciner.

Josyane Giroux a complété un baccalauréat en géomatique appliquée à l’environnement avant de pratiquer comme sage-femme. Bien que cette discipline l’ait stimulée intellectuellement, son travail actuel la comble davantage. « Devenir sage-femme, c’est bien sûr acquérir l’ensemble des connaissances et des compétences pour pouvoir donner tout le soutien clinique nécessaire aux femmes et aux familles, mais c’est beaucoup plus que ça. Je me sens comblée par l’aspect humain et relationnel de mon travail », souligne-t-elle. Josyane et ses consœurs de pratique sont représentées par la Fédération des professionnèles–CSN.

Une vie trépidante

27 novembre 2016, 2 h 30. Josyane est appelée par une cliente pour des saignements anormaux. Elle craint une hémorragie post-partum tardive et prend une quarantaine de minutes pour évaluer la situation. Elle décide de garder un contact étroit avec sa cliente. 5 h 30, le téléphone sonne à nouveau pour un accouchement, cette fois-ci. Josyane se rend chez la future mère. Le bébé naît à 12 h. Elle revient chez elle à 16 h.

Photo : Louise Leblanc

17 h, une cliente en panique l’appelle : elle vomit sans arrêt. Après consultation et analyse de la situation, Josyane conclut qu’il s’agit d’une gastro sévère. À 20 h, Josyane fait un suivi avec la mère qui l’a appelée la nuit précédente et détermine avec elle le plan à suivre si les saignements recommencent. 1 h du matin, une autre femme appelle, elle éprouve de sérieuses douleurs au bas du ventre. Celles-ci viennent de la compression des intestins. « Ce n’est pas toujours comme ça, des fois le rythme est plus intense ! », lance Josyane en riant.

La garde constitue la pierre angulaire de la profession de sage-femme. Elle est nécessaire pour permettre la continuité relationnelle des soins et des services à toutes les phases du suivi de grossesse, jusqu’à six semaines après l’accouchement. Le fait de ne pouvoir prévoir l’horaire exact et la nature des tâches de la journée fait donc partie intégrante de la réalité des sages-femmes. À ce sujet, Josyane raconte. « Le mois dernier, j’ai été appelée par un papa à 23 h 30, alors que j’étais couchée. Sa conjointe avait des contractions très intenses depuis 15 minutes. Cinq minutes plus tard, elle a commencé à pousser. Je finissais de mettre mes bottes. Merci à mon GPS qui m’a conduite au bon endroit ! Quand j’ai mis le pied dans la chambre, la tête du bébé était déjà sortie ; je suis tout de même arrivée à temps pour assister à sa naissance. Imaginez ! 32 minutes plus tôt, je dormais. C’est aussi ça, la vie de sage-femme. »

Comme à l’habitude, Josyane avait ce soir-là accroché des vêtements derrière la porte de la salle de bain. Elle en place toujours à cet endroit pour éviter de réveiller la famille, car son travail l’appelle à se lever la nuit régulièrement. Bien sûr, une trousse contenant tous ses instruments, prête à être utilisée, l’attendait aussi. « Il faut développer des trucs pour mieux s’adapter aux éléments stressants de la profession et pour composer plus efficacement avec les urgences », explique-t-elle.

La cohésion et l’entraide au sein de l’équipe d’une maison de naissance font toute la différence pour permettre aux sages-femmes de soutenir le rythme exigeant de la profession. « Parfois, on est capable de travailler 24 heures en ligne, alors qu’à d’autres moments, on est exténuée après 12 heures et il faut absolument dormir un peu. Je peux toujours compter sur mes collègues pour me permettre d’aller me coucher. À moins qu’elles soient, elles aussi, en train d’assister un accouchement… Alors on se relaie pour aller se reposer quelques heures », poursuit Josyane.

Différents modèles

Certaines maisons de naissance ont décidé de nommer une sage-femme de remplacement, communément appelée sage-femme volante, pour aider l’équipe à suppléer aux congés de maladie, aux grossesses et aux conflits d’horaires des sages-femmes régulières. « Notre présence permet à l’équipe de souffler un peu, souligne Marie-France Beaudoin, sage-femme de remplacement à la Maison du Haut-Richelieu–Rouville. On permet aussi d’atténuer les bouleversements pour les clientes, qui n’apprécient pas, à juste titre, de voir se succéder les sages-femmes au cours de leur grossesse. »

Bien sûr, le suivi d’une sage-femme de remplacement est différent. « Il faut vite comprendre le dossier et espérer qu’il a été bien rempli. Il est primordial de pouvoir entrer rapidement en relation avec les clientes. Le rapport diffère, puisqu’on ne réalise pas l’accompagnement en continu, mais le rôle de remplaçante est par contre très apprécié au sein de la maison de naissance ».

Photo : Annik de Carufel

Des femmes-orchestres

Beaucoup de femmes ont recours aux services d’une sage-femme pour leur deuxième grossesse, car elles ont l’impression de ne pas avoir été bien informées la première fois. « Elles déplorent souvent le côté un peu inhumain du processus médical », relate encore Josyane Giroux. L’accouchement avec une sage-femme est bien différent de celui pratiqué à l’hôpital et prend la forme que le couple veut lui donner. « Nous sommes là pour accompagner les femmes et leur famille dans leur choix. Si elles veulent écouter de la musique métal, je ne suis pas là pour les en empêcher. »

Bien sûr, toutes les mesures de sécurité sont prises pour assurer le bon déroulement de l’accouchement. D’ailleurs, elles doivent toujours être deux professionnelles pour assister la femme au moment de la naissance du bébé. Cela dit, l’un des principes importants de la pratique sage-femme est basé sur le choix éclairé, contrairement au choix dirigé du milieu hospitalier. « Il n’y a pas de protocole dans notre pratique, ce qui occasionne encore beaucoup de tensions avec les médecins qui ne comprennent pas pourquoi des couples choisissent de ne pas subir certains tests. Pour une sage-femme, le respect du choix des femmes est très important. Lorsque tous les renseignements nécessaires ont été donnés, elles peuvent décider de ne pas recevoir un geste clinique, c’est leur droit », renchérit Josyane Giroux.

À l’hôpital, une infirmière de l’équipe médicale se trouve à tout moment dans la chambre avec la femme sur le point d’accoucher. Pour donner tout le soutien et la disponibilité requise, les sages-femmes, pour leur part, doivent écouter leurs propres besoins tout en veillant au bien-être de la cliente : « Ça peut paraître évident, mais quand on a faim, il faut manger. Si les contractions commencent et qu’elles ne sont pas très intensives, il m’arrive d’aller m’étendre quelques minutes, entre l’écoute des deux cœurs. Mais je ne suis pas loin, seulement à la porte d’à côté. » Ces temps d’arrêt permettent également au couple de profiter d’une intimité qui n’existe pas avec l’équipe médicale.

Le rôle de soutien psychologique de la sage-femme auprès des femmes et des familles prend également toute son importance, surtout lorsque l’accouchement se déroule dans un contexte difficile comme une perte d’emploi, un déménagement, une rupture ou le décès du conjoint. « La transformation au cours de la grossesse est majeure à tous les points de vue. Le corps change, les hormones s’activent et les impacts sont énormes sur la vie de la femme et du couple. On est amenées à parler de communication, de sexualité, et de façon plus concrète, des ressources existantes, comme le CLSC ou les groupes communautaires. Ce travail avec les autres professionnel-les de la santé est primordial. Je ne suis pas psychologue, mais je peux être une intermédiaire déterminante lorsque le besoin se présente. »

Les sages-femmes agissent en somme comme des femmes-orchestres dans les moments les plus importants de la vie. Et leurs œuvres magistrales ont de quoi marquer chaque fois les familles qu’elles accompagnent.

Célébrer le passé pour garantir l’avenir

Le Syndicat des travailleuses et travailleurs de Nutrinor au Saguenay–Lac-Saint-Jean célèbre cette année son 65e anniversaire. Pour l’occasion, le STT–Nutrinor, affilié à la Fédération du commerce (FC–CSN) a publié un livre relatant l’histoire du syndicat depuis sa création.

Le travail de recherche et de rédaction a été confié à Charlotte Lachance, une nouvelle retraitée de l’entreprise de Saint-Bruno (municipalité au sud de La Baie) et membre du comité exécutif pendant 10 ans. La tâche qui l’attendait était colossale, mais elle ne regrette pas d’avoir relevé le défi. Au fil de ses recherches, elle a constaté à quel point le monde du travail a évolué au cours du dernier siècle.

« J’ai vraiment pris conscience, en lisant les anciens procès-verbaux, que tout était à construire. Quand on pense que le syndicat a fait une demande pour avoir de la lumière dans la salle de pause ! Aujourd’hui, on ne réalise pas qu’à l’époque tout était une bataille. Il faut toutefois dire que l’entreprise a bien collaboré dans plusieurs situations, tout était à faire pour les cadres aussi. Une autre chose m’a étonnée : la présence de l’église catholique dans les réunions syndicales. Le représentant du clergé venait aux réunions et s’il n’était pas invité, il s’en offusquait. Lors des assemblées, il parlait de charité chrétienne et de l’importance d’aider son prochain. L’aumônier avait une certaine influence sur les décisions du syndicat », explique avec passion Mme Lachance.

« Le livre nous montre l’évolution du syndicat depuis le début, tous les débats auxquels les membres ont fait face, c’est vraiment intéressant. Il nous apprend aussi comment la coopérative a vu le jour. Et ce n’est pas terminé, puisque la laiterie investit 7,8 millions de dollars cette année. La coop est très diversifiée. Il y a la laiterie, la meunerie, la quincaillerie et le propane. Nutrinor est en pleine évolution », ajoute de son côté Claude Bolduc, président du STT–Nutrinor (FC–CSN).

Une grève qui change les choses

Pour l’auteure, qui a commencé à travailler à la coopérative Nutrinor en 1974 en comptabilité, le moment charnière du syndicat a probablement été le conflit de travail survenu au début des années 70.

« La grève de 1972 a changé bien des choses. Les membres sont sortis 100 jours. Pour l’époque et pour les difficultés qu’un conflit de travail engendrait, c’était énorme. Moi je suis fière des gens de cette époque, leur solidarité leur a permis d’aller au bout de leurs convictions. Sur le plan des conditions de travail, ce conflit a amené beaucoup d’améliorations. Le syndicat a aussi beaucoup contribué à la cause des femmes en demandant l’équité et la justice entre les hommes et les femmes au travail », soutient Mme Lachance.

Une fête couronnée de succès

Pour souligner ce 65e anniversaire, le STT–Nutrinor a organisé, en juin dernier, une journée de célébrations regroupant des dignitaires, les membres actuels du syndicat de même que les anciens travailleurs et travailleuses qui se sont serré les coudes afin d’offrir de meilleures conditions de travail aux générations suivantes et qui ont contribué à l’évolution du syndicat et de l’entreprise au fil des ans.

Célébration du 64e anniversaire du STT-Nutrinor | Contribution militante

« Cela s’est très bien déroulé, nous avons eu une très bonne participation des anciens et des nouveaux membres du syndicat. On a donné un exemplaire du livre retraçant l’histoire du STT-Nutrinor aux syndiqué-es présents et on l’a aussi distribué plus tard aux membres qui ne pouvaient être là », conclut M. Bolduc.

Des outils pour défendre le syndicalisme

Les 17 et 18 novembre, la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP-CSN) proposait à ses membres un colloque qui sortait des sentiers battus.

Organisé par le comité exécutif de la fédération, de concert avec le module de formation du Service des relations du travail de la CSN, le colloque « Le syndicalisme, c’est mon fort ! », répondait à deux propositions adoptées par le dernier congrès de la FEESP, la première portant sur la communication avec les membres et la deuxième sur les débats à engager pour discuter de la pertinence et des bénéfices de l’action syndicale.

« Pour répondre à la demande des membres, l’idée du colloque nous semblait la plus porteuse, mais il était clair pour tout le comité exécutif qu’une formule dynamique et interactive était de mise », explique Nathalie Arguin, secrétaire générale de la FEESP. « La configuration en tables rondes, permettant aux membres des différents secteurs de la fédération d’échanger entre eux, s’est donc imposée, mais ce n’était pas suffisant. Nous voulions mettre les militantes et les militants au centre de l’action. »

La première journée, consacrée au développement d’un argumentaire syndical pour contrer le discours de droite, a débuté par une table ronde composée de Jean-François Nadeau, journaliste au journal Le Devoir, de Marty Laforest, professeure au Département de lettres et de communication sociale de l’UQTR, et d’Olivier Niquet, chroniqueur et co-animateur de La soirée est encore jeune. Ce dernier a présenté des extraits de commentaires issus des radios poubelles qui illustraient parfaitement les propos de Mme Laforest pour qui la droite populiste joue entre autres sur l’émotion et sur la confrontation (nous contre eux) pour alimenter son discours.

Des outils pour intervenir

Les quelque 150 militantes et militants ont ensuite développé un argumentaire prosyndical, déconstruisant point par point les principaux énoncés de la droite. Pour les organisateurs du colloque, l’exercice ne devait toutefois pas s’arrêter là. « Constituer un discours, c’est une chose, mais prendre la parole pour le défendre est une tout autre affaire. C’est pour travailler là-dessus que nous avons sollicité la Ligue nationale d’improvisation », ajoute Nathalie Arguin. Des comédiens de la LNI sont donc venus recréer diverses scènes de la vie quotidienne, dans lesquelles on trouvait toujours un personnage qui réussissait à imposer ses réflexions populistes. Après chaque scène, les participants étaient appelés à commenter la situation et un participant choisi au hasard était invité à refaire la scène avec les comédiens, en puisant dans les arguments développés plus tôt pour renverser la situation.

Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications, est venue clore la journée par une brève présentation sur l’importance de bien connaître l’univers médiatique pour intervenir de façon adéquate dans l’espace public.

La deuxième journée portait essentiellement sur la communication avec les membres. Les réponses à un questionnaire préalablement envoyé aux syndicats ont servi de base de travail pour l’animateur de la journée, Gregor Murray, professeur à l’Université de Montréal. Des syndicats des différents secteurs de la FEESP ont partagé leurs expériences fructueuses, comme la mise en place d’un conseil syndical, la communication en situation de négociation coordonnée ou la décision d’investir les médias sociaux. Pour clore l’événement, des élu-es, des conseillères et des conseillers sont venus présenter les différentes ressources disponibles à la CSN pour appuyer les initiatives des syndicats.

À la sortie du colloque, les militantes et les militants se sont dits prêts et motivés à occuper le terrain, ce qui fait dire aux organisateurs : mission accomplie.

Pour demeurer une force incontournable

Comment faire de la prévention en santé et sécurité au travail (SST) alors que la réforme Barrette a imposé la création de mégastructures qui ont grandement chamboulé le réseau de la santé et des services sociaux ? Deux cents délégué-es en SST de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS–CSN) se sont penchés sur cette épineuse question lors d’un colloque qu’elle a organisé en septembre 2016.

Les syndicats de la CSN interviennent depuis plusieurs années pour réduire les risques à la source dans les environnements de travail. Plusieurs exemples émanant des syndicats du réseau ont démontré qu’à la suite des fusions qui avaient mené à la création des CSSS, le travail avait été ardu pour restructurer leurs actions en prévention. « La fusion des établissements de santé et de services sociaux et la création des CSSS en 2005 nous ont forcés à revoir notre façon de mener les dossiers — ce qui se reproduira sûrement avec la création des CISSS et des CIUSSS. À la conclusion de la négociation de 2010, nous avions l’objectif ambitieux de parvenir à implanter près de 300 comités paritaires en santé et sécurité. C’est ainsi qu’en novembre 2010, nous avions lancé la campagne 1, 2, 3 Go pour nous donner un plan de travail, régional et national, pour atteindre nos objectifs », rappelle Guy Laurion, vice-président responsable de la SST à la FSSS–CSN.

La présentation de Geneviève Baril-Gingras, professeure au Département des relations industrielles de l’Université Laval, a fait ressortir l’importance de miser sur une organisation syndicale fortement décentralisée pour améliorer les interventions à la source et réduire les accidents dans les milieux de travail. « Avec le projet de loi 10 du ministre Barrette, on risque de se retrouver avec une augmentation des accidents du travail si on ne parvient pas à établir une structure syndicale décentralisée. L’objectif, c’est qu’un salarié-e puisse toujours se référer facilement à un représentant syndical s’il vit des situations risquées dans son environnement de travail », poursuit Guy Laurion.

Par ailleurs, les données de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) démontrent que c’est maintenant le secteur de la santé et des services sociaux qui est le plus à risque. En 2014, ce secteur comptait près de 18,4 % des réclamations d’accidents du travail acceptées par la CNESST. Les troubles musculosquelettiques et les chutes sont les principales causes d’accidents du travail. Les lésions psychologiques augmentent aussi de manière inquiétante, mais elles sont rarement reconnues par la CNESST.

La CSN en action sur la prévention

La CSN entend poursuivre ses actions pour réduire le danger à la source dans le réseau de la santé et des services sociaux. Cela est d’autant plus nécessaire dans un contexte où les compressions budgétaires ont grandement alourdi la charge de travail du personnel. Les surcharges de travail augmentent nécessairement les risques d’accident du travail.

« Il est urgent de faire de la prévention une réelle priorité pour les années à venir, explique Jean Lacharité, vice-président responsable de la SST à la CSN. La réforme Barrette ne fait rien pour améliorer les choses. Les signaux d’alarme s’accumulent. Le personnel du réseau de la santé et des services sociaux s’essouffle. Et pour soigner la population, encore faut-il que le personnel soit lui-même en santé, ce qui n’est clairement pas le cas actuellement. Face à ce constat inquiétant, la CSN passe à l’action. À l’opposé de la concentration bureaucratique du ministre Barrette, elle compte sur des services de proximité offerts par des milliers de militantes et de militants partout au Québec et sur un syndicalisme combatif qui veille constamment au grain. »

Répondre au besoins des patrons

En février prochain, le gouvernement libéral du Québec tiendra son Rendez-vous sur la main-d’œuvre en réunissant 300 participantes et participants issus de tous les milieux socioéconomiques, dont la CSN. L’objectif ? Cerner les défis et les enjeux en matière de main-d’œuvre pour mieux faire face au marché du travail de demain.

Si l’exercice est noble, le gouvernement a pourtant multiplié les actions au cours de son mandat pour nuire à l’économie et à la création d’emplois. Cure radicale pour les finances et les services publics, abolition des conférences régionales des élus (CRÉ), diminution des obligations des entreprises dans la formation des employé-es. Que faut-il attendre de ce rendez-vous ?

« Des rencontres préparatoires ont lieu avec le comité de pilotage en vue de cet événement et on doute pouvoir décrocher une entente significative, avance le président de la CSN, Jacques Létourneau. Il y a un bras de fer actuellement et c’est difficile d’amener les employeurs et le gouvernement ailleurs. On aimerait parler de conditions de travail, mais tout ce qui concerne le salaire minimum à 15 $ l’heure, les régimes de retraite, les disparités de traitement et les normes du travail, sera exclu. On nous a même laissé entendre que le développement économique sera débattu dans un autre cadre avant les prochaines élections. Alors il reste quoi, qui soit différent de la Commission des partenaires du marché du travail ? »

Rien à voir donc avec le Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996, organisé par l’ancien premier ministre Lucien Bouchard et présidé par Claude Béland. « Même si on s’était cassé les dents avec le déficit zéro, on a quand même lancé le Chantier sur l’économie sociale et les centres de la petite enfance (CPE), se souvient Jacques Létourneau, qui était alors secrétaire général au Conseil central du Montréal métropolitain–CSN. Vingt ans plus tard, le gouvernement du Québec est en train de saccager les CPE et il est incapable de créer des emplois. »

Des emplois qui tardent

En remportant ses élections en avril 2014, le gouvernement de Philippe Couillard avait promis 250 000 nouveaux emplois en cinq ans, soit l’équivalent de 50 000 emplois par année. Or, au rythme où vont les choses, atteindre la moitié de cet objectif serait déjà un exploit. Il s’est perdu 1100 emplois en 2014, il s’en est créé 37 300 en 2015 et 26 000 en 2016, selon un bilan provisoire des dix premiers mois. Le nombre de chômeurs et de chômeuses a même grimpé de quelques milliers durant les deux premières années du règne libéral. « C’est clair que les emplois créés dans le domaine des services du secteur privé sont plus précaires et sont loin d’être aussi bons que ceux perdus dans le secteur manufacturier. En 2015, près de quatre emplois sur dix étaient atypiques et un emploi sur cinq était à temps partiel. Et rien ne laisse présager un renversement de tendance », martèle Jacques Létourneau.

Donc, pas étonnant de constater que de plus en plus de Québécoises et Québécois ont recours aux banques alimentaires pour subvenir à leurs besoins. Selon Bilan-Faim, ils ont augmenté de 5,3 % l’an dernier. Sur les quelque 172 000 personnes qui y ont eu recours, 10,8 % avaient un revenu d’emploi. C’est pourquoi il est primordial d’augmenter le salaire minimum à 15 $ l’heure, alors qu’il se situe à 10,75 $ actuellement. Plus de 211 500 personnes travaillent au salaire minimum, soit 6 % de la main-d’œuvre québécoise. Près de 57 % d’entre elles sont des femmes et plus de 40 % sont âgées de plus de 24 ans. « Non seulement leur qualité de vie s’améliorerait, notamment grâce à l’augmentation de leur pouvoir d’achat, mais il y aurait aussi des effets bénéfiques sur l’économie. Puisque la satisfaction au travail augmenterait, le roulement de personnel dans les lieux de travail diminuerait, produisant un effet positif sur la productivité », soutient le président de la CSN.

Au printemps 2015, une étude de la Banque TD concluait que « la précarité d’emploi est néfaste pour l’économie canadienne. Sans l’assurance financière que procurent le salaire et les avantages sociaux associés à un emploi et à un horaire de travail stables, le consommateur hésite à dépenser. Les profits des entreprises demeurent ainsi en deçà de leur potentiel, ce qui amenuise l’optimisme des investisseurs. De plus, les recettes fiscales sont moins importantes et les dépenses publiques plus élevées afin de soutenir les personnes qui se retrouvent fréquemment sans emploi ou qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts ».

La précarité au sommet

Bien qu’il soit difficile de définir clairement ce qu’est un emploi atypique, il désigne habituellement le travail temporaire, intérimaire, autonome ou à temps partiel involontaire. Des emplois où l’instabilité financière est plus grande et dont les avantages sociaux sont nettement moins intéressants. Selon l’Institut de la statistique du Québec, environ 20 % des travailleurs syndiqués et non syndiqués occupent un autre type d’emploi que permanent à temps plein. Toutefois, la nature de l’emploi atypique n’est pas la même dans les deux groupes. Les milieux non syndiqués offrent davantage d’emplois à temps partiel permanents, alors que les emplois temporaires à temps plein sont plus répandus dans les milieux syndiqués.

Lors de ce Rendez-vous sur la main-d’œuvre, la conciliation famille-travail-études aurait une petite chance de se tailler une place dans les débats. Pour pallier le problème de pénurie de main-d’œuvre, le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais, a émis le souhait, lors des consultations régionales de l’automne dernier, qu’il y ait davantage de travailleuses et de travailleurs formés en entreprise. Étonnant alors que son propre gouvernement a décidé, lors du budget 2015-2016, d’alléger le fardeau fiscal des PME : désormais, seules les entreprises qui ont une masse salariale supérieure à deux millions de dollars devront consacrer 1 % de leur budget à la formation. Auparavant, le seuil de la masse salariale était d’un million de dollars. Il y a donc deux fois moins d’employeurs assujettis à la loi. Une véritable rebuffade alors que la CSN milite pour une loi contraignante pour toute entreprise qui a une masse salariale de 250 000 $ et plus.

Et pour comble d’insulte, alors que les PME se désengagent de la formation, le milieu des affaires voudrait que les établissements d’enseignement arriment davantage leur formation aux besoins du marché du travail. Ce qu’on appelle couramment l’adéquation formation-emploi pour avoir des travailleurs « clés en main ». Or, la formation professionnelle et technique doit demeurer générique, et ce, particulièrement dans un contexte où le milieu de l’emploi est en constant changement.

Autre preuve que les dés sont pipés d’avance dans les orientations du gouvernement du Québec : le Conseil consultatif sur l’économie et l’innovation créé en octobre dernier, et présidé par Monique Leroux, est presque exclusivement composé de gens issus du milieu des affaires : Banque Nationale, CGI, Couche-Tard, Groupe Canam, EY, Claridge, McKinsey, Caisse de dépôt et placement du Québec.


Austérité en matière d’emploi

  • Compressions au Fonds de développement du marché du travail, à Emploi-Québec et dans les carrefours jeunesse-emploi (CJE).
  • Allègement de la Loi sur la formation de la main-d’œuvre (communément appelée loi du 1 %), qui ne cible que les entreprises dont la masse salariale est supérieure à 2 millions de dollars.
  • Disparition des conférences régionales des élus (CRÉ).
  • Démantèlement des centres locaux de développement (CLD) et des corporations de développement économique et communautaire (CDEC).
  • Gel d’embauche dans la fonction publique.

On ne peut pas parler des jeunes sans parler des moins jeunes

Le comité national des jeunes de la CSN a bien cerné les enjeux soulevés par les défis intergénérationnels en organisant son sixième rassemblement, en novembre dernier. Bien sûr, le sujet n’est plus nouveau, mais les défis, eux, sont plus que jamais d’actualité. Ancienneté, conciliation famille-travail-études, militantisme, disparités de traitement : les jeunes et les moins jeunes ont encore beaucoup de pain sur la planche.

Kevin Gagnon fait partie de cette nouvelle génération de militants syndicaux bien déterminée à changer les choses. Pragmatique, Kevin a grandi dans une famille « syndiquée ». Son père était président d’un syndicat, « on baignait là-dedans à la maison », nous raconte-t-il. Kevin a gravi une à une les marches de son organisation syndicale. À trente-cinq ans, il se retrouve à la tête d’un très gros syndicat, celui des travailleurs et travailleuses de l’usine Bridgestone de Joliette. Onze cents membres. Un syndicat qui, comme bien d’autres, a dû faire des choix douloureux. Des choix avec lesquels il doit maintenant composer. « Chez nous, le gros coup est arrivé en 2011. La situation économique n’était pas bonne, d’autres usines américaines avaient accepté des diminutions de salaire considérables pour garder leurs emplois. On a été forcés d’accepter des clauses de disparité. Avant la négociation de 2011, les nouveaux employé-es commençaient à 80 % de l’échelle salariale, pour obtenir 100 % de leur salaire en deux ans. Maintenant, c’est un départ à 70 % et ça leur demande six ans d’ancienneté avant d’obtenir un plein salaire. On a aussi dû accepter un régime de retraite à deux vitesses, ce qui fait que les plus anciens ont un régime à prestations déterminées et les plus jeunes sont pris avec un régime à cotisation déterminée. »

Ces clauses de disparité sont devenues à la longue une source de conflits entre les jeunes et les moins jeunes à l’intérieur de l’usine, ajoute Kevin Gagnon : « Depuis 2011, il y a environ 300 jeunes qui sont arrivés à l’usine et qui vivent aujourd’hui avec ces conditions de travail là, ça crée des tensions. »

Disparités nocives

« Les disparités de traitement, ça pourrit le climat de travail, ça diminue la solidarité. Pour un syndicat, c’est excessivement nocif , constate Patrice Jalette, professeur à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. La mise en place de disparités de traitement, c’est presque toujours une demande patronale. »

Doug Scott Lorvil, membre du comité national des jeunes, travaille au Centre de santé et de services sociaux d’Ahuntsic et Montréal-Nord. Il constate lui aussi que ces disparités de traitement sont extrêmement néfastes. « J’ai des exemples en tête qui me montrent que ces disparités ont fait en sorte que les jeunes sont moins mobilisés, ils n’ont plus le même sens du travail, le lien d’appartenance s’est effrité. »

Sa collègue du comité national des jeunes, Annick Patriarca, a vécu elle aussi dans son milieu de travail les effets destructeurs des disparités de traitement. « On a été obligés de négocier des clauses comme celles-là à la dernière convention collective et ça a provoqué un taux de roulement important des travailleurs à temps partiel, ils préfèrent aller ailleurs. »

Craintes et mauvaises perceptions

C’est souvent la peur et une mauvaise compréhension des enjeux qui provoquent l’adoption de clauses de disparités de traitement, touchant l’ancienneté, le salaire, les congés, les horaires de travail ou le régime de retraite, nous explique Kevin Gagnon. « Moi, j’ai vu une assemblée où les gens se prononçaient sans aucune gêne en faveur des clauses de disparité, parce qu’ils ne comprenaient pas les enjeux derrière leur vote. »

Les recherches menées par la professeure Mélanie Laroche, à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, montrent bien que la multiplication des clauses de disparité de traitement est souvent attribuable à la diminution du rapport de force des syndicats, à la baisse du taux de syndicalisation et aux mauvaises conditions économiques. Pour sauver des emplois, minimiser les dégâts, on négocie des concessions. Et même si la loi interdit les clauses de disparités salariales, elles sont toujours bien présentes dans certaines conventions. « Lorsqu’on regarde les dispa­rités salariales liées au salaire d’entrée, au salaire en fonction du statut d’emploi, à l’accès au maximum de l’échelle salariale, ce sont majoritairement des disparités interdites par la loi. Pourtant, au Québec, il y en a beaucoup, et cela, malgré l’existence d’une loi. »

Photo : Louise Leblanc

Autre constat surprenant, selon elle, « c’est qu’il y a plus de disparités salariales dans les vieux syndicats. Et quand il y a eu des concessions salariales, il y a aussi eu d’autres concessions négociées en matière de sous-traitance et d’organisation du travail. Des syndicats forts ont fait le choix de sacrifier une partie de leur main-d’œuvre pour maintenir des acquis »

Les défis des jeunes militants

Mettre fin aux clauses de disparités de traitement n’est pas une mince tâche, mais ce n’est pas le seul défi qui préoccupe les militants présents au 6e Rassemblement des jeunes de la CSN, tenu les 17 et 18 novembre dernier à Lac Delage, près de Québec.

Les jeunes présents ont témoigné sans réserve de leur attachement aux valeurs de l’ancienneté, de l’équité, de la justice et de l’engagement syndical. Mais en même temps, ils refusent le statu quo. Leur présence au sein des comités exécutifs risque de bouleverser les habitudes, de modifier la nature même de la vie syndicale. Les recommandations mises de l’avant par les jeunes de la CSN réclament une modernisation des structures et du discours syndical. Ils veulent un message clair, simple et qui leur est accessible. Tous insistent sur la nécessité de mieux informer les nouveaux arrivants, de faire de l’éducation, de déboulonner les vieux tabous, de convaincre et de susciter l’engagement des jeunes.

Annick Patriarca soutient que « les jeunes veulent être impliqués dans les processus, dans les choix, ils veulent une place dans le syndicat et une écoute auprès de l’employeur. Leur présence dans les comités exécutifs et les comités de négociation fait toute la différence. C’est leur absence des lieux de décision qui fait reculer la cause des jeunes ».

Mais pour s’engager, pour militer activement, il faut du temps. Parlez-en à Kevin Gagnon, jeune président du STT de l’usine Bridgestone de Joliette. Pour ce père de deux enfants, dont la conjointe milite aussi au sein de la CSN, les journées sont longues, les fins de semaine très courtes. Comme plusieurs, il souhaite une plus grande ouverture aux jeunes et la mise en place de pratiques qui favorisent la conciliation famille-travail-études. Il constate que les besoins des jeunes travailleurs sont aujourd’hui très différents de ceux d’il y a vingt ou trente ans. « L’année dernière quand on est arrivés en négociation, on a vu clairement qu’il y avait une brisure entre les générations, puisque les demandes étaient complètement différentes. Nous, nos demandes étaient axées sur la conciliation famille-travail, sur le temps de qualité qu’on va pouvoir passer à la maison. C’est ça notre priorité. D’ici 2019, il y aura chez nous 300 personnes qui seront admissibles à la retraite. C’est certain que le vent risque de tourner. »

Vers un nouvel équilibre

Les jeunes, autrefois minoritaires dans les organisations syndicales, sont en voie de devenir majoritaires dans plusieurs syndicats. Les priorités de négociation risquent de changer. On ne pourra pas éviter certains débats douloureux, mais essentiels, selon la professeure Mélanie Laroche, qui affirme que « pelleter par en avant n’est pas la solution ».

Malgré l’ampleur de la tâche, Kevin Gagnon demeure optimiste : « Je suis confiant, mais ça va prendre énormément de travail et de l’implication aussi de la part des nouveaux élu-es. Ça va prendre beaucoup de persévérance, ça prend des jeunes qui sont prêts à donner du temps. »

Évolution interrompue

L’époque de la non-réglementation des conditions de travail qu’a connue la classe ouvrière québécoise après la révolution industrielle semble être loin derrière nous. Mais est-ce véritablement le cas pour l’ensemble des salarié-es du Québec ou existe-t-il des lacunes dans la Loi sur les normes du travail qui permettent aux employeurs de contourner les règles établies pour protéger la sécurité et l’intégrité des travailleuses et des travailleurs ?

De passage au conseil confédéral de la CSN pour prononcer une conférence sur l’évolution des normes du travail, Jean Bernier, professeur émérite de l’Université Laval, explique que la révolution industrielle du dix-neuvième siècle a ouvert la voie à la transformation d’une société de production artisanale et agricole en une société commerciale. « Avec la révolution industrielle, on observe l’arrivée du capitalisme, la réorganisation des modes de production existants en modes de production en usine et en manufacture et la naissance du prolétariat, qui oppose la classe des travailleurs au grand capital. »

À la recherche de conditions minimales de travail

Au lendemain de la révolution industrielle, les conditions de travail sont déplorables : semaines de soixante à soixante-dix heures sur six jours, journées de quinze heures, repas pris au travail près des machines, travail des enfants à partir de dix ans, maigres salaires, et graves problèmes de santé et de sécurité.

En 1882, une commission d’enquête donne naissance à l’Acte des manufactures, l’ancêtre de la Loi sur les normes du travail telle que nous la connaissons aujourd’hui. Avec l’arrivée de cette loi, les travailleurs observent quelques améliorations à leurs conditions de travail, dont l’instauration de la semaine de soixante heures et d’un maximum de dix heures par jour de travail, d’une pause d’une heure pour le repas du midi, et d’un âge minimum pour le travail à 12 ans pour les garçons et à 14 ans pour les filles. Cependant, la loi ne prévoit pas de salaire minimum et la classe ouvrière devra attendre jusqu’en 1919 avant qu’une première loi impose un salaire minimum, mais uniquement pour les femmes.

Malheureusement, la Loi du salaire minimum des femmes n’est guère avant-gardiste, car elle est mise en place pour faciliter le retour au travail des hommes qui reviennent de la Première Guerre mondiale et qui peinent à se trouver du boulot parce que les femmes ont appris à faire « marcher » les usines pendant leur absence. En imposant un salaire minimum pour les femmes, le gouvernement incite les entreprises à embaucher des hommes parce qu’ils coûtent moins cher.

Le traité de Versailles met fin à la Première Guerre mondiale et amène dans son sillage la création de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui outillera le mouvement syndical pour revendiquer des normes de travail internationales visant à harmoniser les conditions de travail entre les nations et à mieux répartir la richesse entre les riches et les pauvres.

Après des années de luttes acharnées menées par le mouvement syndical, le gouvernement québécois adopte finalement la Loi des salaires raisonnables en 1937, qui devient trois ans plus tard la Loi du salaire minimum. Avec la mise en application de cette loi, le marché du travail commence à ressembler à ce que nous connaissons de nos jours : un salaire minimum, une semaine de quarante heures, vacances annuelles payées, et une compensation pour les heures supplémentaires. Les prochains — et derniers — changements majeurs aux normes du travail ne se produiront que quatre décennies plus tard et engendreront la Loi sur les normes du travail.

Les « faux indépendants » laissés pour compte

Bien que la Loi sur les normes du travail ait pu offrir un ensemble de conditions de travail de base aux travailleuses et travailleurs du Québec (jours fériés, pause café, préavis de fin d’emploi, congés spéciaux, etc.), plusieurs groupes de salarié-es ne bénéficient d’aucun recours face aux pratiques abusives des employeurs.

Lors de sa présentation, le professeur Bernier a souligné l’exemple des « faux indépendants », ces personnes embauchées en tant que travailleurs autonomes, mais pour qui le travail réel correspond à celui d’un salarié-e au sens de la loi (horaire fixe, poste de travail, supérieur immédiat, etc.). « C’est attrayant pour les entreprises parce qu’elles ne sont pas assujetties à la Loi sur les normes du travail, nous indique Jean Bernier. L’employeur ne cotise pas à la Régie des rentes du Québec et c’est au salarié-e lui-même à payer une double cotisation. De plus, ces travailleurs ne sont pas protégés par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. »

La situation des « faux indépendants » est grave, surtout dans certains secteurs traditionnellement non syndiqués. « Dans mon ancien lieu de travail, au moins la moitié des salarié-es à temps plein étaient des travailleurs dits autonomes. Les abus que nous avons pu vivre étaient hallucinants : aucune reconnaissance de l’ancienneté, pas de rétribution pour les heures supplémentaires, pas de préavis de congédiement. L’employeur se faisait des économies incroyables sur notre dos en nous obligeant à payer la totalité des cotisations au gouvernement », s’indigne une travailleuse de l’industrie technologique qui tient à la confidentialité par peur de représailles.

Pagaille dans les agences de placement

Le professeur Bernier dénonce également le retard extraordinaire que vit le Québec par rapport à l’encadrement des pratiques des agences de placement. « Contrairement à ce qui se passe dans d’autres provinces et ailleurs dans le monde, le travail en relation tripartite n’est nullement réglementé au Québec. Ceci implique que les agences de travail temporaire n’ont besoin ni de permis ni de preuve de solvabilité, et qu’elles n’ont aucun rapport à faire à personne. Ces agences peuvent même pourvoir des postes permanents dans des commerces ou des usines avec des salarié-es qu’elles embauchent, qui se transforment en une main-d’œuvre jetable. Une pratique qui est complètement interdite dans d’autres pays. »

Photo : Pascal Ratthé

Pour le Centre des travailleuses et des travailleurs immigrants (CTI), ces agences prennent surtout pour cibles des travailleuses et travailleurs issus de l’immigration et des communautés racisées. « Souvent, les personnes nouvellement arrivées au Canada n’osent pas dénoncer les abus, surtout si elles n’ont pas de statut ou si leur statut est précaire, parce qu’elles craignent de mettre en danger leur demande de résidence permanente », souligne Mostafa Henaway, organisateur communautaire du CTI et l’un des responsables de l’Association des travailleurs et travailleuses temporaires d’agence de placement. « Un autre enjeu face à l’absence de réglementation des agences, c’est qu’elles ont le pouvoir de changer arbitrairement le lieu de travail d’un salarié-e. Quand un travailleur se met à organiser une campagne de sensibilisation ou de syndicalisation, l’agence le sort de son milieu de travail très rapidement. »

Beaucoup de chemin à parcourir

Pour Jean Lacharité, vice-président de la CSN, il est clair que plusieurs améliorations à la Loi sur les normes du travail s’imposent. « Dans le cadre de la Coalition cinq-dix-quinze, nous revendiquons qu’un salarié-e puisse connaître son horaire de travail cinq jours à l’avance, qu’il puisse bénéficier de dix jours de congés payés pour cause de maladie ou de responsabilités familiales, et que le salaire minimum augmente à 15 $ l’heure. » La CSN réclame aussi en tant que membre de la Coalition pour la conciliation famille-travail-études un assouplissement des règles entourant le droit de refus des heures supplémentaires, la bonification des jours fériés et l’amélioration du congé parental. Elle déplore également le manque d’encadrement en ce qui a trait aux disparités de traitement en fonction de la date d’embauche d’un salarié-e.

« La CSN ne s’occupe pas que des per­sonnes qui sont syndiquées. L’ensemble des travailleuses et des travailleurs doit bénéficier de bonnes conditions de travail, d’où le besoin fondamental de meilleures inspections des milieux de travail, affirme Jean Lacharité. Il ne sert à rien d’avoir des lois si nous n’avons personne pour nous assurer qu’elles sont appliquées. »